On ne présente plus « Sisygambis », le web-documentaire numérique évolutif de l’artiste Christine Coulange. Depuis 2016, elle a en effet intégré Mayotte dans son gigantesque projet numérique et vidéo sur les musiques rythmant les ports de la méditerranée à l’océan Indien. Depuis plusieurs années, l’artiste s’est penchée sur les musiques provoquant des transes, un domaine dans lequel les musiques mahoraises avaient toute leur place. La projection de ce vendredi midi au CUFR de Mayotte est le fruit d’un travail commun entre l’artiste et le pôle culturel du CUFR, qui a piloté cette nouvelle version sous-titrée en kiboushi par Kassime Ahamada, un ancien étudiant en Lettres Modernes de l’île au lagon.
Plusieurs master-classes ont été organisées à Madagascar avec d’autres étudiants du CUFR pour réaliser ce documentaire évolutif sur les musiques de transes, désormais enrichi de deux nouvelles escales : l’une à Diego-Suarez et l’autre Nossy-Bé. Une borne interactive a également été installée sur les lieux afin que le public puisse « naviguer » au sein des musiques enregistrées de la méditerranée à l’océan Indien depuis le début du projet dans les années 90. Cette projection a, en outre, été diffusée en direct sur Facebook afin de toucher un public le plus large possible.
Sisygambis et le CUFR de Mayotte ont profité du 20ème anniversaire de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine immatériel afin de projeter ce documentaire sous-titré kiboushi, qui a pu être réalisé avec le soutien du fond européen Interreg-V. « Il s’agit d’un travail à la fois artistique, scientifique et numérique qui contribue à la sauvegarde du patrimoine immatériel », souligne Christine Coulange. 60 films sur les musiques traditionnelles de la Méditerranée à l’océan Indien ont été réalsés dont 10 au cours des master-classe avec les étudiants du CUFR de Mayotte, sous l’égide de Jean-Louis Rose, vice-directeur du CUFR et grand défenseur de la culture mahoraise.
La transe : ce phénomène mystérieux
Lors de cette projection, le public a notamment pu découvrir des musiques de transes de Mayotte, des Comores et de Madagascar. Chaque sorte de musique était commentée et expliquée par des spécialistes du sujet, à la fois au sein du documentaire, en live au CUFR ou en visio. Un camaïeu d’intervenants utilisant toutes les techniques de communication possibles afin de faire découvrir les musiques de transe au grand public. C’est donc un travail de titan qu’ont donc accompli Christine Coulange et ses collaborateurs ! Du debaa mahorais aux violons malgaches, un grand panel de musiques pouvant générer la transe ont été étudiées et filmées. Sans oublier que le sous-titrage en kiboushi a contribué à la promotion de ce dialecte malgache parlé à Mayotte.
Etat second très mystérieux, la transe permet, selon les traditions animistes reprises au sein de l’islam, de communiquer avec les autres mondes. Ali Saïd Attoumani, spécialiste de la culture mahoraise et conseiller scientifique au sein de Sisygambis, était présent ce vendredi pour donner quelques éclaircissements en live sur ce phénomène. « La transe permet de se défouler, de s’enivrer, mais amène aussi des renseignements sur les autres mondes », a-t-il affirmé. Venu avec un m’raha (jeu mahorais et malgache), il a expliqué comment les foundis l’utilisent pour savoir si la transe est le fait d’une possession par un mort ou par un djinn. Une « science » bien énigmatique pour les esprits rationnels, mais qui a déjà prouvé à de nombreuses reprises son efficacité sur le territoire. « Lorsqu’il y a des phénomènes de transe dans les écoles par exemple, il ne sert à rien d’appeler les médecins, seul un foundi est capable de rétablir la situation », a-t-il indiqué en précisant également que la transe permettait de « voir les autres univers et de communiquer avec les ancêtres africains de Mayotte ». « Le travail avec le m’raha permet de voyager à travers les 7 mondes décrits dans le coran…mais aussi d’en revenir car certains s’y perdent à jamais lorsqu’ils tombent en transe ! », a-t-il lancé. A bon entendeur !
Nora Godeau