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Le CHM condamné pour défaut de soins d’une fillette décédée de drépanocytose

Onze ans après les faits, une succession de négligences médicales était jugée pour avoir provoqué la mort d’un bébé de 9 mois. Malgré l’alerte de ses parents, et d’une analyse médicale révélant la présence de la maladie.

Attendant un heureux évènement, un couple décide d’effectuer des analyses auprès de l’hôpital sur la femme enceinte pour savoir s’il y a un risque pour que leur enfant soit porteur de la drépanocytose, l’un d’entre eux étant atteint. Cette maladie génétique qui affecte les globules rouges, responsables du transport de l’oxygène dans le sang, nécessite un traitement dès qu’elle est diagnostiquée. On leur indique qu’en l’absence de réponse sous les 3 mois, cela signifie que le résultat est négatif, que l’enfant n’est pas porteur de la maladie.

N’ayant pas eu de réponse, ils ne se sont pas inquiétés, surtout que lui explique qu’ayant déjà eu deux enfants, aucun n’était porteur de la maladie. Mais peu à peu, la santé de leur petite fille décline. Hospitalisée, elle ne recevra pas les soins appropriés et décède à l’âge de 9 mois. Désemparés, les parents se renseignent et apprennent que les résultats de l’analyse révèlent bien la présence de la maladie, mais que l’information ne leur a pas été transmise. Ils déposent plainte… et ce n’est que ce mardi, soit onze ans après que les faits sont jugés.

Si à l’époque déjà le manque de médecins était criant, celui de juges d’instruction aussi, avec la probabilité élevée que les deux corps de métier se connaissent, avec donc des dessaisissements. Il a donc fallu du temps.

Nadjim Ahamada déplore que les médecins aient évoqué « le contexte mahorais » pour justifier cette succession d’erreurs

La question est de savoir qui savait ? Le procureur Yann Le Bris revient sur « une dilution des responsabilités » : « L’absence d’information de la famille a empêché qu’il y ait un suivi particulier en PMI, et un traitement préventif. Quand l’enfant est hospitalisé, le personnel sait qu’il a la drépanocytose, mais on a un médecin qui dit ‘j’en ai informé le pédiatre qui aurait dû le dire aux parents’, ce dernier répond que c’était à l’infirmier de le faire, et tout le monde s’en tient là, à cette dilution des responsabilités. Dix enfants sont porteurs, on en appelle cinq et on s’en moque ! Tout le monde se renvoie la balle. La seule chose qu’ils trouvent à dire c’est que ‘c’est Mayotte’!. Ce qui ne les empêche pas de percevoir leur rémunération ! », s’exaspère le procureur.

« Je reçois encore des plaintes sur l’hôpital »

Le papa est dans la salle, stoïque. Son avocat Me Nadjim Ahamada plaide également une succession de fautes « de la part des médecins », et se fait la voix des parents qui demandent des explications « que nous n’aurons pas ». Tout en déplorant lui aussi que le corps médical ait évoqué « le contexte mahorais » pour justifier ces manquements.

Aucun médecin n’est nommément accusé, c’est le CHM en tant que personne morale qui est sur le banc, et représenté uniquement par l’avocat Me Morel, du barreau de Saint-Denis. Sa responsabilité ne fait aucun doute, l’avocat le sait qui « adresse ses pensées » au papa la petite file, tout en précisant les « deux séries de faute » reconnues : « l’absence de diagnostic de drépanocytose alors qu’il y avait des antécédents, et une prise en charge inadaptée quand les symptômes apparaissent. » Et s’il déplore à son tour une « responsabilité diluée », « de l’interne au médecin référent jusqu’au pédiatre et au transport par le SAMU, rapporte les propos de Christophe Blanchard, directeur général adjoint du CHM, « le CHM de 2023 n’est pas le même qu’il y a 11 ans. Il est désormais certifié B ». Un processus de détection de dysfonctionnements a en effet été mis en place, a récemment expliqué son directeur Jean-Matthieu Defour.

Me Morel : « Le justice n’a pas fait son boulot »

Le procureur n’en est pas persuadé. Et ce jugement tardif nuit précisément au coup de semonce qui aurait été bénéfique à l’hôpital selon lui. « Est-ce que depuis des protocoles ont été mis en place pour que cela ne se reproduise pas ? C’est important de le savoir pour qu’au moins les parents aient l’impression que des leçons ont été tirées. Je dois vous avouer mon optimisme relatif sur ce sujet étant donné que je reçois encore beaucoup de plaintes de faits se produisant à l’hôpital », souligne Yann Le Bris.

Il requérait une amende de 50.000 euros pour des défauts d’information de la famille, « qui l’ont privé de vigilance », et de suivi, ainsi qu’une absence de soins adéquats, « je sais que l’hôpital est en difficulté financière, mais on ne peut laisser cette déficience impunie ».

Me Morel tentait d’amoindrir l’amende en soulignant « les délais déraisonnables de jugement », qui mériteraient « de faire condamner le tribunal par la cour européenne des droits de l’homme car la justice n’a pas fait son boulot », et en plaidant une affaire ancienne qui retomberait sur « une nouvelle administration déjà en difficulté. » Qui se rajoutent aux 200.000 euros demandés par la famille au civil.

Le CHM sera finalement condamné à payer une amende de 40.000 euros dont la moitié avec sursis, le jugement sur intérêt civil se tiendra le 4 avril 2024.

A.P-L.

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