Le début de l’audience a commencé de façon poussive et un peu surprenante avec plusieurs suspensions d’audience. En effet, aucun témoin n’était présent et le directeur de l’enquête à l’époque des faits n’est plus à Mayotte mais en Guyane d’où la difficulté de l’entendre avec le décalage horaire. Autre surprise, l’enquêteur ayant mené les investigations en 2019, au moment des faits, ne se rappelait pas grand-chose de cette affaire. Ce qui n’a pas manqué de faire réagir maître Cooper, pour la défense, et maître Mattoir pour les parties civiles en demandant un éventuel report du procès même si elles savaient que cela avait peu de chances d’aboutir. « Il y a beaucoup trop d’absents aujourd’hui madame la présidente alors qu’il y a de nombreuses personnes accusées. J’ai beaucoup de questions à poser aux témoins et aux enquêteurs », a ainsi déclaré maître Cooper.
Dans cette affaire sept individus sont accusés, deux comparaissaient libres, pour l’instant, quatre sont incarcérés à Majicavo et un dernier est à l’hôpital à Nantes, en métropole. Les faits sont graves puisque l’une des victimes a une infirmité permanente de 20% suite à son agression.
Les investigations ont permis de trouver rapidement les principaux suspects même s’ils nient en bloc…
Les faits se sont déroulés le 16 juin 2019 sur les coups de 21 heures, une horde d’une trentaine d’individus, certains le visage dissimulé, venus du quartier de Doujani armés de machettes, de couteaux, de battes de baseball et de cailloux déferlent vers Passamainty pour visiblement en découdre. Plusieurs personnes vont être victimes de leur barbarie dont un jeune adolescent de 13 ans à peine, qui sera atteint d’une infirmité permanente. Une des victimes raconte dans sa déposition que des jeunes sont rentrés chez elle par effraction alors qu’elle dormait, ils l’ont tabassée alors qu’elle était au sol, lui ont donné des coups de couteaux et de batte de baseball et ont dégradé son domicile tout en lui volant son téléphone portable ainsi qu’un ordinateur et d’autres effets personnels. Les gendarmes vont mener des investigations, procéder à des perquisitions et à des arrestations suite aux témoignages des victimes.
Parmi les agresseurs, un était sous contrôle judiciaire et réfute les témoignages le mettant en cause et assure qu’il n’était pas sur les lieux à ce moment-là. Un autre aurait dit à son petit frère en shimaoré lors de son interpellation par les gendarmes « Si tu parles je vais te défoncer ». Les perquisitions se sont révélées fructueuses puisque des habits, des couteaux et des armes ont été retrouvés à leurs domiciles, ou plutôt chez leurs parents où ils vivent. Sur les sept prévenus tous nient leur implication sauf un qui a reconnu les faits en garde à vue et a mis en cause ses comparses. « Les témoignages sont faux » ont-ils déclaré chacun lors de leur interrogatoire. « Ces affaires ne sont pas à moi » dit l’un. Un autre, « Je ne savais pas que ces couteaux étaient à cet endroit ».
La présidente du tribunal, Nathalie Brun appelle un à un les prévenus à la barre. Le premier nie totalement sa présence sur les lieux au moment des faits, un second déclare : « Je suis non coupable », le troisième : « Je n’ai rien avoir dans cette affaire », le quatrième : « Je n’ai rien avoir dans cette histoire », le cinquième : « Je n’étais pas là », quant au sixième, celui qui aurait reconnu les faits, il a préféré garder le silence et est revenu sur ses déclarations faites aux enquêteurs : « Je n’étais pas là. Je ne connais rien à l’affaire, j’ai simplement dit oui ou non aux policiers ».
Une expédition punitive de jeunes venant de Doujani contre des jeunes de Passamainty
La présidente se met à lire la déposition de la jeune victime de 13 ans touchée d’infirmité. Les détails font froid dans le dos : « Je jouais aux dominos quand j’ai vu plusieurs personnes courir dans ma direction, ils étaient armés de machettes, de couteaux, de battes et de cailloux, certains étaient cagoulés, a-t-il dit aux enquêteurs. J’ai eu peur et j’ai couru chez moi. Au bout de cinq minutes je suis sorti pour discuter avec les voisins et voir ce qu’il s’était passé ». C’est alors qu’il aperçoit un autre groupe surgir vers lui : « Je me suis caché pour qu’ils ne me voient pas, je ne pouvais pas rentrer chez moi puisqu’ils bloquaient l’entrée. On m’a vu, je me suis mis à courir… Un individu avait une arme à feu et j’ai entendu un bruit de détonation. Ils m’ont jeté des cailloux, je suis tombé au sol et j’ai reçu des coups de couteau dans l’épaule, le bras et la tête. Plusieurs individus me tenaient et l’un d’entre eux est venu pour me mettre trois coups d’épée à la cheville dans le pied droit et j’ai perdu connaissance. Ils sont partis en me laissant seul ».
Au vu des premiers éléments dans cette affaire il pourrait s’agir d’une expédition punitive et sordide à l’encontre de jeunes de Passamainty avec des victimes choisies au hasard. Au moment de sa déposition l’enquêteur a demandé à la jeune victime : « Pourquoi un tel acharnement ? – Parce que je suis de Passamainty, je vis à Passamainty, c’est pour ça que j’ai été agressé. Je n’ai jamais eu de problème, je n’ai jamais fait partie d’une bande, je n’ai jamais eu de menaces. Je reste souvent chez moi avec mes parents », a répondu le jeune garçon.
Ce procès va ainsi durer six jours, le temps d’entendre les différents témoignages, d’interroger longuement les accusés sur les faits ainsi que d’écouter les conclusions des experts psychologues et psychiatrique sur les personnalités des mis en cause. Les plaidoiries des différentes parties et le réquisitoire de l’avocat général, Albert Cantinol, auront lieu en début de semaine prochaine.
B.J.