À la genèse de cette photographique odyssée, l’artiste Jean-Louis Saiz qui, au moyen d’un moderne daguerréotype désormais numérisé est venu saisir et immortaliser des centaines de visages sur notre caillou reculé. Un caillou peuplé de femmes, issues de divers milieux sociaux, qui incarnent toutes le combat commun de revendiquer de manière plus ou moins silencieuse la digne place qui leur est due et ce, en un monde aux codes prioritairement patriarcaux.
Une constatation faite en d’autres endroits de ce globe, notamment en territoires ultramarins où le travail du photographe précité s’inscrit dans cette volonté de créer un grand tout et une mise en lumière, en l’honneur de ces guerrières de l’ombre, multiculturelles qui revêtent bien des capes tout au long de leur vie et ce, même dans leur simple quotidien.
« Prendre des clichés sans clichés » et viser avant tout le naturel et la simple beauté, sans artifice ni perpétuelles fioritures, désormais coutumières en cette société où le culte des selfies filtrés est légion, tel est le résultat de l’œuvre intitulée Mama Mlezi. « Ce projet est né d’une rencontre, en Martinique » nous confie le directeur, Hugues Makengo, « Nous avons tous des mamans, des soeurs, des tantes, des cousines et c’est un constat indéniable que d’admettre que leurs droits ne sont pas similaires et égalitaires à ceux des hommes. Les mettre à l’honneur au moyen de ce livre c’est offrir un support afin d’ouvrir les débats et cette action vise à s’inscrire dans le temps, auprès de divers acteurs et pas uniquement ce jour ».
Pas qu’un one-shot
Amorcé en fin d’année 2022, ce travail avant tout de rencontres, d’écoute et de terrain avait livré ses premières esquisses lors de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mai dernier, au moyen d’une exposition grand public sur le parvis du Comité de Tourisme à Mamoudzou.
« Nous souhaitions que le message passé puisse être matérialisé et surtout, reste dans le temps » souligne Jocelyne Larue-Joachim, directrice du Pôle Solidarité Mlezi, dont le service Espace vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) est pleinement impliqué dans ce projet. « Le sens même de ce livre se veut de raconter une histoire que chacun ouvrira, présentera, décortiquera. C’est avant tout un support de départ pour entamer des discussions. Nous avons déjà des demandes de documentalistes, de professeurs, de psychologues ou encore de partenaires associatifs pour acquérir ce livre. Le but étant qu’on puisse le trouver facilement, établissements scolaires inclus. Nous avons volontairement amorcé son lancement officiel dans une approche participative afin de voir si ce concept de café-débat, sur ces vastes sujets des droits des femmes, du droit à disposer de leur image, de l’émancipation sociétale ou encore des violences conjugales, pouvaient prendre et cela semble effectivement prometteur. Il n’est pas question de créer de la stérile polémique mais bien de faire avancer les choses en bousculant parfois un peu les vieilles mentalités ». Disponible également à la vente en ligne, au coût unitaire de 15 euros, les fonds seront directement reversés à l’Evars afin de contribuer et soutenir leurs diverses actions publiques.
Égalité, parité, quelle est finalement la place des femmes dans cette société ?
Segmentée en 2 temps d’échanges, la première table d’invités/intervenants était notamment composée d’hommes tels que le conseiller départemental Elyassir Manroufou dont la vision de la Femme, également dans le paysage politique mahorais est très pertinente : « Il faut être honnête, oui, nous avons une cellule départementale composée de 13 hommes et 13 femmes mais cela a été, d’une part, forcé et d’autre part, il faut aussi voir réellement la place et le rôle qu’occupent les hommes en comparaison des femmes. Il faut pouvoir avec transparence impulser collectivement cette pleine égalité mais tout le monde doit être acteur de ce mouvement, les femmes incluses. Ce genre de support est une innovation et il faut l’encourager pour ne pas que cela finisse simplement dans une bibliothèque et que rien ne change. Poussons vers des cours de parité à l’école, sensibilisons aussi les mamans pour qu’elles ne reproduisent plus ce qu’elles ont vécu et continuent, de manière plus ou moins conscientisée, à transmettre ce poids restrictif auprès de leurs filles. On peut trouver des solutions aussi dans le respect des traditions. Chaque personne sur ce territoire en pleine mutation a son rôle à jouer et il est important que la jeune génération le comprenne ».
Réseaux sociaux : le poids des maux, le choc des photos …
Faire la part des choses entre ce qui doit rester de l’ordre du privé et ce que je peux exposer ? Exposer quoi ? Comment ? Et surtout à quel prix ? À quel degré de perfide recherche de perfection je me dois d’exister ? Cliché et sourire parfaits, ma quête de reconnaissance et, au final, d’existence est sans fin traduisant avant tout un vide intérieur que j’essaie de compenser au moyen d’un virtuel apparat extérieur, bien souvent très formaté, emprunté à des codes communautaires. En somme, j’essaie de m’émanciper du carcan familial pour finalement replonger dans les dérives d’autres communautés et ce poids est lourd à porter, qu’il soit dématérialisé ou concret.
Nos jeunes générations ne sont pas épargnées et cette superficialité engendre malheureusement beaucoup de désagréments psychologiques. Les tristes faits-divers de suicide en rapport avec cette thématique ne me feront guère mentir. Nos citoyennes de demain ne sont pas en reste portant ainsi, et au final, une double peine relative à la pression des réputation et tradition qui se doivent d’évoluer et cette image inconsciente de la Femme que ce monde souhaite restrictivement imposer : « Parce que certaines choses sont dures à vivre, nous pouvons voir des jeunes filles de mon âge utiliser leurs réseaux sociaux un peu comme une sorte de drogue et de thérapie et c’est là le danger. Le problème ne vient pas de l’outil en lui même mais de ce qu’on en fait » nous témoigne Narma Moussa, en terminale au Lycée Younoussa Bamana et présente à cette matinée d’échanges avec d’autres camarades de son établissement : « Bien sûr qu’il y a eu des évolutions entre les précédentes générations et la nôtre; bien sûr qu’il nous est souhaité de nous épanouir et de nous émanciper mais pourtant dans les faits, regardez ma propre mère par exemple, son discours c’est que si je quitte la responsabilité de mes parents, c’est pour entrer sous la responsabilité de mon mari. Et lorsqu’on leur expose nos aspirations de vie, nos schémas désirés et bien il nous est rétorqué que cela est un peu trop occidentalisé. Il perdure cette éducation du garçon roi et de la fille qui aide aux tâches ménagères. Lorsque j’ai annoncé à mes parents que je voulais plus tard devenir pilote la première réaction a été : Pilote ? C’est un travail d’homme ! Il faut que l’éducation transmise évolue sinon les mentalités ne changeront jamais et la fausse indépendance via les réseaux sociaux n’est qu’une illusion ».
Une réflexion mature, riche de ses bons sens que l’on souhaiterait voir massivement se ramifier en bien des foyers, premier lieu de socialisation, rappelons-le, et tatouage souvent indélébile qui conditionnera tout un chemin de vie…
Vers la prise de conscience
Rome ne s’est faite en un jour et l’accès au statut de Femme du Monde non plus, tout comme la mahoraise d’ailleurs où finalement cette étiquette de société matriarcale n’est qu’une toute petite pièce parmi un grand puzzle de challenges. Est-ce qu’un homme pas rasé, arrivant le matin à son bureau sera source de croustillantes discussions ? On est bien d’accord, non ! En est-il même cas si la femme mahoraise décide de ne pas se maquiller pour aller travailler…? Nous connaissons déjà la réponse et bien souvent, les remarques partiront justement du côté féminin. Où commence la notion de féminité et comment sont réellement définies les compétences ?
Vaste débat qui trouve toujours plus ou moins réponse dans les grandes lignes de l’image qu’on donne et, surtout, celle de »qu’est-ce qu’on va penser de moi ? » Et ce rapport inégalitaire Homme-Femme n’est pas qu’une lubie des féministes mzungus comme le rappelle Taslima Soulaimana, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte : « L’Égalité, c’est faire en sorte qu’une femme puisse vivre dignement comme elle l’entend, avec acceptation et en sécurité tout simplement. Les violences conjugales font aussi partie de ce combat. Lorsque j’aborde cette notion d’égalité, tout de suite on lève les yeux au ciel et on me dit mais c’est quoi ce concept venu d’ailleurs ?! À Mayotte, soyons honnête, le regard de l’autre a tellement de force que cela va jouer sur mon comportement de femme. Et oui, cela va influer sur un tas de facteurs d’apparence et de codes que je m’impose. La Femme mahoraise doit pouvoir faire les choses par envie et non par obligations issues d’un tas de mélanges d’ordre traditionnel ou encore religieux mais toujours lorsque ça arrange les hommes au final . En avoir conscience est déjà un grand pas. Il faut prendre le temps de se questionner et d’analyser en profondeur pourquoi réellement je fais telle ou telle chose et ne pas agir par peur ou parce qu’on m’a dit de faire (…) Au début, lorsque l’on m’a parlé de ce projet de livre, je ne comprenais pas bien comment l’approche artistique pouvait nourrir ce combat égalitaire. Aujourd’hui je suis persuadée qu’il faut saisir toutes les options possibles pour élargir les horizons et toutes les pistes sont bonnes à explorer pour oeuvrer pour la cause des femmes. Cette matinée d’échanges est également enrichissante pour actualiser nos axes de travail et nourrir des réflexions. Donc premier pas, on éveille les consciences, second on change les choses ! »
C’est donc un petit pas pour Mlézi et un grand pas pour la Femme mahoraise (ou l’inverse) qu’amorce cet ouvrage que nous avons parcouru avec vif intérêt découvrant bien des traits de visage et des regards parlants plus que des mots pourraient le faire. Toute étape de saine évolution est à soutenir, alors souhaitons que notre dynamique 101ème département français poursuive, malgré les nombreux enjeux et défis, cette voie aussi de sa propre émancipation qui passe par celle de ses femmes, filles et mères. Ainsi le disait Simone de Beauvoir : « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres… ».
MLG