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Mamoudzou

Entretien avec le directeur du CHM

Au regard d’une actualité qui se veut effectivement complexe et pointée du doigt par certains, nous avons souhaité, entre 2 portes et ce, de manière totalement informelle, poser quelques questions directement au Directeur du CHM, Jean-Mathieu Defour, à l'issue de la cérémonie qui animait ce jeudi, le Centre hospitalier de Mamoudzou.

JDM : De vous à moi, mais que se passe-t’il au CHM ? Est-ce tant la crise que cela ? 

Jean-Mathieu Defour : Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette problématique de désertification dans le milieu hospitalier et même médical, de manière générale, ça touche tous les territoires. Au regard du profil des besoins sur Mayotte, oui les services d’urgences sont indispensables car cela représente 90% de la patientèle mais sur ces 90%, seuls 10% relèvent réellement d’urgences graves. La majorité des gens viennent dans une démarche de consultation, ce qui n’est pas la fonction première des urgences. Nous nous sommes donc recentrés sur ce service afin d’inviter les gens à appeler d’abord le 15 avant de se déplacer. Le but étant de réguler en amont afin d’éviter une suractivité inutile du service concerné. C’est ce qui se passe par exemple au CHU de Bordeaux ou ailleurs, c’est une procédure normale.

Le Centre Hospitalier de Mayotte compte près de 3 000 agents

JDM : Je vous interromps mais on nous parle justement de décentralisation des appels d’urgence vers le Centre hospitalier réunionnais, est-ce le cas ? Et surtout pourquoi ?

Jean-Mathieu Defour : Au regard du nombre de médecins urgentistes qui ne sont pas tous régulateurs, nous avons souhaité sécuriser ce service et nous sommes effectivement tournés vers le CH de la Réunion afin de leur demander, au cas où, en fonction des plannings et médecins régulateurs ou non présents, d’assurer un renfort veille. Nous avons fait un premier test concluant et, en toute objectivée, cela ne change strictement rien pour les gens qui appellent; ils tombent sur un médecin régulateur point final. À l’issue de cela, le médecin régulateur réunionnais contacte ou non les agents de la régulation médicale ici. Alors oui, cela fait un petit décalage mais bon, ça marche très bien. Il faut comprendre que c’est un dispositif de complémentarité qui n’est pas du tout régulier; c’est vraiment lorsque notre garde ne comporte pas de médecins régulateurs; c’est à peu près 8 fois dans le mois ! 

JDM : Le service des urgences justement, cela semble plus que problématique depuis un certain temps ? Je nuance mais il semblerait qu’il gronde un fort mécontentement…

Jean-Mathieu Defour, Infirmier de formation et ancien directeur général des centres hospitaliers de Bastia, d’Ariège-Couserans ou encore de la Guyane de l’Ouest

Jean-Mathieu Defour : Lorsque j’ai pris mes fonctions en avril 2022, j’ai été alerté par un certain nombre de médecins m’indiquant qu’il y avait quelque chose d’incompréhensible en comparaison de la Métropole en lien avec une gestion des temps administratifs alors qu’il devrait normalement être question de temps auprès de patients. Du coup, c’est quelque chose de totalement dérogatoire ici et pour essayer de clarifier tout cela et calmer le jeu des incompréhensions en interne, j’ai fait venir au CHM, en mars dernier, la Société française de médecine d’urgence (Sfmu) dans le cadre d’un audit qui m’a rendu la conclusion suivante : il faut arrêter cela de suite ! Nous avons donc mis en place une régularisation normée de tout cela, ce qui n’a pas plu à certains. Mais en aucun cas, le but était de rompre le dialogue et complexifier la situation, bien au contraire. J’ai même indiqué que faire intervenir le mode législatif de vigueur serait complexe, à la fois pour la direction de l’établissement mais aussi, et surtout, pour les médecins concernés. Donc, pour éviter d’en faire appel à un juge, tout en revenant dans la légalité de ce qui nous est demandé nationalement, nous avons avancé qu’il serait plus simple pour tout le monde de réguler cette situation en demandant aux médecins en question de nous redonner les heures qu’ils nous devaient; il y en a même un pour qui il est question de 500 heures à nous retourner. Encore une fois, tout cela s’est fait dans une volonté de dynamique simplifiée.

JDM : Cela semble loin d’être le cas pourtant. De nombreux commentaires sur réseaux sociaux ou bruit de couloir parlent d’une vague massive de démissions de vos médecins, notamment en lien avec ce service des urgences…

Jean-Mathieu Defour : Je peux vous assurer qu’il s’agit que d’un petit nombre au niveau du service des urgences. Nous n’avons strictement aucun problème avec l’ensemble de nos médecins ici au CHM et pourtant ils travaillent tous comme des fous avec du 60 heures semaine; c’est pareil pour nos urgences. Et pour les difficultés revendiquées justement par cette minorité de médecins, nous sommes, encore une fois, ouverts au dialogue pour solutionner tout cela.

Aux dires de la direction du CHM, les urgences saturent de consultations qui n’ont pas lieu d’être et qu’il faut agir en ce sens pour soulager le service et le personnel concernés

Le dialogue n’a jamais été rompu mais personne n’est réellement venu nous voir depuis, voilà la réalité. Et concernant ces histoires de démissions, je n’en ai aucune pour le moment. Toutes ces personnes sont encore dans nos effectifs. En congés, en arrêt maladie ou autre forme de mise en sommeil de leur contrat mais non, aucune démission ! Nous verrons à leur respectif retour s’il y a ou non échange et dialogue et ceux qui souhaiteront partir et bien que dire, nous ne pourrons faire plus. Je reconnais sans aucun souci que ces médecins ont travaillé mais il est normal et important de rentrer dans la réglementation nationale, voila aussi la réalité. On ne leur a pas demandé de payer ces heures justement, on a juste tenté de simplifier l’harmonisation législative d’une situation qui n’a plus lieu d’être. 

JDM : En parlant d’implication de travail et d’engagement, je fais un parallèle obligatoire au regard de la situation des sages-femmes, surtout ici à Mayotte. Pouvons-nous en parler ?

Jean-Mathieu Defour : Alors pour le coup, c’est très compliqué pour elles au regard des fermetures et centralisations récentes en plus de leur masse de travail habituelle. Il n’y a clairement plus de sages-femmes. Il n’y a pas de soucis revendicatifs c’est juste qu’il s’agit d’une crise d’attractivité nationale qui s’est aggravée avec les années. Les promotions dans les écoles sont de plus en plus vides. Et tous les directeurs d’hôpitaux s’arrachent les cheveux. Je vous mets dans la confidence, je me suis attiré les foudres du directeur du CH de la Guyane car j’ai réussi à embaucher 2 sages-femmes venant de là-bas ! On en est là.

Maternité, CHM, sage-femme, Mayotte, Réserve sanitaire
Depuis ce début juillet, les maternités de Dzoumogné et Mramadoudou sont fermées recentralisant ainsi les consultations sur d’autres centres

JDM : Permettez-moi l’expression mais leur statut est tristement bâtard au regard de leurs responsabilités et missions, non ?

Jean-Mathieu Defour : Mais je vous rejoins tout à fait. Elles sont clairement entre deux eaux et il faut clarifier cette situation. Que les choses soient claires, moi, je les considère comme des médecins; elles sont d’ailleurs gérées par les Affaires médicales et par la Commission médicale d’établissement (CME), ce sont des médecins ! Les médecins ont le droit aux congés bonifiés mais pas les sages-femmes parce qu’elles ne sont pas répertoriées personnel hospitalier (PH). Le problème c’est que le statut juridique ne suit pas et pour cela, je n’ai pas le pouvoir d’en changer. 

JDM : Au regard de nos besoins cruciaux ici à Mayotte et de cette indispensable revalorisation du statut de sage-femme, n’avez-vous pas possibilité de faire remonter quelques informations de poids, pour justement faire enfin évoluer les choses auprès des hautes sphères ?

Jean-Mathieu Defour : Oui, j’ai déjà échangé, alerté et même saisi l’ARS et nous avons fait remonter une note demandant effectivement qu’il soit trouvé des solutions pour Mayotte en termes d’attractivité et de cohérence. Pour l’ensemble du personnel hospitalier en général d’ailleurs et pas uniquement ceux qui viennent de l’extérieur. C’est très important. Par exemple, une aide d’installation de 10 000 euros qui peut être accordée à une sage-femme venant d’un territoire, hors Mayotte, doit aussi avoir une équivalence pour les sages-femmes qui sont là depuis des années. Je travaille donc avec l’ARS aussi là dessus pour trouver des solutions.

L’échographie est par exemple un des actes médicaux pour lequel les sages-femmes sont habilitées et compétentes (©Alain Guiomard, CNOSF)

JDM : Un dernier mot avant que je vous libère, sachant que je vous ai limite sauté dessus, au sortir de cette cérémonie de remise des médailles d’honneur ?

Jean-Mathieu Defour : (sourire) Je sais que mon rôle de directeur fait qu’il est normal et plus facile de me faire passer pour le méchant de service, c’est le jeu ! Mais au regard de mon amour pour ce métier, pour le corps hospitalier dans sa globalité, pour les personnes engagées au quotidien et toutes les enrichissantes expériences humaines antérieures que j’ai aussi pu vivre en différents territoires, je peux vous assurer que je suis une personne lucide, juste et surtout reconnaissante. Je remercie sincèrement, et j’insiste, l’ensemble des personnels du CHM pour leur implication. Merci aux médecins pour leur travail extraordinaire. Le dialogue sera toujours ma priorité première.

Propos recueillis par MLG

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