Justice : prison ferme pour cet intermédiaire entre voleur et volé, « je voulais l’aider ! », plaide-t-il

Comme une strate supplémentaire dans l’économie informelle, une profession fait florès à Mayotte, celle de « broker » d’objets volés. Cet intermédiaire entre un acheteur et un vendeur s’est positionné avantageusement, et un code bien particulier semble régir la « profession ».

Le mois dernier, Arthur* se plaignait du vol de son scooter sur Kawéni. Peu de temps après, il a eu l’opportunité de le racheter au garage qui recelait, intentionnellement ou pas, le deux roues à Majikavo Koropa. Non sans l’avoir signalé à la gendarmerie, assure-t-il.

C’est une tout autre affaire qui était jugée ce mardi à la barre, mais sur la même thématique. Si c’est pour ce genre de commerce d’objets volés que H. A. était au tribunal ce mardi matin, ce qui justifiait son arrivée menottes aux poignets dans la salle d’audience ce sont des faits bien plus graves, dont un mandant de dépôt pour tentative d’assassinat.

Dreadlocks coupées court, c’est en trainant des tongs que le prévenu arrive à la barre. Âgé de prés de 20 ans, il a assuré le service après-vente d’un vol à l’arraché commis à Ouangani le 17 mai 2022. Ce jour là, S.M. aperçoit trois personnes tournant autour de son scooter. L’une d’elle son une machette de son pantalon, le menace, et lui vole sa sacoche et son scooter. Il part à leur poursuite et a le temps de les identifier. La gendarmerie est contactée. Et reçoit un appel le lendemain de la victime indiquant que ses agresseurs sont d’accord pour lui restituer ses biens à condition de les payer. La sacoche contenant sa carte d’identité, sa carte grise, une carte bleue, un disque dur, un ordinateur portable, 50 euros et des documents de la Croix Rouge, il tente le coup.

Rendez-vous est donné dans un « quartier hostile » et à la tombée de la nuit, rapporte le président de l’audience, Bruno Fisselier. La victime reconnaît deux personnes, un des voleurs, et H.A. avec lequel il aurait cohabité pendant une période. Il parvient à le filmer. « Vous aviez les cheveux jaunes avant ? », interroge le juge, « Oui », répond le prévenu, français, sans profession.

Une des deux salles d’audience du TJ

Une réalité « vertuelle »

Les échanges qui suivent entre la collégialité de juges et le prévenu sont « totalement décalés », comme le fera remarquer une assesseur, la juge Julie Vignard.

« Pourquoi la victime du vol s’adresse à vous pour récupérer ses affaires ? » – « Parce qu’on se connaissait, on avait cohabité ensemble un moment. » – « Vous vous rendez-compte que c’est une extorsion par la violence ? » – « Pas du tout ! S.M. m’a proposé 250 euros pour récupérer ses affaires volées, et m’a assuré qu’il n’y aurait pas la gendarmerie. C’est dommage qu’il ne soit pas là pour témoigner, il était d’accord pour que je l’aide. J’ai gardé 50 euros et j’ai donné 200 euros à celui qui avait la sacoche. » – « Vous avez l’air de penser que c’est légal ce que vous avez fait ! » – « De toute façon, il fallait bien qu’il trouve un moyen de récupérer ses affaires ! »

Le petit monde du prévenu semble s’être organisé autour de ce que le juge appellera « un marché aux voleurs », une place parallèle où s’échange, tel un broker des quartiers chauds, des marchandises dérobées. Il a fallu toute l’énergie du président pour remettre à l’endroit ce monde à l’envers, et faire un semblant de cours de moral, « on ne discute pas entre voleurs et victimes du vol, sauf si l’auteur des faits décide de restituer gratuitement. Là, vous m’auriez entendu vous féliciter ! »

Surnommé Jackson, le prévenu avait été médiateur devant le lycée de Kahani pour lequel il était rémunéré 600 euros. De quoi payer les charges de sa familles, veut penser le juge, ou investir dans des bouteilles d’alcool qu’il convient consommer.

Rappelant que la confrontation de Jackson devant la justice à commencé au tribunal pour enfant, la vice-procureur réclamera 12 mois de prison avec mandat de dépôt. « Une peine trop dure », lâchera-t-il. La collégialité le condamnera à 6 mois de prison ferme qui se rajouteront à sa peine actuelle.

Une audience qui révèle le gros travail à mener en prison et par les associations de prévention de la délinquance pour rappeler la frontière qui sépare les actes légaux de ceux qui amènent leurs auteurs devant la barre des tribunaux.

Anne Perzo-Lafond

* Prénom d’emprunt

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