Il n’est apparemment pas trop tard pour choisir la meilleure structure chargée de chapeauter l’ensemble des transports de Mayotte. Il s’agit de mettre en musique le paysage de mobilité qui se dessine peu à peu : transports urbain, interurbain, navettes maritimes, barges, taxis, vélo, moto, etc. Et pourquoi pas téléphérique ?! Les élus ont délibéré le 13 avril dernier sur le « principe » de la création d’une Entreprise Publique Locale (EPL), qui a été longuement débattu en raison des arguments avancés par l’opposition.
L’Etablissement public local est une organisation qui remplit une mission d’intérêt général, sous le contrôle de l’État ou de la collectivité territoriale dont il dépend (région, département ou commune). Elle est autonome dans son fonctionnement et dans sa gestion financière La co-leader de l’opposition Hélène Pollozec interrogeait sur l’intention de faire entrer des capitaux privés ou de rester à 100% sur fonds publics. L’EPL peut-être une société d’économie mixte, une société publique locale (SPL) ou une société d’économie mixte à opération unique. Or, la collectivité a déjà créé une SPL, rappelait Daniel Zaïdani, ancien président du conseil départemental qui sait de quoi il parle pour avoir initié cette société d’aménagement. Des déboires avaient suivi la création de la SPL976, avec la condamnation judiciaire de son initiateur et de son directeur pour atteinte à l’égalité de marchés publics, et défaut de réalisation malgré les sommes engagées.
C’est pourquoi, sans prêter à l’équipe actuelle des intentions détournées, la création d’une nouvelle société « autonome dans sa gestion financière » pour gérer la mobilité sur l’ensemble du territoire doit être regardée de prés.
« Chacun s’active dans son coin »
Nous avons interrogé Mohamed Hamissi, expert dans ce domaine, et actuel Directeur PCAET, et mobilité à la communauté de communes de Petite Terre. Pour lui, on prend le problème à l’envers, il met en garde contre de grosses difficultés si la démarche est maintenue. « Le conseil départemental a perdu la main sur sa compétence mobilité, il doit donc mener une action concertée avec les autorités organisatrices que sont notamment les communautés d’agglomération. Mettre en place une autorité unique serait une erreur. »
Pour étayer sa déclaration, il part de la situation actuelle à la fois sur nos routes et sur le plan législatif.
« Les travaux de Caribus, bien qu’en retard sur l’agenda, se rapprochent et d’ici deux ans, la suppression des 345 places de parking entre le marché et le camion blanc, va rendre la circulation impossible comme nous l’avions prédit il y a un an. La CADEMA prévoit des navettes maritimes, mais on ne pourra contraindre les usagers à les prendre, la loi d’orientation des transports intérieurs est très claire sur le sujet du choix des usagers. Je pense que le vrai danger vient de ce que chacun s’active dans son coin, les autorités organisatrices du transport ne communiquent pas. Nous avions parlé dans vos colonnes de guerre des modes, nous y sommes. »
Parmi les 4 missions allouées au transport public, l’une est sociale « en permettant aux populations aux revenus modestes notamment les étudiants et les retraités de bénéficier d’une diversité de modes de transport, ce qui implique de mener une enquête pour cibler ces populations et répondre à leurs besoins », et une autre vise la décongestion que va permettre le Bus à Haut Niveau de Service, le BHNS de Caribus, « qui ira presque six fois plus vite sur sa voie dédiée. Mais pour cela, il faut inciter les gens à laisser leur véhicule ».
Il ne faut donc pas prendre le problème à l’envers, et « d’abord savoir quels sont les besoins pour établir ensuite quelle sera la nature de la coopération à mettre en œuvre pour un fonctionnement optimum. »
Trois lignes pour une desserte
Ces objectifs, qui doit les mener ? « La loi mobilité de 2019 a revu en profondeur la gouvernance de la mobilité, et a fait évoluer vers des projets de grande envergure. La Région a compétence sur la mobilité, donc ici la collectivité unique, à laquelle se rajoutent désormais les communautés d’agglomérations, la CADEMA et le Grand Nord (CANM), ainsi que deux intercommunalités qui ont délibéré pour l’exercer, la CCSud et le Centre ouest. Le conseil départemental n’est donc plus la seule autorité organisatrice et doit coopérer avec les autres. »
Pour exemple, les deux projets de la ligne interurbaine que menait le conseil général de l’époque et la ligne urbaine de Mamoudzou ce sont muées en une multitude de projets : « Celle de Mamoudzou est désormais menée par la CADEMA, la communauté du Grand Nord a lancé une étude pour un transport public de Acoua vers les Hauts-Vallons, et chaque autorité organisatrice que nous avons citée va faire de même. Le conseil départemental doit donc redéfinir sa place. »
Il cite plusieurs exemple : « Lorsque la CANM va mettre en place son transport public, la ligne du conseil départemental qui va couvrir aussi le Nord, va se retrouver en concurrence et sur les mêmes infrastructures. Et les navettes maritimes que le département veut mettre en place de Dzoumogne à Mamoudzou vont elles aussi faire concurrence. Nous avons donc trois lignes qui ont même fonction, même destination alors que des collectivités sont en crise financière… C’est du jamais vu ! Autre exemple que nous avons donné, sans concertation avec la CADEMA, le conseil départemental va-t-il pouvoir emprunter la voie dédiée au bus à HNS ? Et les taxis ? Ils voudront faire comme les pompiers et les ambulances et prendre cette voie rapide… qui ne le sera plus. On voit donc qu’il faut une organisation de l’ensemble ».
Un cerveau coordonnateur pour un seul billet
Et pour Mohamed Hamissi, c’est justement au conseil départemental de le faire : « Il a perdu une partie de ce qu’il pouvait faire il y a dix ans, il doit maintenant travailler avec les autres. En plus la Loi d’Orientation des Mobilités place le conseil départemental comme chef de file de l’intermodalité, au titre de la Région, il doit donc créer un espace de coopération entre tous les acteurs de la mobilité.
Une responsabilité à enjeux pour le Département : « Il s’agit d’aménager les pôles d’échange, de répondre présent en cas d’utilisation dégradée d’un des transports, de gestion des horaires et des tarifs, en gros, d’assurer une bonne connexion de l’ensemble des modes de transport pour un usager qui se rendrait par exemple du sud vers l’aéroport avec la possibilité d’acheter un seul billet. Et on peut y intégrer les taxis. »
Et il explique qu’il existe un outil pour à la fois organiser la chaine des déplacements dans un contexte de budgets contraints des collectivités, à la fois coordonner des modèles économiques différents entre les navettes maritimes et les bus, et enfin étendre au besoin les réseaux de transport : « Cet organe de gestion idéal, c’est le syndicat mixte intermodal, assure Mohamed Hamissi, les autorités organisatrices sont libres d’organiser leurs transports et le conseil départemental coordonne. Il faut qu’un usager puisse appeler une centrale de réservation qui sera créée, pour signaler un dysfonctionnement sur une ligne et prendre des renseignements sur les tarifs. Ce syndicat n’est pas lourd à mettre en place, dix personnes tout au plus. »
Il met en garde sur la solution qui pourrait être retenue d’une autorité unique, « on voit les difficultés que cela pose à La Réunion qui a adopté la formule d’un simple syndicat mixte dont la gestion a été critiquée par la Chambre régionale des comptes pour l’absence de projets d’envergure, et des divergences politiques. A Mayotte, c’est maintenant que toutes les autorités doivent faire émerger leurs projets en plaçant l’usager au centre des débats. »
Anne Perzo-Lafond