C’est un nouveau courrier sur la pénurie d’eau adressé par Anchya Bamana, fille de, mais aussi ex-maire de Sada et ex-présidente du Comité de l’Eau et de la Biodiversité de Mayotte (CEB). Au nom de son parti Maoré solidaire, elle lance un cri d’alarme comme l’ont fait les deux députés mahorais. Exposant les facteurs aggravant du déficit pluviométrique et d’approvisionnement en eau, « explosion démographique, déforestation massive, artificialisation des sols, assèchement des zones humides, croissance des besoins en eau pour les activités humaines et économiques », l’ancienne élue demande la construction en urgence d’une usine de dessalement.
Le problème, c’est que les mots « urgence » et « usine de dessalement » ne vont pas ensemble, nous avait expliqué le directeur du syndicat Les Eaux de Mayotte, Ibrahim Aboubacar, lors de l’extension manquée de l’usine de Petite Terre en 2017. L’étude des marées, de courantologie, de l’apport en eau sur la zone, doit se faire sur au moins une année, au risque de déposer les drains dans une mauvaise zone, « et de pomper dans ce qui était annoncé comme un trou bleu et qui s’avère être un trou marron ». A force de vouloir agir dans l’urgence, le résultat s’était avéré contre-productif, les osmoseurs ayant lâché, la production chutait. Ce fut le même sort qu’avait connue l’usine de dessalement de Petite Terre actuelle, envisagée en 1996, opérationnelle en 1997, mais pas au niveau de production escompté faute d’études préalables.
C’est pourquoi la nouvelle extension qui nous délivrera 2.000m3/jour ne sera livrée que fin 2023. La 2ème usine sur Grande terre dont les études sont lancées, ne sera livrée qu’en 2026.
Du champagne au goût amer
Si cette usine de dessalement apparaît comme la solution, bien que très énergivore, par ces temps de disette en pluies, créer une 3ème retenue collinaire reste indispensable, car jusqu’à présent, ce sont celles de Combani et de Dzoumogne qui nous permettent de faire le pont d’une saison des pluies à l’autre. Cette 3ème retenue*, toujours annoncée, jamais concrétisée, on pensait qu’elle allait voir le jour lorsqu’en février 2017 le président du syndicat des Eaux Moussa Mouhamadi Bavi avait débouché une bouteille de champagne autour de la signature avec les détenteurs du foncier, une partie des héritiers Bamana.
Car les démarches pour trouver les 52 hectares nécessaires avaient débuté alors que le patriarche Younoussa Bamana était encore vivant, nous rappelle Soulaimana Bamana, le gestionnaire du dossier pour la famille, que nous avons joint au téléphone : « Mon père s’était engagé à faire un don de 7 hectares de terrain, situé à Ouroveni, pour la construction d’une retenue collinaire, et la parole du père, c’est sacré ! »… Avec une durée dans le temps apparemment, et une péremption de 20 ans, qui se sont écoulés, les héritiers multipliés, et le foncier transformé en rareté. Qui a un prix. « Comme la superficie du projet s’est accrue avec un besoin de 15 hectares, nous les mettons en vente », explique-t-il sur un ton agacé d’être pointé du doigt comme effet bloquant du dossier.
Pas de provision, pas d’expropriation
Lors de la signature de la cession de foncier au Syndicat des Eaux en 2017, un accord avait été trouvé avec Bavi sur un prix, nous confirme-t-il, « mais ensuite, le maître d’œuvre n’a pas bougé, or, il doit s’engager. »
En effet, des tractations menées par le Syndicat des Eaux avaient permis d’aboutir à des accords notamment sur un troc pour un autre terrain sis à Bandrélé, appartenant au conseil départemental qui mettait donc aussi la main à la poche.
Mais ensuite, plus rien. Une demande de Déclaration d’Utilité Publique* (DUP), induisant l’expulsion des propriétaires avait été formulée auprès de la préfecture par Bavi, mais du côté de la préfecture, on nous répond que le dossier n’étant pas complet, « nous lui avons demandé de le finaliser, mais sans réponse. » Selon nos informations, le Syndicat des Eaux (Sieam à l’époque), aurait du provisionner une indemnité à allouer aux propriétaires lors d’une expropriation, mais n’en avait pas les moyens. Il faut dire que les détournements sous l’ère Bavi avaient été pointés par la Chambre régionale des comptes, qui avaient donné lieu à son placement en garde à vue, et une perquisition du parquet national financier.
Donc qui pour dédommager les héritiers Bamana ? Un feuilleton asséchant pour ceux qui l’ont suivi, et pour la population qui ne peut bénéficier de cette indispensable 3ème réserve d’eau que le Mzé avait bien anticipée.
Anne Perzo-Lafond
* De 30 mètres de haut pour une capacité de stockage de 3 millions de m3, elle devait voir le jour en 2016, sise sur la rivière MroOurovéni, à proximité de l’embouchure de la baie de Tsingoni, en aval du barrage de Combani dont elle devait récupérer le trop plein
** La DUP « travaux » est une procédure qui permet de réaliser une opération d’aménagement sur des terrains privés par le biais d’une expropriation pour cause d’utilité publique.