Mois sacré dans l’Islam qui comporte certaines abstinences entre les levers et couchers du soleil, le Ramadan peut toutefois être aussi un choix cornélien, en raison de divers facteurs socio-culturels, pour les musulmanes du monde entier, croyantes, pratiquantes et enceintes qui aspireraient à se priver de besoins élémentaires tels que boire et manger. Une privation qui n’est pourtant pas directement imposée par le Coran et ses autorités religieuses, néanmoins qui perdure à travers le temps, passant souvent outre l’avis médical, lorsque celui est consulté. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Cloé Mandard, présidente du Conseil départemental de l’ordre des sages-femmes de Mayotte (Cdosf976), administratrice Repema et sage-femme depuis 2013 afin de comprendre plus en détail les risques encourus pour les mamans mais aussi leur enfant.
JDM : Quelles potentielles ou concrètes complications encourent une mère et son foetus si elle décide finalement de pratiquer le jeûne ?
CM : Le jeûne entraine des perturbations métaboliques importantes qui sont difficiles à supporter pour le corps humain de façon générale. Cela est d’autant plus vrai lorsque la femme est enceinte car elle a besoin d’apports énergétiques pour elle-même et son foetus. En effet, le métabolisme de la femme est déjà perturbé par la grossesse sous l’influence des hormones, notamment lors des deux premiers trimestres, pour contribuer à faire des réserves. Ainsi, au troisième trimestre, le foetus va puiser dans les réserves maternelles pour grandir correctement (2/3 de son poids final).
Jeûner au premier trimestre peut entraîner une augmentation des symptômes de début de grossesse : nausées, vomissements et fatigue. Cela semble être mieux toléré durant la seconde phase mais très difficile au dernier trimestre : malaises fréquents et un bébé plutôt apathique qui bouge moins. La déshydratation peut entrainer des infections urinaires chez la femme enceinte augmentant les facteurs de risques de menace d’accouchement prématuré.
Par ailleurs, les hypoglycémies répétées entraînent des troubles neurologiques chez le foetus. Si l’apport énergique est insuffisant chez la mère pendant ce mois de jeûne, cela engendre des répercutions directes sur le foetus pouvant compromettre sa croissance. Enfin certaines études montrent une diminution de la quantité de liquide amniotique.
Et concernant une maman qui allaite ?
CM : La déshydratation et la fatigue maternelle peuvent entrainer une diminution de la production de lait. Il y a un donc un risque concret de compromettre complètement le projet d’allaitement de la mère. L’enfant quant à lui peut aussi souffrir de déshydration et de ne plus prendre de poids, voire même en perdre car le lait carencé ne sera plus adapté à ses besoins.
Le médecin gynécologue ou la sage-femme estime(nt) que l’état de la santé de la maman peut tout à fait supporter un jeûne, quelles recommandations préconisez-vous ?
CM : Il est important d’avoir en amont bien vérifié l’état de santé de la mère, c’est à dire avoir réalisé une anamnèse* afin de vérifier l’absence totale de pathologie tel qu’un dépistage négatif au diabète gestationnel, par exemple.
Dans ce cas, alors, il est conseillé de répartir 3 repas au cours de la nuit, comme la femme le ferait en journée avec quelques précautions notables :
– Le premier repas à l’occasion de la rupture du jeûne doit être riche en eau et en énergie afin, d’une part, de prévenir toute déshydratation et, d’autre part, de re-sucrer votre glycémie.
– Le second repas doit être sain, équilibré et léger, composé principalement des légumes et fruits.
– Et enfin le troisième repas doit être le plus complet possible afin d’apporter résistance durant toute la période diurne du jeûne qui suivra : féculents, légumes, viandes/poissons, laitages et surtout, des apports hydriques.
Il est important de consommer au moins 2 litres d’eau au cours de la nuit.
Des recommandations physiques ?
CM : Minimiser toute activité durant la journée. Eviter les activités professionnelles physiques, ménagères et privilégier un maximum de repos.
Bien que la sage-femme, experte auprès du Centre d’enseignement des soins d’urgence de Mayotte (Cesu976), nous confie que le choix des patientes enceintes — de pratiquer le jeûne — relève avant tout d’une approche personnelle pour laquelle elles n’ont pas toujours conscience des possibles répercutions préjudiciables sur la santé de leur(s) bébé(s), il est important de rappeler qu’il ne faut pas attendre la manifestation de pathologies inquiétantes avant de consulter.
Quoique la Science n’ait pas encore démontré, avec suffisamment de recul, le lien direct entre Ramadan et complications physiologiques et physiques avérées de la maman ou de son bébé, il est indispensable de souligner que toute décision est à prendre avec l’aide de l’avis médical personnalisé d’un professionnel. Et, par ailleurs, que le jeûne peut à tout moment être interrompu ou bien, justement, ne pas être entamé en cas de :
- Diabète (quel qu’en soit le type),
- De pré-éclampsie (hypertension artérielle, oedèmes notoires et pertes protéiques dans les urines),
- D’hypertension gravidique,
- Symptômes persistants et malaises (fatigue extrême, apathie, migraines nauséeuses, vomissements…),
- D’anémie,
- Retard de croissance in utero ou foetus de très petit poids diagnostiqué,
- Grossesse gémellaire ou multiple,
- De contractions et/ou risque d’accouchement prématuré(es).
(Liste non exhaustive rappelant qu’en cas de doutes ou de questions, il est impératif de consulter un professionnel de la Santé)
MLG
*De manière globale, l’anamnèse est un examen gynécologique prenant en considération tous les antécédents médicaux de la patiente enceinte incluant grossesse(s) en amont, interruption(s) de grossesse(s), mort(s)-né(s), accouchement(s), enfant(s), maladie(s) génitale(s), opération(s), examen du cycle, température etc. En somme, un check-up complet afin de définir au mieux et ce, de manière tout à fait personnalisée, les tenants et aboutissants de la grossesse en cours et des potentiels risques qui s’y greffent.