Le contournement de Mamoudzou, un projet qui fait exploser les compteurs

Train bleu, téléphérique, contournement de Mamoudzou… la folie des grandeurs en matière de mobilité se conjugue toujours au futur. Parce qu’au présent, c’est l’inaction qui domine les chantiers à mener par le conseil départemental. Mohamed Hamissi nous livre son analyse

Dans la série des projets pharaoniques qui attendent le département – ou qu’attend le département, on ne sait plus trop – ceux de la piste longue et d’une route de contournement du Grand Mamoudzou occupent le haut de l’affiche. Tant par l’envergure que par leur coût, rien que 900 millions d’euros pour éviter les bouchons du chef lieu. Une somme assez rondelette pour que l’on se penche plus avant sur le sujet, en questionnant, non pas son utilité, mais sa cohérence dans un ensemble plus global.

Pour ce faire, qui de mieux que le monsieur mobilité du département, ingénieur territorial en Transports, et Directeur Environnement, PCAET, Transport et Mobilité à la Communauté de communes de Petite Terre. « Je ne remets pas en cause la déviation en soi, mais il faut l’intégrer dans le cadre d’un projet global aménagement du territoire, qui évoque précisément des alternatives aux transports routiers. Et voir si le budget est compatible »

Premier élément, et vu le montant annoncé pour la construction d’un boulevard de 2×2 voies d’entre 8 et 11km sur les hauteurs de Mamoudzou, avec voies secondaires, « ça va finir à un milliard d’euros cette histoire ! », il faut étudier les projets simultanés. « Le territoire cherche une alternative à la voiture, notamment avec la mise en place de navettes maritimes ou de Caribus, il faut donc étudier leur incidence sur le trafic avant de se lancer dans un tel défi du contournement. » D’autant qu’il rappelle une statistique établie il y a 5 ans, « le trafic depuis le Sud vers le Nord de l’île ne dépasse pas 6%. Cela veut dire que si beaucoup de monde se rend à Mamoudzou, très peu la traversent, ce qui doit interroger sur la nature de son contournement depuis Majikavo jusqu’à Tsararano. Il faut répondre à cette question, ‘quelle demande sera satisfaite en mettant en place ce contournement ?’ » Il recommande auparavant de se doter des modes alternatifs à la voiture, « des transports urbains, interurbains et maritimes. Ce n’est qu’après que l’on pourra juger de l’utilité d’un contournement de Mamoudzou. »

Mohamed Hamissi : « Commençons par mettre en place les projets déjà budgétisés »

Le contournement dépasse les bornes

Ensuite, se pose le problème des aménagements des voies pénétrantes, depuis ce contournement, vers les quartiers, « à-t-on pensé à urbaniser en hauteur, ce qui permettrait de se rapprocher de cette route ? Et il va falloir préempter des zones agricoles, ou forestières, ou des terrains privés. D’autre part, ces pénétrantes vont générer du trafic, et congestionner des quartiers qui ne sont pas prévus pour être passants. »

Si ces questions n’ont pas été prises en compte, c’est qu’il manque une structure selon lui, « un service public des transports. » Avec quel portage ? « Plusieurs compétences entrent en jeu, et c’est maintenant qu’il faut en discuter, car le sujet est politique. Les communautés d’agglomération comme le Grand Nord et la CADEMA ont récupéré la compétence de la mobilité des personnes, mais deux intercommunalités aussi, la CC Sud et la CC Ouest, ainsi que le conseil départemental pour l’ensemble de l’île. Comme nous l’avions déjà expliqué, il va falloir établir des conventions car les lignes du CD vont traverser des zones où les compétences relèvent des intercommunalités. » L’exemple se pose actuellement et fortuitement sur l’accès des véhicules du Sud et qui bouchonnent actuellement à Passamainty, « la CADEMA a mis des navettes en place, or ces dernières captent le trafic qui vient d’une zone extérieure à Dembéni-Mamoudzou. Ce serait au transport interurbain du conseil départemental à l’assurer, mais les travaux n’ont pas débuté, du coup, c’est la CADEMA qui gère les embouteillages ». Un sujet qu’il avait déjà dénoncé dans nos colonnes

Mais le nerf de la guerre, c’est l’argent. Et alors que le contournement menace de couter « un pognon de dingue », pour paraphraser, en y regardant de plus prés, l’ingénieur constate que cela ne rentre pas dans les clous du Plan Global de Transports et de Déplacements de Mayotte. « Ce PGTD est une compétence du conseil départemental au titre de la mobilité. Or, il a été estimé à 750 millions d’euros d’investissements pour l’ensemble des projets structurants à horizon 2030. Un montant abondé par le conseil départemental à hauteur de 275 millions d’euros, et par l’Etat, les fonds européens, les communes, les intercommunalités, pour le reste ».

Un mauvais scénario

On reparlait du projet de navettes maritimes en 2017…

Le contournement de Mamoudzou dépasse donc à lui seul de 150 millions d’euros l’ensemble des projets du PGTD ! « On y trouve Caribus, les navettes maritimes, le Pôle d’échange multimodal, etc.  Ce contournement avait été budgétisé à 200 millions d’euros initialement, avec des hypothèses moins exigeantes, par exemple hors poids lourds, de plus, il ne tenait pas compte de l’acquisition foncière. Je pense qu’il faut commencer par réaliser ce qui est prévu avant de se disperser ».

Un angle qu’il priorise, « le PGTD avait notamment estimé en 2017 à 20 millions d’euros les besoins annuels pour remettre à niveau les voiries de Mayotte. Or, une enquête des collectivités locales montrait que jusqu’en 2017, seuls 4 millions d’euros y étaient affectés. » Commencer par entretenir l’existant permet de ne pas tomber dans les travers de l’île où il faut débudgétiser de nouveaux équipements pour cause de défaut d’entretien des précédents.

« Rien qu’avec Caribus, passé de 145 millions à 230 millions d’euros, et le contournement de Mamoudzou, passé de 200 millions à 900 millions d’euros, on dépasse 1,10 millions d’euros ! Or, le comité de pilotage du PGTD continue à se réunir régulièrement sur l’ensemble de ces projets. Il faut trancher. »

Et cela commence pour Mohamed Hamissi, par l’adoption d’un scénario : « Soit on continue de concentrer l’activité économique à Kawéni, c’est ce qui est en train de se faire, soit on rééquilibre du territoire ». C’est pourquoi il prêche pour un travail concerté avec le SAR.

Les travaux de Caribus de la CADEMA

De plus, lorsqu’on commence à déconcentrer, et c’est le cas à Combani où s’ouvrent commerces et activités diverses, on s’y prend mal : « Le tronçon de RD3 Passamainty-Combani fait partie des projets prioritaires du PGTD, pour sa dangerosité et sur l’implantation des transports interurbains du conseil départemental… qui devaient être mis en service en 2023. Les travaux n’ont pas commencé, qui devraient assurer pourtant une continuité avec Caribus. Commençons par réaliser ce qui a été prévu pour rendre la circulation viable, au lieu de continuer à sortir des projets. »

Car pendant ce temps, les auto-écoles qui affichent complet, mettent régulièrement des nouveaux conducteurs sur le marché, « en 2015, 110.000 déplacements motorisés étaient enregistrés à Mayotte, avec un prévisionnel de 200.000 à horizon 2030, mais je pense qu’on en est pas loin. Et les priorités ne sont toujours pas déclinées, les navettes maritimes ne sont pas opérationnelles, le transport intercommunal non plus, or, je le rappelle, bénéficier d’un transport en commun est un droit pour les habitants. »

L’ingénieur juge la situation « très inquiétante », avec des embouteillages qui empêchent les déplacements et obligent les habitants à se réveiller toujours plus tôt.

Anne Perzo-Lafond

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