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Mamoudzou

Les conseillers départementaux à Longoni : une réconciliation avec Ida Nel, à quel prix ?

« Nous voulons apaiser la situation », a clamé le nouveau président du conseil portuaire, Ali Omar accueilli au port de Longoni par Ida Nel ce mercredi. Son équipe avait mis les petits projets dans les grands, à coup de schémas d’opérations d’investissement séduisantes à destination des élus. Sont-ils tous vraiment prêts à tirer un trait sur un passif douloureux ?

Avec l’élection d’Ali Omar à la tête du Conseil portuaire, les choses vont changer, annonce l’intéressé. En effet, entre son prédécesseur Mansour Kamardine qui mettait en garde sur des malversations, et le 3ème vice-président du CD chargé notamment des Transports, qui explique vouloir « apaiser la situation », le cœur d’Ida Nel ne balance pas, il lui est acquis. « Nous voulons changer de méthode pour développer ce port, et comme beaucoup d’élus n’y ont jamais mis les pieds, nous sommes venus en nombre », renchérit l’élu à la tête d’une délégation de 9 conseillers départementaux. Depuis novembre 2009, ce sont eux qui détiennent la compétence portuaire, qu’ils ont délégué en 2013 pour 15 ans à Ida Nel (DSP).

Il y avait un sentiment étrange à entendre parler de développement du port dans les locaux même, où, quelques mois auparavant, le parquet national financier investiguait sur une suspicion de fraude fiscale aggravée. La matinée tenait donc autant d’une opération de marketing que d’une réconciliation voulue par de nouveaux élus du CD pour certains peu au fait des enjeux.

Échanges entre les élus et Ida Nel, à droite, sur les enjeux du port

C’est à la tête d’une délégation de 9 conseillers départementaux qu’Ali Omar prenait connaissance de l’envergure du port et des investissements à y mener, par la voix de Vincent Liétar, Directeur développement et infrastructures à MCG. Implanté sur 60 hectares à terre et 8km2 en mer, le port de Longoni dispose de deux quais et d’un terminal pétrogazier. Le 1er quai, en travaux, date de 1990, le second, de 2010. L’activité s’est considérablement développée, selon les statistiques présentées, passant de 53.000 containers traités en 2013, à 98.850 en 2022, dont 26% de transbordement (réacheminement des marchandises vers de plus petits ports). « D’une activité en hausse de 5% par an en moyenne, nous sommes passés à +8% depuis 2020 ». Ce qui justifie selon lui, l’accroissement de la capacité de stockage, l’achat des nouveaux ponts roulants et des trois nouvelles grues qui trônent sur le port. « Il faut aussi créer un nouveau quai au regard du développement ». L’achat d’un quai flottant est envisagé depuis plusieurs années déjà, un investissement de 10 millions d’euros.

Un port toujours borgne

Il faut dire que le port est amputé depuis de nombreux mois d’un de ses deux quais. En 2019, nous évoquions le rapport d’EGIS, sur des fondations du quai n°1 fragilisées, « il risque de ne plus être exploitable si aucun chantier d’envergure n’est mené, le Conseil départemental doit lancer un appel d’offre adapté ». Le préfet Morsy l’avait jugé fonctionnel « en mode dégradé ». Il l’est complètement désormais, au point qu’aucun navire ne peut y accoster en dehors des cimentiers. Un investissement du conseil départemental qui avait lancé des travaux en 2021, mais sur la partie béton, un contentieux l’oppose à une entreprise du cru. Le DGS adjoint du Département, Eric Larue, l’envisage comme opérationnel en juin 2024.

Le quai numéro 1 dont une partie des travaux a repris

Moyennant quoi, un seul navire est à quai ce mercredi au quai numéro 2, un autre attendant au mouillage à l’extérieur. De quoi inquiéter alors que le projet gaz du Mozambique entre dans le prévisionnel de MCG « comme base arrière », avec des « infrastructures à manutentionner », et « 160 créations d’emplois à la clef ». Surtout que Total demande une « exclusivité d’usage pour son navire », souligne Ida Nel.

En réponse au prévisionnel d’accroissement d’activité – beaucoup plus calme néanmoins ces mois-ci – de nombreux investissements sont annoncés, « tout ce que vous voyez sur le port va doubler d’envergure. Nous avons 40 opérations à réaliser dans le cadre de la DSP », rappelait Vincent Liétar. Le conseiller de Ouangani Saindou Attoumani s’enquerrait de l’échéance, une question essentielle. C’est Ida Nel qui lui répondait : « Sur les 104 millions d’euros sur lesquels nous nous sommes engagés, nous n’avons réalisé que 75 millions d’euros d’investissement alors qu’il fallait majoritairement le faire sur les cinq premières années. Nous avons pris du retard, car il y a eu des péripéties ».

Expansion de l’activité portuaire et évocation des travaux à mener, par Vincent Liétar

Un historique indigeste

Des « péripéties » liées à sa gestion, qui ont égrainé l’activité portuaire et que nous n’avons eu de cesse de dénoncer. Changement illégal de code APE pour cumuler gestion et manutention, en dépit de la mise en garde de l’ancien président Daniel Zaïdani (Lettre de Daniel Zaidani à Ida Nel sur la manutention), achat d’outillage portuaire sans en avertir le conseil départemental et pour un montant et une durée qui impliquaient des coûts de gestion prohibitifs, le rapport de Denis Morane, expert de la cour d’Appel de Bordeaux est à ce titre éloquent (Rapport Port Longoni Denis Morane), suspicion de fraude fiscale aggravée qui amènera Ida Nel en garde à vue en mai 2022 sur enquête du parquet national financier. Et nous n’avons pas évoqué un possible faux en signature d’un arrêté fantôme de 2016 portant sur les tarifs portuaires. La justice est également saisie sur place, mais on apprenait « l’avenir incertain » des plaintes. Une fée politique protectrice se serait-elle penchée sur la femme d’affaires ? Espérons que l’arrivée de deux magistrates spécialisées dans la délinquance en col blanc au parquet de Mamoudzou permettra d’y voir plus clair.

Un historique que le conseil départemental va avoir du mal à gommer, malgré la volonté « d’apaiser ». Un de ses cadre y semble prêt pourtant, en nous lançant, « c’est pas grave tout ça, en réalité à Mayotte, où n’y a-t-il pas des accusations de magouille ? »…

Un port naturellement en eau profonde de 14m

L’envergure des investissements à mener sonne comme un début de délégation de service public alors que nous en sommes aux trois quarts de la route. Impossible donc, à moins de demander des rallonges au conseil départemental… et on s’en approche : « Si vous voulez que j’investisse à votre place sur l’extension de la plate-forme, il faudra deux ou trois années en plus », glissait avec un sourire Ida Nel à Ali Omar.

Une matinée d’opération séduction de part et d’autre donc qui semble sur la bonne voie, mais à quel prix donc, et avec un président du conseil portuaire qui devra valider – ou non – les investissements annoncés.

Anne Perzo-Lafond

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