En janvier 2022, nous avions titré, « La signature du président Soibahadine Ibrahim Ramadani a-t-elle été imitée ? » sur l’arrêté fixant les tarifs d’outillages portuaires. Il s’agit d’un document daté du 28 avril 2016, qui a tout d’un arrêté du conseil départemental.
Comme sorti du chapeau par Ida Nel en 2021, il fixe des prix d’utilisation des véhicules et des outils portuaires tellement élevés, que les professionnels du port ont réagi. L’Union Maritime de Mayotte (UMM) qui les représente, commence alors par se demander pourquoi cet arrêté tarifaire daté de 2016 n’avait pas été produit auparavant. En effet, lorsque le Conseil d’Etat rejette en mai 2020 un autre arrêté de tarifs datant du 2 septembre 2016, Ida Nel, la présidente de MCG, gestionnaire du port, n’évoque pas d’autres textes. D’où sort donc celui qui est suspect, datant du 28 avril 2016 ?
Pour le savoir, l’Union Maritime demande au conseil départemental de produire la copie certifiée conforme de l’arrêté tarifaire n°003/SP/CD/2016 du 28 avril 2016, puisque la gestion du port est de sa compétence, qu’il a déléguée à Ida Nel. Pas de réponse de la part du président du CD, et c’est un des points les plus étonnants de l’affaire car cela lui aurait donné des billes lors des multiples conflits avec son délégataire Mayotte Channel Gateway (MCG).
L’Union maritime à la barre et au long cours
L’UMM décide donc de solliciter le Conseil d’Etat qui va ordonner en juillet 2021 au président du conseil départemental de fournir la preuve de l’existence de l’arrêté sous un mois. Un mois de recherches infructueuses à l’issue duquel le président Ben Issa Ousseni concluait à l’inexistence de l’arrêté en question, « nous ne sommes pas en possession de l’arrêté précité ». Il décide alors de faire expertiser le document
La graphologue indique « avoir un doute important sur l’auteur de cette signature contestée », et poursuit, « A priori, ce n’est pas monsieur Soibahadine Ibrahim Ramadani qui a fait cette signature litigieuse », la qualifiant « d’imitation pas assez réussie », et rajoutant, « vu la présence du tampon, nous nous rendons compte que le vrai auteur de cette signature a accès à vos bureaux pour y prendre le tampon ».
Pour pousser plus loin l’investigation, l’UMM se tourne vers la préfecture dont les services de contrôle de légalité visent les arrêtés publiés par le CD : il n’y a pas trace non plus dans le recueil des actes administratifs, rapportait alors le préfet Jean-François Colombet (Lire le Courrier préfet arrêté n°003 du 28 avril 2016). Les doutes ont commencé à s’envoler, incitant plusieurs usagers du port à déposer plainte pour « faux et usage de faux ». Le parquet saisit alors la section de recherche de Pamandzi en mai 2021.
20 mois sans traitement des plaintes
Dans la foulée, et vu la gravité des accusations envers un délégataire de service public, le président de l’Union Maritime, Norbert Martinez, est invité par les médias auxquels il a envoyé un communiqué expliquant que « l’arrêté est un faux ». Il n’utilise pas plus le conditionnel lors de l’émission radio de Mayotte la 1ère, Zakweli, le 16 mai 2022. Incitant Ida Nel à déposer plainte pour diffamation, et « atteinte à son honneur ».
L’audience se tenait ce mardi 29 novembre. Et d’emblée, l’avocat de l’UMM Michael Chehab, du barreau de Paris, demandait un « sursis à statuer », c’est à dire de reporter le cours du jugement, « car les enquêtes sur le bienfondé du faux sont en cours ». On peut même dire que cela traine, « cela fait 20 mois que les deux plaintes ont été déposées, et c’est pour un soupçon de faux d’un délégataire de service public, c’est dire la gravité ! »
La substitut du procureur Delphine Mousny, donnait alors des nouvelles de l’avancement… ou plutôt de la stagnation : « Elles ne sont pas encore traitées, car il y a un seul enquêteur financier, et il doit quitter le territoire. Je peux dire que l’avenir de ces plaintes est incertain. » Une franchise qui a tout l’air d’un appel à l’aide pour obtenir du renfort. Mais les usagers du port sont eux aussi fondés à demander de l’aide au regard des tarifs pratiqués. Une situation aberrante, surtout au regard de l’enchainement clair des faits : l’arrêté n’est ni référencé à la préfecture, ni au conseil départemental, ce qui pourrait relever du « faux matériel ». Lorsque nous l’avions contactée, Ida Nel nous avait expliqué que « l’arrêté avait été reconnu par l’administration du conseil départemental, et en présence de mon directeur. » Mais il n’y en a pas trace. Et la femme d’affaires n’a pas fourni de preuve de réception de l’acte administratif, de type bordereau d’envoi. En réponse aux retards d’investigation, le parquet de Mayotte pourrait-il reprendre la main ?
Plaintes et diffamation étroitement liées
L’avocate de MCG, Me Fatima Ousseni, insistait auprès de la présidente pour que l’audience se tienne, « l’accusé n’a pas utilisé le conditionnel lorsqu’il a porté ses accusations de faux. Si vous sursoyez à statuer, vous videz la loi sur la diffamation, vous n’existez plus ! » Quand à son collègue, Me Jorion, pour Ida Nel, il demandait de faire la part des choses pour que la diffamation soit jugée ce mardi : « Est-ce-que le fait de déposer une plainte est un permis de diffamer ? Non ! ».
Pour la défense de Norbert Martinez et de l’UMM, Me Chehab précisait que ses clients n’avaient jamais dit qu’Ida Nel était l’auteur d’un faux, mais que le document est un faux et qu’Ida Nel l’a utilisé. »
La collégialité de juges se retiraient pendant une demi-heure pour délibérer, et décidait finalement de « sursoir à statuer », c’est à dire de reporter l’audience en liant étroitement les plaintes avec l’accusation de diffamation, « la solution du litige en dépend. » La présidente Julie Vignard souhaite « donner une chance à cette enquête d’aboutir, espérons dans les trois mois. »
La justice est désormais liée à ça à Mayotte, à un « espoir » que les plaintes aboutissent. A moins que cette attente soit liée à la conclusion d’une autre enquête, celle menée par le parquet national financier, pour laquelle Ida Nel avait été placée en garde à vue pour des accusations de fraude fiscale.
L’audience est renvoyée au 21 février 2023, et au cas où l’enquête pour faux et usage de faux n’aurait pas abouti d’ici là, une deuxième date était cochée, celle du 16 mai 2023.
Anne Perzo-Lafond