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vendredi 19 avril 2024
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Tribune – La piste longue : entre Arlésienne et chimère

Prévue pour être rehaussée de 9m, la piste longue s’élève-t-elle pour mieux être enterrée ? C’est la question posée par notre chroniqueur Issihaka Abdillah, qui revient sur les derniers rebondissements de ce feuilleton en essayant de prendre de la hauteur.

L’arlésienne des tropiques
Sur la piste longue qui fait rêver les Mahorais, un ancien directeur de l’aéroport était formel : « Elle ne se fera pas d’ici 2026 car elle n’est pas inscrite à la délégation de service public remportée en 2011 par LAVALIN, maintenant EDEIS, gestionnaire de l’aéroport, qui se termine à cette date. Il n’y avait pas de volonté de l’Etat de la faire. A la Réunion ou aux Antilles, la forte démographie et un pouvoir d’achat conséquent ont permis de rentabiliser les infrastructures aéroportuaires. Mayotte arrive trop tard. Quand ces politiques structurelles ont été menées, il n’y avait que 15000 voyageurs par an, c’est très peu, ce qui avait malgré tout valu l’allongement de la piste de 1350m au 1930m actuels en 1995. Dans cette période de désengagement de l’Etat, l’économie mahoraise est encore balbutiante. »
Nous sommes alors en 2018 lorsque ce directeur de l’aéroport Marcel HENRY en instance de départ tient ces propos dans un article de CLICANOO.re intitulé « La piste longue de Mayotte enterrée. »

Celui qui allait poursuivre en France métropolitaine une carrière de consultant dans le secteur de l’aéronautique n’avait aucune raison de pratiquer la langue de bois. Il ne mâchait pas ses mots sur les dossiers qui fâchent. Nous étions peu nombreux à donner du crédit à ses propos. Cependant, avec le temps, nous pouvons raisonnablement nous interroger. Etait-ce celui qui nous parlait vrai, celui nous disait la vérité ? Probablement que oui, eu égard que son propos ait été tenu hors toutes considérations techniques liées au nouveau volcan.

Nous avons modérément apprécié ce franc-parler préférant écouter ailleurs et notamment le Président de la République qui nous parle de la piste longue : « …quand je suis parti de Paris, on m’a dit, il n’y en a pas besoin, c’est très cher et d’ailleurs, ça fait 20 ans qu’on le promet et qu’on ne le fait pas… on m’a dit pas besoin. Et quand je suis arrivé à Mayotte, j’ai compris que la piste était courte parce qu’on freine beaucoup. Donc, oui, on le fera ! Je vous le dis clairement : pas d’études d’impact pour savoir s’il faut faire ou pas, elles ont été faites plusieurs fois. Mais maintenant beaucoup d’études ont été faites depuis des années. On vous l’a déjà fait, le coup des études. Donc, je vous le dis, je n’ai pas besoin d’études pour savoir qu’on va le faire… »

Ces propos sont ceux d’Emmanuel Macron, extraits de son discours prononcé à la rocade de Mamoudzou le 22 octobre 2019. Nous avons choisi de les reprendre tant ils portent une certaine image caricaturale au demeurant infantilisant mais aussi pleins de vérités. Oui, ici on peut tout promettre mais finalement, on ne fait rien. Le Président de la République promettait à son tour de poser la première pierre de la piste longue avant la fin de son premier quinquennat. Comme d’autres avant lui, cette promesse n’a pas été tenue. Lors du Comité de pilotage du 15 décembre 2020, le Préfet de Mayotte et Délégué du Gouvernement, Jean-François Colombet déclarait : « la piste longue sera bel et bien réalisée à Mayotte, les travaux pourront débuter au tout début 2023 ». Aujourd’hui, les « sachants » en charge du projet évoquent un début de travaux repoussé à 2026, ce qui équivaut à la fin du second quinquennat. Une promesse de plus qui ne sera pas tenue.

Mansour Kamardine, Jacques Chirac, Lionel Jospin,Mayotte, LOngoni
Issihaka Abdillah revient sur les différentes promesses qui ont émaillé ce projet

La piste longue : une chimère à 700 millions d’euros
Trois ans après le discours du Président Macron à la rocade de Mamoudzou, il est question de dépenser entre « 1 et 10 millions » pour étudier l’hypothèse de réaliser la piste longue en Grande-terre. Une hypothèse qui légitime les interrogations du Président dans son discours mais en temps trahit notre relatif optimisme. Entre temps, le nouveau volcan sous-marin FANI MAORE, situé à 50 km à l’est de Petite-terre a livrée une partie de ses nombreux secrets et selon les scientifiques :
* Les îles de l’archipel de Mayotte sont s’enfoncer de plus de 2,28 mètres d’ici à 100 ans. Une surélévation de la piste par rapport au niveau de la mer est nécessaire. On parle d’un rehaussement de 9 mètres à l’extrémité Sud et de 7,5 mètres à l’extrémité Nord le tout nécessitant 3 millions de m3 de matériaux pour réaliser le remblai-digue.
* Sous l’effet du changement climatique, les risques sont nombreux. Des vagues monstrueuses provoquées par les cyclones ou tsunamis sont à craindre.

« Le sujet est complexe et a nécessité des investigations et des études pointues dans les domaines de la géologie, de la géotechnique et de l’hydrodynamique (étude des mouvements de l’eau en fonction des marées, des courants, de la houle, des vents, etc.) », déclarent les scientifiques. La conséquence de ses investigations est l’évaluation du coût du projet. Estimé entre 550 à 700 millions d’euros aujourd’hui, il est fort à craindre que d’ici 2026, le coût doublera pour atteindre le milliard. A ce moment-là, le motif d’abandon sera tout trouvé.

Alors depuis quelques semaines, ils essaient de nous conditionner à l’abandon du projet par des explications pour le moins infantilisantes. L’hypothèse d’un aéroport en Grande-Terre a déjà fait l’objet d’étude dans les années 80. Et le choix s’est porté sur la Petite-Terre. Celui-ci n’a jamais fait l’objet de contestation ou de remise en cause. La Déclaration d’Utilité Publique (DUP) en gestation ne devrait pas porter sur le choix du site mais plutôt sur les sites d’extraction des matériaux et autres servitudes nécessaires au chantier. Alors soutenir que l’analyse des sites alternatifs en Grande-Terre est indispensable pour les besoins de la DUP, est un argument d’une extrême légèreté. Autrement pourquoi avoir mis autant de temps avant de se rendre compte de la nécessité et l’indispensabilité d’une telle étude. Et s’ils nous disaient juste la vérité, nous serions certainement déçus mais moins « cons » et tout le monde gagnerait en temps. Ne nous prenez pas pour des dupes. « L’analyse des sites alternatifs possibles en Grande-terre » est la signature de l’acte de décès du projet de construction d’une piste longue en Petite-terre et singulièrement celle d’un aéroport aux standards internationaux à Mayotte du moins 2050.

Un piège nommé SAR

Lors de la présentation du SAR, les grands projets structurants que sont le port et la piste n’ont pas été évoqués

Les sites ou le site objet d’étude alternative en Grande-terre ne sont pas inscrits au Schéma d’Aménagement Régional (SAR). Pour faire simple, tout ce qui n’est pas inscrit au SAR ne se réalisera pas. En outre-mer, le SAR est l’outil de planification de l’aménagement du territoire. Il fixe les priorités de développement, de protection du territoire et de mise en valeur de ce territoire. Le SAR a surtout une valeur prescriptive. Il cadre et détermine les grandes destinations des parties du territoire, et notamment l’implantation des équipements structurants dont les infrastructures de transport (y compris le transport aérien) et de communication. L’enjeu est fort et c’est la raison pour laquelle nous persistons et signons : les chances pour que le projet d’allongement de la piste de l’aéroport Marcel HENRY se réalise, s’amenuisent de jour en jour. Plusieurs raisons militent à cela. Alors, nous invitons le Président du Conseil Départemental, Ben Issa Ousseni à inscrire en prévision d’un revirement très probable, le site de Bouyouni-Mtsangamouji au SAR. Cela ne coûtera rien à la collectivité publique. C’est une manière assez intelligente d’anticiper les changements en perspective.

Pour mémoire, dans le très ambitieux Plan d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) de 2002, parmi les projets phares, figurait en bonne place « La Maison de la Mer ». Initialement prévue à Bouéni, les décideurs de l’époque, sur conseils des experts d’un jour, ont décidé sa délocalisation à Hajangoua. Le PADD étant opposable aux tiers, le projet ne pouvait pas se réaliser sur le site nouvellement choisi en l’état. En 2011, il a été demandé au Conseil général de procéder à la révision partielle du PADD comme le prévoit la loi. Dix années sont passées et la modification n’a pas abouti. Le projet de « La Maison de la mer » est enterré et l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (IFREMER) ne s’installera pas à Mayotte.

La tour de contrôle de l’aéroport Prince Said Ibrahim en Grande Comore (Photo JDM)

Aéroport de Mayotte : un enjeu géostratégique
De l’avis des spécialistes, Mayotte dispose de nombreux atouts stratégiques. La relative négligence avec laquelle la France aborde la problématique d’un grand aéroport aux standards internationaux à Mayotte tranche avec les velléités des Chinois dans la zone. Les accords économiques entre chinois et les pays de la sous-région issus des sommets annuels Sino-Afrique (FOCAC) sont très ambitieux. Ils vont du rachat de la dette des pays africains à la construction d’infrastructures notamment aéroportuaires. Dans le cadre de la stratégie des Nouvelles Routes de la Soie, la Chine a financé la construction de nombreuses infrastructures : voies ferrées, routes, aéroports, centrales électriques à travers toute la région Est-africaine.

Près de chez nous, les Chinois lorgnent sur l’aéroport Prince Said Ibrahim en Grande-Comores. Leurs intentions consistent à la prise en main de cette infrastructure pour augmenter drastiquement sa capacité d’accueil. Dans leur proposition aux autorités comoriennes, les Chinois ont manifesté leur intérêt pour la construction d’un nouvel aéroport aux dimensions et standards internationaux avec de nouvelles pistes, une aérogare, un terminal et une voie rapide entre Moroni et Hahaya, le tout en rallongeant la piste actuelle de 2900m à 3600m.

Depuis une décennie, plusieurs puissances militaires essaient d’imposer leur leadership dans la région indo-océanique. Depuis les années 70, les Américains sont confortablement installés sur l’atoll de Diégo Garcia dans l’archipel des Chagos à environ 2700km de nos côtes. L’Inde, une puissance émergente de la région serait particulièrement active sur Agalega sous souveraineté mauricienne, un archipel situé au Nord-Nord-est de Madagascar. Elle aurait construit une piste d’atterrissage de 3000m. On lui prétend l’intension d’installer une base militaire sur cet archipel. Pour rappel, Agalega n’abrite que 300 habitants.

Si la France semble ne pas vouloir être absente militairement, elle donne peu d’importance à ses points d’appui à d’éventuelles interventions militaires dans la région. En effet, la situation de Mayotte au sein de la France est pour le moins pleine d’ambiguïté à tel point que la parole de l’Etat peut porter à confusion. Une piste longue d’aviation aux standards internationaux construite dans un territoire situé en plein canal de Mozambique, une mer convoitée par les grandes puissances ne saurait être une simple infrastructure ou une gabegie. Au moment où l’influence de la France est mise à mal dans les régions du Sahel, elle doit affirmer son influence dans l’océan Indien où indiens, chinois et australiens montent en puissance. C’est avant tout une démonstration de souveraineté et d’affirmation de notre influence dans une zone qui est encore notre pré-carré. La perte d’influence en Afrique de l’Ouest qui a longtemps constitué notre terrain de jeu dans cette partie du monde, nous oblige à adapter notre diplomatie et nos stratégies aux évolutions du monde.

Dans le classement des aéroports français 2015, l’aéroport Marcel HENRY de Mayotte est classé au 32ème rang juste derrière celui de Clermont-Ferrand en termes de fréquentation avec 387 097 passagers. On notera que de 2004 à 2015, l’augmentation du trafic de passagers est de 85,40% selon différentes sources. Il s’agit de l’une des plus grandes croissances au niveau national pour le trafic. A l’évidence, l’économie du département dispose encore une marge d’évolution pour consommer une infrastructure de telle envergure. Maintenant, eu égard aux contraintes techniques évoquées par les scientifiques et les ingénieurs sur le site de Petite-terre, on peut envisager un aéroport civil sur le site de la Grande-terre (Bouyouni-Mtsangamouji), prétendument présentant de nombreux avantages car situé « dans une zone relativement moins accidentée, non urbanisée et exposée à d’importants risques naturels ». L’aéroport de Petite-terre devient alors une base militaire qui viendra en appui à nos forces du Sud de l’océan Indien. Après tout, cette idée ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas une nouveauté. Les stratèges militaires français avaient émis le souhait dès le milieu des années 50 lorsque l’Assemblée territoriale insistait pour transférer la capitale de Dzaoudzi à Moroni.

Issihaka ABDILLAH

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