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Agression des bus scolaires : instaurer un plan « Vigicaillassage » et mieux doter la prévention

L’accroissement de 75% des agressions violentes contre les bus rend invivable le quotidien des élèves et des chauffeurs, « nous avons chaque jour 212% de risque d’être caillassés ! » Face à l’inefficacité des dispositifs actuels, la réunion du jour à la préfecture s’est terminée par une poursuite du droit de retrait. Pourtant, impliquer l’armée et doter associations et PJJ à la hauteur des besoins, est un triptyque pas encore tenté.

Comme au tir au pigeon, un bus scolaire a encore servi de cible mouvante ce mercredi en plein jour. Des agressions au-delà d’un rythme quotidien, rapporte William Ballif, directeur adjoint de la SAS Matis : « Quand on compare les mêmes périodes de août jusqu’au 17 novembre de 2021 à 2022, nous enregistrons une augmentation de 75% des actes de caillassage. Nous sommes passés de 52 à 91. Sur l’ensemble de l’année scolaire 2021-2022, nous avons été victimes de 178 faits de caillassage, ce qui est déjà pas mal, et bien au 17 novembre, nous en sommes à 91 en 3 mois. Depuis le début du marché en août 2021, nous enregistrons 269 incidents, pour un coût total en constante augmentation, 2.600 euros par jour travaillé en 2022. » Au rythme de 91 incidents pour 43 jours travaillés, « quand nous partons le matin nous avons 212% de risque de nous faire caillasser. »

Sur les 285 bus scolaires du marché de transport scolaire de l’île, 145 relèvent de Matis, dont les lots Nord et Sud. Or, la portion Nord est la plus impactée par la délinquance, comme nous le rapporte le dirigeant : « 74% des incidents se produisent sur la portion Dzoumogne-Kawéni, 1% entre Kahani et Combani, contre 8% en 2021 sur cette zone, et 25% sur les autres zones, c’est à dire Doujani, Tsoundzou et Passamainty. Nous n’avons aucun problème dans le Sud. »

Dans son analyse, il critique la méthode d’action : « Il y a un manque d’efficacité manifeste des forces de l’ordre. Les jeunes regardent les autres délinquants opérer, sans jamais en voir un de menotté ou malmené devant leurs yeux. Il en découle un sentiment d’impunité. On peut mettre la quantité de gendarmes qu’on veut, tant que les réseaux sociaux montreront des images où les délinquants ont le dessus, on ne trouvera pas de solution. Un gendarme m’avouait avoir des consignes de ne pas envenimer la situation. Mais elle l’est déjà ! On court à la catastrophe. »

La société Matis a déposé 32 plaintes, « d’autres suivront, il en va de notre survie », nous indique Jean-Pierre Combet, directeur général délégué de Matis.

En septembre 2021, les bus neufs avaient aussitôt été caillassés

« Un déni de la réalité »

Elles relatent toutes des agressions de chauffeur. Notamment celle de Y.A. en septembre dernier, au volant de son bus : « Je venais de prendre en charge des élèves de Majicavo à la gare routière du lycée polyvalent de Kawéni, et je me dirigeais vers cette ville de Majicavo. Arrivé à hauteur des bureaux d’Electricité de Mayotte, j’ai vu un groupe d’une quinzaine de jeunes arriver face à moi sur le trottoir. Lorsque ces derniers ont vu que c’était un bus qui allait dans le Nord, ils ont immédiatement pris des projectiles pour me caillasser. Heureusement je n’avais pas de véhicules devant moi et j’ai pu accélérer pour me mettre hors de danger et protéger les élèves que j’avais avec moi. Ils ont réussi malgré tout à toucher le pare-brise. » Pourrait lui succéder la dernière en date, sauf que cette fois, le chauffeur arrivait du Nord. Aucune logique, si ce n’est de possible règlements de compte entre bandes, avec comme point de mire, les proies faciles que sont les vitres d’un bus. Pendant les vacances scolaires, ces vendettas prennent d’autres formes.

Pour appuyer la plainte de Matis, l’avocat de la société, Me Olivier Guérin-Garnier du barreau de Paris, n’y va pas de main morte et critique ouvertement l’Etat : « Le pouvoir exécutif s’inscrit dans un déni absolu de la réalité et où il ne voit, en lieu et place d’une situation quasi-insurrectionnelle, que de simples incivilités commis par une jeunesse désœuvrée. »

Gendarmes et légionnaires à l’intérieur des bus

En février 2018, des gendarmes embarquaient de manière aléatoire… et provisoire

C’est incontestablement un champ de ruines qui succède à ces attaques, les bus saccagés semblent sortis de scène de guerre. Impossible de poursuivre l’activité en l’état des choses, ont décrété les chauffeurs routiers qui ont fait valoir leur droit de retrait. La présence des médiateurs du conseil départemental n’est pas assez dissuasive pour ces hordes armées.

Engagement avait été pris d’envoyer systématiquement les gendarmes en hauteur dans les villages, est-ce le cas ? Face à l’impuissance des pouvoirs publics lorsque se produisent des phénomènes d’agression imprévisibles sur leur lieu et timing, des solutions ont été mises en place en métropole pour d’autres phénomènes de violence, nous fait remarquer un acteur portuaire. « Lorsqu’il y a eu des attentats, on a mis en place Vigipirate, pourquoi est-ce qu’on ne s’inspire pas de la formule qui rassemble de nombreux acteurs et notamment l’armée, pour monter un dispositif qu’on pourrait appeler ‘Vigicaillasse’ ou autre ? On pourrait mettre un gendarme et un légionnaire dans chaque bus des lignes sensibles par exemple. »

Le plan Vigipirate est l’un des outils du dispositif de lutte contre le terrorisme : il associe l’ensemble des acteurs, État, collectivités territoriales, opérateurs publics et privés, citoyens, à une démarche de vigilance, de prévention et de protection. Et « les forces armées de l’opération Sentinelle effectuent des patrouilles mobiles aléatoires pour protéger les citoyens et dissuader la menace », rapporte le site du ministère de l’Intérieur.

Il faut en tout cas assurer la protection immédiate des bus et leurs passagers.

Les moyens sont insuffisants pour occuper et former les jeunes

La PJJ devrait être la mieux dotée de France

Lors de la rencontre de ce jeudi en préfecture, réunissant le préfet, le rectorat, le général de gendarmerie, le commandant de police, la DGS du conseil départemental et tous les acteurs du transport scolaire, les réponses habituelles n’ont pas trouvé preneurs : du dépôt de plainte, « ça ne sert à rien », aux interpellations, « ils ne sont pas identifiables ». Pourtant, les bus sont équipés de caméras, et c’était le cas du n°61 attaqué ce mercredi à Majikavo. Seul le commandant de gendarmerie a proposé des gendarmes embarqués, comme cela fut le cas en 2018 lorsque les gendarmes s’introduisaient de manière aléatoire dans les bus sur des portions de trajet, sous l’impulsion du Comgend Leclercq. Mais non pérennisé. En conséquence, à l’issue de la réunion, les chauffeurs n’ont pas voulu reprendre le volant, seul les services assurant les zones Centre et Petite Terre seront assurés. Les autres ont obtenu que le conseil départemental prenne en charge 80% de leur rémunération. Étonnamment, la prochaine rencontre est prévue au 8 décembre, alors que la situation de crise perdure. Un reportage a d’ailleurs été repris au JT de France 2 ce jeudi (voir ci-dessous).

Outre la solution armée de protection des passagers et du chauffeur que nous évoquions, il faut activer les méthodes qui ont marché et qui ont pu être ça et là abandonnées : accompagner les associations qui proposent des solutions à ces jeunes avant qu’ils ne basculent de l’errance vers la délinquance. Kawéni qui était la zone la plus violente de l’île, s’est apaisé depuis, et pourtant, la situation semble en train de déraper à nouveau.

Et pour les mineurs qui ont déjà été condamnés et qui doivent ensuite se réinsérer, doter la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) de moyens bien supérieurs à l’existant, en structure et en hommes. Quand on est le seul département de France où la moitié de la population a moins de 17,5 ans avec un fort taux d’errance et de déscolarisation, on doit avoir la PJJ la plus importante et la plus dotée de France, toute proportion gardée évidemment. Et c’est loin d’être le cas.

Trois biais, protection, prévention et insertion, qui sont sous-activés à Mayotte.

Anne Perzo-Lafond

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