Il y a six ans, un médecin en mission de 6 mois à Mayotte nous avait interpellé, « la situation sanitaire de l’île est déplorable, vous êtes très exposés aux épidémies, et la porosité des frontières y contribue, si les autorités ne font rien, ce sera la catastrophe. » Depuis, nous avons prêché sans relâche en faveur des actions de prévention. Face au constat d’une vaccination déficiente, notamment par les Protections maternelles Infantiles (PMI) du département, et le décès de la coqueluche de deux nourrissons en 2017, une campagne de vaccination de grande ampleur des enfants de moins de 6 ans a été menée l’année suivante avec l’appui de la Réserve sanitaire.
Conséquence, cette tranche d’âge est plutôt bien protégée, mais pas les suivantes, indique une enquête de couverture vaccinale de Santé publique France menée en se basant sur les carnets de santé des enfants, dont 81% étaient nés à Mayotte. « Pour les moins de 5 ans, 90% à 95% des enfants sont à jour de leur vaccination pour les DTP, Coq, HiB, HepB et BCG, mais ce taux tombe à 41,4% pour les 7-11 ans, et à 24,7% pour les 14-16 ans », rapporte Youssouf Hassani, Epidémiologiste à Santé Publique France. Des « résultats alarmants » pour Olivier Brahic, directeur de l’ARS Mayotte, « c’est un enjeu de santé publique car cela pose un problème d’immunité collective. Il y a des gamins qui meurent de diphtérie à Mayotte alors qu’un vaccin existe, ce n’est pas acceptable ! »
Il se veut rassurant sur l’offre de soins par les PMI du conseil départemental, « elle est en cours de structuration », mais décide de mettre en place une nouvelle campagne de vaccination, de très grande ampleur celle-là, menée avec le rectorat pour toucher le maximum de jeunes de moins de 16 ans.
70.000 élèves visés
Cette campagne de rattrapage vaccinal, menée également avec le concours de l’Association des maires de Mayotte, débutera dès la semaine prochaine sur une phase test en Petite Terre. Car c’est une grosse artillerie qui va être déployée.
Environ 500 personnels de la Réserve sanitaire arrivent à Mayotte pour investir l’ensemble des écoles primaires et des collèges, soit environ 70.000 élèves en tout. Pour le recteur Gilles Halbout, c’est une manière de contribuer à la santé publique : « Nous mettons à disposition les établissements comme pour le Covid. Avec un double principe, l’obligation d’être vacciné contre les maladies infantiles avant d’être scolarisé. Si des parents refusent, ils devront faire vacciner leur enfant à l’extérieur. » Et à l’extérieur, l’acte n’est pris en charge que pour les assurés sociaux. « Le rectorat offre une chance d’égalité sanitaire », complète Barbara Massez, Infirmière coordinatrice prévention au rectorat.
La loi est claire. Un enfant doit être vacciné pour pouvoir être admis à la crèche ou à l’école. Sinon, il peut être inscrit provisoirement, mais il a 3 mois pour régulariser sa situation. Ceux qui sont nés avant 2018, et ce sera le cas du public cible de l’opération, doivent être à jour sur le DTCP, diphtérie, tétanos, coqueluche et poliomyélite. Les élèves pourront aussi se faire vacciner contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR).
Un rappel aussi pour les parents
Une campagne qui devra être finie à la fin de l’année scolaire 2023. Pour inciter les parents à poursuivre le travail, il va falloir faire œuvre de « pédagogie », et « dans toutes les langues », commentait le recteur Gilles Halbout, « il ne faut pas qu’ils pensent qu’une injection suffit, il va falloir qu’ils se mobilisent lors des rappels. »
Pour Maxime Jean, Chef du Département de la Sécurité et des Urgences Sanitaires, et « maitre d’ouvrage » de l’opération, il faut de la traçabilité, « c’est ce qu’on fait en indiquant la date de rappel sur le carnet de santé. »
Le plus compliqué, ce n’est pas de piquer l’enfant, « c’est la phase en amont, celle de la sensibilisation », soulignait le recteur, la consultation médicale d’évaluation du statut vaccinal sera consacrée aussi à ça. Concrètement, les équipes de vaccination se présenteront dans toutes les écoles et les collèges de Mayotte d’ici les grandes vacances de 2023.
Une grande première à cette échelle, qui va permettre de pousser plus loin la détection, indiquait Gilles Halbout : « Tant qu’à vérifier les carnets de santé, avec l’ARS nous allons en profiter pour travailler sur un meilleur protocole de dépistage des troubles auditifs, visuels, de comportement, pour concourir à une meilleure santé de nos jeunes. » Il indiquait également vouloir recadrer le protocole à l’image de ce qui se fait en métropole, « en appliquant la visite obligatoire à 6 ans et en 6ème pour cibler les pathologies qu’on peut traiter efficacement à Mayotte. »
Anne Perzo-Lafond