Le week-end arrivant, vous vous feriez bien un théâtre ou un spectacle de danse. Mais si votre média préféré vous propose un agenda loisirs, il est parfois bien maigre. Et pour cause, très peu d’artistes sont professionnels ici, et ces derniers le doivent à des structures des arts et de la culture qui se décarcassent au gré des moyens du bord.
Le statut des intermittents du spectacle n’existe pas à Mayotte, le code du Travail n’étant que partiellement appliqué, pas plus que d’organisation structurée de la Culture. Et pourtant le gisement d’emplois est considérable. Le conseil départemental est sorti du rouge il y a 5 ans à peine, et a devant lui une montagne de compétences à finir d’acquérir au titre de département, et n’a que partiellement celles de Région. Pour exemple, il n’existe à Mayotte aucune salle de spectacle.
Pour cerner les besoins, le ministère de la Culture avait demandé une évaluation chiffrée du milieu culturel à Mayotte. Les acteurs locaux, réunis en Collectif des Arts confondus*, avaient dirigés leurs pas vers l’INSEE. Mais l’Institut fonctionne sur commande d’un ministère, de la préfecture ou de la Direction des Affaires culturelles. En réaction au mutisme qu’avait provoqué leurs sollicitations auprès de ces institutions, les Arts Confondus ont lancé leur propre étude, « Comptons-nous ».
Et viennent de publier les résultats. N’ayant aucune compétence particulière dans le domaine de l’échantillonnage des populations concernées, ils ont recruté Moinamkou Assoumani, en formation de Bachelor Économie Sociale et Solidaire à l’école de commerce Thalys à Bordeaux, en partenariat avec la CRESS Mayotte, le Conseil départemental de Mayotte et Pôle emploi Mayotte.
Professionnalisés grâce à des associations
Se dessine le profil d’hommes et de femmes impliqués dans leurs actions culturelles pour lesquelles ils sont peu formés, et qui ne peuvent les faire vivre. Ils sont 230 acteurs culturels à avoir répondu, à peu prés autant de femmes que d’hommes, et dont la moyenne d’âge évolue à 67% entre 25 et 40 ans. Ils sont majoritairement localisés sur 5 villages, Acoua, Mamoudzou, Chiconi, Chirongui et Ouangani. 61% déclarent faire partie d’une association ou d’une compagnie sous forme associative, mais moins de la moitié de ces structures perçoivent une subvention. Ils sont seulement 36% à avoir un statut professionnel, salarié ou auto-entrepreneur.
Les 230 acteurs de la culture répondant à l’enquête sont quasiment pour moitié des artistes, et à 20% des administratifs et financiers. Seulement 78 d’entre eux perçoivent de l’argent pour leurs prestations, et se considèrent comme des professionnels. Pas des sommes folles puisque les 60% du haut du panier gagnent de 10.000 à 20.000 euros par an… Et ils ne sont que 46 dans ce cas.
Ceux qui ont pu se professionnaliser relèvent d’associations bien connues du paysage culturel mahorais : Hip hop Evolution, Musique à Mayotte, le Royaume des fleurs (danse), Stratagème et Ari Art (théâtre), et appuyés par l’option théâtre ouverte par le rectorat de Mayotte.
Parmi les 32 personnes qui déclarent avoir une qualification, il s’agit à 50% du Bac, voire plus (30%), et qui ne sont donc pas rémunérées à hauteur de ce qu’ils pourraient prétendre. La grande majorité des répondants n’ont suivi aucune formation, et c’est une minorité qui la réclame, essentiellement dans le domaine artistique.
Les effets d’annonce du MOM
Prés d’une personne sur deux pense qu’il est possible de vivre de son métier artistique ou culturel à Mayotte, mais qu’il manque un accompagnement et une structuration du secteur.
60 personnes ont bénéficié de subventions publiques, qui viennent autant de l’Etat, du conseil départemental que des communes. Ce qui permet de tirer un premier constat : étant donné l’état de finances des communes, l’Etat peut faire mieux pour impulser une dynamique, notamment au niveau de politiques publiques volontaristes.
Pour tirer des premières analyses, nous avons contacté une des référentes des Arts confondus, Sophie Huvet, par ailleurs directrice de l’association Hip hop Evolution. En l’interrogeant tout d’abord sur le suivi de l’annonce du ministre délégué aux Outre-mer Jean-François Carenco, de passage à Mayotte en août dernier, d’une mise en place du régime de l’intermittence à Mayotte et d’une Scène nationale, un label permettant de produire et de diffuser des créations contemporaines dans le domaine du spectacle vivant. « Nous n’avons pas eu d’écho à la suite de la visite ministérielle. L’absence de conseiller ‘spectacles vivants’ à la Direction des Affaires culturelles de Mayotte n’a pas aidé. »
Sous-dimensionnée, la DAC Mayotte compte 7 agents, quand il y en a 26 en Guyane, ou 34 à La Réunion. Et encore, un travail de structuration a été menée depuis 2011, « la départementalisation a permis la mise en place d’une DAC de plein exercice, et donc de bénéficier d’appels à projet en ne dépendant plus de La Réunion ».
Une 1ère avancée grâce à la CGT
Si la visite du ministre délégué aux Outre-mer n’a pas été suivie d’effets positifs, une petite avancée est envisagée grâce au syndicat CGT Spectacle, « il nous a soutenu dans la création d’un COREPS, un Comité régional des professions du spectacle, présent dans tous les départements. Il réunira l’Etat, le conseil départemental, les organismes œuvrant sur le plan culturel, une instance officielle où les institutions vont être obligées de rédiger une feuille de route. »
A commencer par la formation, l’étude montre étonnamment le peu d’intérêt manifesté par les acteurs de la culture : « C’est parce que ceux d’entre eux qui sont partis se former en métropole sur les métiers administratifs et techniques, reviennent avec encore plus de difficultés pour tenter d’appliquer ce qu’ils ont appris. En plus, ils sont parfois méprisés par les artistes eux-mêmes. Or, ils sont complémentaires. »
Cette étude « Comptons-nous » doit servir de base pour mettre sur pied « un écosystème de la culture propre à Mayotte. On ne part pas de rien », souligne Sophie Huvet. Et éviter notamment que lorsque les dispositifs vont arriver, des intervenants extérieurs soient les premiers à en bénéficier. « Nous cherchons notre modèle. Nous savons que les artistes des autres DOM galèrent aussi avec le statut d’intermittent du spectacle, qu’ils ont du mal à boucler leurs 500 heures, surtout quand il manque de salles de spectacle. Et que c’est compliqué d’aller les faire en métropole vu le prix d’un billet d’avion. Il faut donc un modèle adapté qui permet de professionnaliser le secteur ».
Anne Perzo-Lafond
* Emergence Milatsika, Musique à Mayotte, Compagnie Stratagème, Compagnie Kazyadance, Compagnie Baltane, Kinga Folk et Hip Hop Evolution