Le temps d’esquisser quelques pas de danse en compagnie du maire de la commune Saïd Omar Oili, et de prodiguer des accolades et autres embrassades, le ministre délégué s’est engouffré dans l’édifice. Durant cette visite, le marché couvert a cristallisé toutes les interrogations et toutes les passions ayant trait à la problématique de la lutte contre la vie chère dans le département.
Se rendre compte de la réalité de la vie chère
Déambulant entre les étals des maraîchers, les prix des produits bien visibles, le ministre interroge, écoute, échange aussi bien avec les commerçants que les élus. « Nous voulons qu’il voit cette vie chère », souligne Maymounati Moussa Ahamad, conseillère départementale de Dzaoudzi-Labattoir. Elle poursuit, « on ne s’en sort pas alors que l’on est le territoire le plus pauvre de France et d’Europe », et d’ajouter « à Mayotte on se bat rien que pour avoir le structures alimentaires minimum ». L’élue ne manque pas de faire le lien entre cherté des denrées alimentaires et obésité, la population n’ayant pas forcément les moyens de s’offrir des repas équilibrés. A ce titre, en juillet dernier, dans son dernier rapport de la Commission des Affaires sociales du Sénat, les parlementaires n’ont pas manqué de noter « une forte prévalence de surpoids et d’obésité. 26 % de la population était obèse en 2019 ».
Le ministre questionne sur la provenance de certains des produits s’offrant à son regard. Les réponses laissent perplexes : Afrique du Sud, Madagascar ou encore « d’autres territoires environnants ». La conseillère municipale le reconnaît : « côté production locale, on a un manque fort ». « Ce que j’ai vu sur le marché m’a tout à fait intéressé », s’est exprimé le ministre délégué esquissant une prémisse de réponse face à la question de la vie chère sur l’île : « augmenter la production locale », précisant qu’il s’agit du « premier moyen » pour engager cette lutte.
L’augmentation de la production locale, une action primordiale
Cette démarche nécessite, selon lui, du « temps » et une « volonté féroce ». « C’est ce que je vais dire à tous les élus à tous les organismes : vous n’avez pas le droit, je le dis comme je le pense, de ne pas vous attelez fermement à la production locale », a reconnu le ministre avant d’affirmer que cette production est avant tout vecteur de « créations de valeurs », « d’emplois pour les jeunes », de « cohésion », et d’ajouter qu’il s’agit « d’un avenir sur le territoire ». Son incompréhension semble parfois poindre au regard de cette faiblesse de production : « ce n’est pas normal que cela ne se fasse pas. C’est difficile comme sur toutes les îles. Ce n’est pas une spécificité de Mayotte ».
Pourtant comme le rappelle l’élue départementale, « pour que l’on puisse faire de la production locale, il faut sortir de l’agriculture vivrière. Pour que l’on en sorte, il faut absolument que des investissements soient faits au niveau des agriculteurs […]. Cette production locale ne peut être faite sans sécurisation. Mais pour sécuriser, il faut au moins qu’il y ait de l’eau, de l’électricité, et également que les agriculteurs habitent sur leurs terres ».
Les distributeurs mis à contribution
« Deuxième idée » pour lutter contre la vie chère à Mayotte, « c’est que chacun sur le parcours de la construction des prix fasse un effort ». Le ministre a rappelé sa démarche entreprise à La Réunion le mois dernier, consistant à étendre le dispositif du bouclier qualité prix aux autres territoires ultra-marins dans le cadre d’un « Oudinot de la vie chère ». Selon lui, « il faut que l’on arrive à avoir un panel de produits alimentaires à disposition des habitants de chacun des territoires pour offrir un panier familial moins cher et surtout stable ». Joignant les paroles aux actes, le ministre a signé, en présence de Marc Berlioz, directeur général du groupe Bourbon Distribution Mayotte, et Nassroudine Mlanao, directeur du Groupe Sodifram, un « accord de modération du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante pour l’année 2022 ».
Malgré la situation de monopole ou de quasi-monopole, le ministre se veut rassurant « Il faut que les prix soient mieux encadrés. Je les vois tous un par un [ndlr les distributeurs], je vais leur demander de faire un effort, s’ils ne font pas d’effort, il faudra regarder avec les règles de la concurrence ». Mais la volonté est bel et bien de travailler de concert avec eux, « chaque chose à sa face binaire, il faut les mettre ensemble. C’est comme ça que l’on progresse. L’histoire démontre que si on a ces problèmes-là, il faut allier les contraires. Les grands monopoles ont leurs avantages et ils ont leurs inconvénients ».
Le mois de septembre, nouvel horizon des négociations
Pour Saïd Omar Oili et Maymounati Moussa Ahamad, les yeux sont maintenant rivés sur le mois de septembre. « Les enseignes ont signé un engagement avec le ministre. Maintenant nous attendons le mois de septembre et à partir de là, il y aura une discussion et une communication où tout le monde sera convié. Pour l’instant, je ne peux pas juger avant que les choses se concrétisent. Nous lui avons montré du concret, nous attendons du concret en retour », note l’édile de Dzaoudzi-Labattoir. En effet, si l’accord est signé, les discussions vont désormais se concentrer sur la nature du panier, son volume. Face à certains regards sceptiques dans le public, le ministre s’est montré ferme, « vous pouvez ne pas me croire, mais on verra qui aura raison à la fin ».
Pierre Mouysset