L’effervescence était palpable à la bibliothèque de Chiconi. Les cinq ateliers de réflexion et débats étaient tous occupés qu’il s’agisse du jeu de l’oie sur la santé sexuelle, l’atelier scénette ou encore l’atelier nuage de mots. Les participants, homme ou femme, se sont tous impliqués, consciencieux, attentifs et volontaires. Le dialogue se veut aisé, la parole est libre, sans jugement. « Notre action commune est de faire réagir pour que le public puisse s’approprier la problématique de la prostitution », explique Solenne Augier, chargée de mission Santé sexuelle et Reproductive à l’Agence Régionale de Santé.
De la prostitution visible à la prostitution numérique
Loin d’être un phénomène anecdotique, un constat s’impose à la réalité de l’île : la prostitution gagne du terrain à Mayotte. « Il y en a de plus en plus, la ville de Chirongui est désormais touchée et certaines associations de riverains se sont mobilisées pour lutter contre son expansion », fait remarquer Vincent Bertrand, responsable du développement chez Nariké M’Sada. « Nous en tant qu’association on se pose forcément la question de savoir comment sensibiliser, comment apporter des outils mais aussi comment
assurer le meilleur accompagnement en cas de sortie de cette pratique. Il est essentiel de pouvoir ouvrir un espace de dialogue », reconnaît-il.
Si la prostitution extérieure est la plus visible, elle ne représente cependant qu’une faible proportion a contrario de la prostitution domestique, « celle pour laquelle on n’a pas d’accès et qui est pourtant la plus présente », reconnait Vincent Bertrand. La prostitution numérique connait également une forte croissance sur les réseaux sociaux compte tenu de la facilité de l’anonymat. « Les personnes se disent qu’il y a moins de risques mais cela les exposent davantage à la violence et aux agressions sexuelles », reconnaît Solenne Augier.
Un accompagnement qui s’adapte aux mutations du phénomène
Aux traditionnelles maraudes dans la rue, les associations organisent désormais des maraudes numériques pour apporter de l’aide aux personnes. « On propose des dépistages, un accompagnement, on leur explique vers quelles structures elles peuvent s’orienter au besoin », détaille Vincent Bertrand. Une réponse qui nécessite une concertation de tout un panel associatif au regard du caractère protéiforme que revêt ce phénomène. « Tout le but de ces ateliers, c’est de pouvoir agir à plusieurs structures associatives, on s’épaule entre nous, on fait passer l’information et on oriente vers les associations les plus à mêmes d’aider en fonction des besoins des personnes », éclaircit Solenne Augier.
La prostitution des mineurs, un fléau bien réel
Autre constat inquiétant, « la prostitution des mineurs se développe de plus en plus », informe la chargée de mission à l’ARS. La Fédération des parents d’élèves semble avoir pris le problème à bras le corps, « elle souhaite entamer une démarche avec les associations afin de pouvoir apporter une solution concrète pour aider les jeunes », souligne Vincent Bertrand. Pour y parvenir, les actions sont portées sur la détection des signes avant-coureurs telles que « des résultats en chute libre, des séchages de cours à répétition, l’apparition d’objets onéreux, un changement vestimentaire, tout comportement inhabituel et en rupture brutale avec les habitudes passées de l’élève », détaille Solenne Augier.
Une carence de données chiffrées du phénomène
Face à l’ampleur du phénomène et ses diverses ramifications, les associations disposent-elles de données chiffrées ? « Un état des lieux de la prostitution va être mené. Il s’agit d’avoir une première approche globale de la prostitution à Mayotte », renseigne Vincent Bertrand. L’objectif de cette démarche ? « Cumuler l’ensemble des données existantes de toutes les associations qui travaillent sur ce sujet afin de pointer du doigt les éléments manquants tout en fédérant les autres institutions, les pouvoirs publics pour que la question de la prostitution devienne un sujet d’ampleur », précise Solenne Augier.
En attendant, les ateliers débats sont une première approche pour sensibiliser le plus large public possible, tout en identifiant des personnes relais susceptibles de répercuter les actions de dépistages et d’orienter vers les structures adéquates les plus à mêmes d’aider à sortir de l’engrenage de la prostitution. « Tout l’enjeu, conclut Solenne Augier, est d’être dans un accompagnement individualisé et intersectoriel, dans le non jugement, ainsi que dans l’écoute active et la bienveillance ».
Pierre Mouysset