Contacté au téléphone, Thani Mohamed Soilihi ne voit pas dans la vague « ultra-Marine », un désaveu pour le président de la République, mais pour celles et ceux qui le représentent : « Emmanuel Macron a fait le job. Il s’est rendu sur tous les territoires, a répondu aux doléances, et a tenu des visio avec les exécutifs locaux lors des crises sanitaires. Ensuite, ce n’est pas à lui de décliner ses engagements, c’est au ministre des outre-mer et au préfet ». Le sénateur voit dans le vote RN en Outre-mer, « un sentiment d’abandon, voire de mépris à leur égard ».
On le savait pas particulièrement proche du précédent préfet Colombet, il confirme : « Pendant les deux ans de ce préfet, Mayotte est devenu le territoire le plus criminogène d’Europe, et il n’a fait que dire ‘je condamne fermement’ ». Le sénateur se base notamment sur le rapport accablant de la mission sénatoriale et sur l’enquête « Cadre de vie et sécurité » de l’INSEE décrivant une délinquance « hors-norme » à Mayotte. « Au moment le plus dur des homicides sur les lycéens, le préfet Colombet n’a pas eu de réaction, les mahorais ont déploré ce manque, seul le ministre de l’Education nationale a communiqué au bout de deux jours. ».
Néanmoins, de l’avis général, ce que la population a traduit en vote RN à Mayotte, c’est la persistance des caillassages sur la voie publique contre les véhicules, le déficit en force de l’ordre, en intercepteurs et en moyens pour lutter contre l’immigration clandestine. Une objection qui obtient une réponse identique, « c’est au ministre des Outre-mer et au préfet à veiller à cela. Les engagements du président n’ont pas été suivis d’effets. On nous a dit que les forces de l’ordre allaient bénéficier de 40% de renforts supplémentaires. Est-ce concrétisé ? A l’époque du préfet Sorain, une plateforme ‘Transparence’ était accessible sur le net, qui cochait les évolutions du Plan d’actions pour l’avenir de Mayotte de 2018. Et après, plus rien ! Je ne veux accabler personne, mais les caillassages et la criminalité se sont accentués pendant les confinements. On peut penser que les jeunes de Kawéni ont un sentiment d’impunité après les violences commises lors des murengue. »
La référente LREM sur le terrain… à Paris
Son jugement est le même à l’échelle de l’ensemble des territoires ultramarins : « On retrouve la même distance vis à vis du ministre des outre-mer. Et d’ailleurs, sur les territoires où il a pris le temps de rester, comme la Polynésie ou la Nouvelle Calédonie, il y a moins de vote RN. La contagion a même touché La Réunion où on pense que tout fonctionne ! » Comme nous l’avions analysé, les Antilles sont un peu un cas à part, avec « une forte mobilisation des ‘antivax’ ».
A Mayotte, un autre élément entre dans la danse selon le sénateur, « nous n’avons pas vu la représentante de LREM sur le terrain, mais plutôt à Paris ». Il vise là sa suppléante au Sénat quand même… « Je m’inclus aussi dans ce déficit de défense de la politique du gouvernement sur place, mais on ne peut pas être à la fois ici, et à Paris pour défendre les textes. D’ailleurs, on a vu l’efficacité de l’occupation du terrain entre les deux tours, on est allé vers les gens, j’ai personnellement tracté à Jumbo, auprès des taxis, à Mamoudzou où un tiers de la population de l’île passe pendant la journée. C’est ce travail qui aurait du être fait. D’ailleurs, je tire mon chapeau à Saïd Omar Oili qui a fait le job sur Labattoir à lui tout seul, on a vu le résultat. » Précieux, les deux hommes ne nous ayant pas habitué à s’encenser mutuellement. Emmanuel Macron fait en effet à Dzaoudzi le 2ème meilleur score du département (55,23%) derrière Mamoudzou (56%).
Cette mobilisation entre les deux tour, c’est sans doute ce qui explique ce que le titulaire de la chaire Outre-mer à Sciences Po, Martial Foucault appelle « une contreperformance » du Rassemblement national sur l’île, « on aurait pu penser qu’un territoire comme Mayotte où Marine Le Pen a fait le déplacement et a réussi à capter les enjeux de sécurité et d’immigration, ferait un score exceptionnel. Finalement, elle est dans la moyenne de ses autres performances dans les territoires ultramarins ».
Un ministère de la proximité
Autre difficulté pour LREM à Mayotte, selon le sénateur, c’est l’absence de front commun des élus, dont certains ralliés à la politique d’Emmanuel Macron sont officiellement issus d’autres partis… une position difficilement tenable lors des parrainages, « ça a cassé la dynamique ». Pour autant, on a vu le maire LR de Mamoudzou prendre le micro lors d’une réunion publique à Combani. D’autres ont agi plus clandestinement, « certaines personnes candidates aux législatives ont continué à s’exprimer sur le plan politique au nom de Collectifs dont elles sont les leaders ».
Alors, comment renouer le lien avec le pouvoir en place ? Comment redonner confiance aux Outre-mer dans la parole politique et dans son efficacité ? « Il faut un regain de proximité. Le chef de l’Etat ne peut pas passer son temps dans tous les départements de France, notamment dans ceux des outre-mer. Il faut un relais par les ministres et l’appareil politique de la majorité. Ce score ultramarin à la présidentielle c’est injuste à Mayotte en tout cas, vu les engagements d’Emmanuel Macron, le plan de 1,6 milliard, l’ARS et le rectorat de plein exercice, etc. Abdullah Hariti (ex-coordinateur LR, ndlr), qui a rejoint notre groupe, a reconnu qu’il avait plus fait que Nicolas Sarkozy. »
Une situation qui rend la perspective des législatives compliquée, avec pour l’instant 3 candidats LREM dans la circonscription Nord, et 2 dans le Sud. Avec un résultat issu de deux données : « D’un côté, en étant unis pour la présidentielle, nous ne sommes pas arrivés à inverser la tendance, d’un autre, c’est une élection davantage de proximité. Je ne pense pas que nous aurons la même surprise ». Pas de candidat affiché RN pour l’instant, seuls des avoisinants sans étiquette.
Alors, les 700.000 voix ultramarines, dont 430.000 ont porté celle du RN, vont-elles ébranler Paris ? Elles ne représentent que 1,5% des électeurs en France… mais occasionnellement particulièrement bruyantes.
Anne Perzo-Lafond