« Si cela s’était passé dans un théâtre nous en aurions rigolé, malheureusement, c’était dans un tribunal ». Les propos d’un des avocats de la défense en disent long sur la manière dont s’est déroulée l’audience. Le dramaturge Samuel Beckett n’aurait pas renié les tirades de l’ex-avocat du barreau de Mayotte. Les digressions pléthoriques n’ont rien eu à envier aux monologues déconstruits, marqueur stylistique propre au théâtre de l’absurde. Il ne s’agissait plus de ramifications mais de perditions.
La présidente, à de multiples reprises, a tenté d’extraire M. Tchibozo de l’enlisement de ses propos. Les « revenez-en aux faits s’il vous plaît » et autres « cela n’a rien à voir avec l’affaire », ont rythmé la trame cacophonique de ce procès. A la énième coupure de la présidente, M. Tchibozo éructe, « vous n’avez pas à me couper la parole, j’ai le droit à la parole de manière impartiale » ; « je continuerai à vous couper si vous vous éloignez à nouveau des faits », rétorque-t-elle promptement. Pourtant, ces interventions d’autorité sont salvatrices pour sortir l’audience des impasses labyrinthiques inlassablement alimentées par une logorrhée intarissable de la victime. Victime ? Effectivement, Jacques Tchibozo a intenté une procédure judiciaire à l’encontre d’avocats et d’anciennes clientes pour des faits de faux témoignages ainsi que de dénonciations calomnieuses portant sur des faits d’agressions sexuelles qui remontent à 2013.
Des armes psychologiques multidirectionnelles
A cette époque, une avocate travaillant avec M. Tchibozo a brisé l’omerta autour de son comportement. D’autres victimes ont peu à peu suivi son exemple et se sont fait connaître, que ce soit une secrétaire ou d’anciennes collaboratrices. Toutefois, malgré la gravité des faits qui lui étaient alors reprochés, l’affaire a été correctionnalisée. Contestant sa condamnation de 2018 à 5 ans de prison pour les faits d’agressions sexuelles, M. Tchibozo comparait en mai prochain devant la cour d’appel de Paris. Pour l’un des avocats accusé de faux témoignage, il ne fait pas de doute « qu’il souhaite à minima une satisfaction psychologique et des armes pour son futur procès ».
Au cours de l’audience, le ton est monté à plusieurs reprises entre M. Tchibozo et l’un des avocats de la défense. M. Tchibozo n’a pas hésité à le prendre à partie dans des règlements de comptes purs et simples. Un déballage ayant franchi allègrement les frontières de l’obscénité et de la vulgarité. La jalousie, le complot ourdi reviennent sans cesse dans la bouche de M. Tchibozo. Néanmoins à l’instar du procès de 2018, où l’utilisation de « gestes dégradants, humiliants et à caractère sexuels » a été mis en évidence, la défense n’a pas été en reste pour qualifier ses agissements, « sur le fond c’est un pervers sexuel ». Alors qu’un des avocats s’accorde à mettre en exergue son comportement obscène, un rictus se dessine sur le visage de M. Tchibozo… « son sourire témoigne de son mépris pour le territoire mahorais ». Néanmoins, pour l’heure, l’affaire en reste à ce stade, les délibérations ayant été renvoyées au 10 mai 2022 à 8 h.
Pierre Mouysset