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E. Dupond-Moretti apporte une petite pierre à l’accompagnement des trop nombreux mineurs délinquants de Mayotte

C’est la 3ème fois qu’un ministre de la Justice foule le sol mahorais depuis la départementalisation. Onze ans après Michel Mercier, et huit après Christiane Taubira, c’est sur un territoire gangrené par la délinquance juvénile qu’a atterri Eric Dupond-Moretti. Après le tribunal, c’est à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), que le Garde des Sceaux était attendu vendredi. Mais les défis dépassent les réponses.

Lorsqu’un jeune, mineur, commet un délit, vol, caillassages, etc., plusieurs solutions se présentent au juge des enfants en fonction de la gravité des faits, l’envoi en détention à Majikavo, un placement judiciaire, qui extrait le jeune de son environnement familial tout en poursuivant sa scolarité, ou alors, en cas de délits plus légers, l’envoyer dans un des deux centres en milieu ouvert. Les éducateurs de la PJJ, qui dépend du ministère de la Justice, interviennent sur toutes ces strates de décisions, avec comme objectif de resocialiser le jeune qui n’a pas pour vocation de moisir indéfiniment en prison. Il faut aussi éviter qu’il s’enfonce dans la délinquance.

Eric Dupond-Moretti n’a pas pu venir plus tôt pendant ses 20 mois d’exercice, notamment pour cause de Covid, expliquait-il. Il découvrait un territoire peuplé pour moitié par des mineurs, où règne une forte délinquance juvénile. Avec un rôle prépondérant alloué à la PJJ qui appelle beaucoup plus de moyens que n’en a celle de Mayotte, à entendre les acteurs qui accueillaient le ministre. D’une dizaine de salariés en l’an 2000, la structure en compte actuellement 70, dont 35 éducateurs. C’est encore trop peu pour ce territoire.

Tous les dispositifs étaient présentés au ministre, avec comme visage de la réussite, L., un jeune stagiaire de l’Ecole d’apprentissage maritime, qui a passé son brevet 250Kw/h, école qui a reçu 50 stagiaires en 2021, dont la plupart a trouvé un débouché. « Ils ont maintenant des objectifs de vie, c’est ça qui leur manquait », soulignera Eric Bellais, directeur de l’EAM. Mais voilà, seules deux entreprises prennent en stage ces jeunes passés par la case justice.

Autre difficulté, si l’accueil de jour fonctionne plutôt bien à la PJJ, l’objectif est de les rescolariser, « ce qui n’est pas toujours possible faute de place dans les écoles », expliquait un éducateur. Et le retour en famille élargie doit se faire avec un accompagnement, ce qui n’est pas toujours possible faute de personnel en nombre suffisant et qu’il faut former. Le tout dans une ambiance de délinquance subie, « trois jeunes qui attendaient devant la PJJ pour une prise en charge se sont fait agresser à l’arme blanche, et un éducateur a failli perdre la vie », rapportait une psychologue.

Aparté du ministre avec un éducateur qui a failli perdre la vie

« Et que pensez-vous d’un Centre Éducatif Fermé ?! »

Les structures implantées sur le territoire pour répondre à la délinquance des mineurs sont récentes, un centre éducatif renforcé, une Action Educative en milieu ouvert, etc. Manque à l’appel, notamment, un Centre Educatif Fermé (CEF), structure alternative à l’incarcération de la PJJ. Il avait été annoncé par les ministres Darmanin et Lecornu en visite à Mayotte. Il permet de prendre en charge les mineurs de 13 à 18 ans auteurs de faits les plus graves, dont une cinquantaine est actuellement envoyée à La Réunion. Le quartier mineur de la prison est actuellement occupé par 25 détenus, sur 30 places, « car le placement est privilégié », nous expliquait un juge, notamment au CEF de La Réunion.

Le sujet était mis au centre des discussions par Eric Dupond-Moretti ce vendredi, « et que pensez-vous d’un Centre Educatif Fermé ?! » Avec une réponse du tac au tac du directeur de la PJJ Mayotte, Hugues Makengo, « c’est un des outils, mais ce n’est pas l’urgence pour nous. Ce qu’il faut, c’est les capacités de prendre en charge tous ces gamins ». En gros, des extensions de tous les services à la mesure de la délinquance qui règne sur l’île, là ou le CEF n’accueillerait « que » 12 jeunes.

Au 1er rang, le sénateur Thani Mohamed Soilihi s’étranglait, « on déplore chaque instant d’être un satellite de La Réunion, il faut commencer par les placer ici, et solliciter d’autres départements ensuite ». Le procureur Yann Le Bris venait à sa rescousse, « envoyer des jeunes qui maitrisent mal la langue française à La Réunion, ce n’est pas une prise en charge optimale ».

Gérer l’environnement du mineur délinquant

Le sénateur Thani Mohamed Soilihi défendait un CEF propre à Mayotte

A l’heure de son départ, le ministre n’a toujours pas tranché sur le sujet du CEF, confiait-il aux médias samedi, « la réflexion est sur la table ».

Il faut dire qu’il avait annoncé quelques minutes avant la construction d’une 2ème prison, « c’est acté », nous assure-t-on dans son entourage comme nous nous inquiétions d’une annonce électoraliste, « il ne reste plus au préfet qu’à trouver le terrain », a annoncé le ministre.

Qui faisait des annonces fermes pour la PJJ : « La création d’une 3ème unité en milieu ouvert, et celle d’un service d’investigation éducative, pour analyser les situations de danger d’un enfant, et ainsi, épauler le conseil départemental ». Qui devrait être leader sur les signalements d’enfants en difficulté, et non l’éducation nationale. Ce service d’investigation éducative permettra d’enquêter sur l’environnement de l’enfant, notamment sa fratrie, pour la protéger et éviter que le contexte favorise une récidive.

Subsiste un trou dans la raquette, sur lequel nous avons interpellé le ministre : la récidive des jeunes après leur prise en charge par la PJJ, lorsqu’ils sont de nouveau livrés à eux-mêmes, soit façon noircie « Tropique de la violence », soit par une famille dépassée qui ne peut plus le gérer.

La BD de la PJJ « Les enfants du lagon », remise par L., en voie de réinsertion, aux côtés de Hugues Makengo

La réponse d’Eric Dupond-Moretti, tient dans un mot « Parcours » : « Nous sommes en train de mettre en place ce dispositif pour répondre cibler les jeunes connus pour un fort taux de délinquance, qu’ils soient suivis par la PJJ ou par les associations. »

Des réponses qui sont mal expliquées, et difficilement comprises à Mayotte où la population vit un quotidien de dégradation sécuritaire. Beaucoup rêverait de voir ces jeunes emprisonnés à vie, et souhaitent un dispositif proche des maisons de correction qui étaient déjà au début du XXème siècle une réponse révolutionnaire, pensées comme alternative à la prison pour les mineurs condamnés. Pourtant, sans ces prises en charge par la PJJ et les associations, la situation serait bien pire.

Si des outils supplémentaires ont été alloués par le ministre, ils sont insuffisants. Il faudrait accompagner des milliers de jeunes. L’envergure de la PJJ reste sous-dimensionnée en éducateurs, en entreprises d’insertion, en accompagnement des parents, au regard du nombre de mineurs qui ont basculé dans la délinquance.

Anne Perzo-Lafond

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