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Dans l’Education nationale, « on ne voit pas le bout du tunnel » s’inquiète Bruno Dezile, de la CGT Educ’Action

Violences à Kahani, tensions communautaires, la situation en ce début de vacances n'est pas sans rappeler celle de l'hiver 2017 qui avait conduit à la grande grève de 2018. Cette fois, l'approche des élections rajoute une dose d'incertitude et ceux qui font de la haine un thème de campagne pourraient mettre de nouveau le feu aux poudres craint le syndicat enseignant du 2ne degré, alors que Marine Le Pen est attendue dès ce jeudi à Mayotte.

Invité à dresser un bilan du premier trimestre scolaire qui s’achève avec les vacances de Noël, le secrétaire départemental de la CGT Educ’Action soupire.

« C’est un constat plus qu’inquiétant. Si on en revient à ce qu’on a pu vivre il y a quelques années, on a cumulé un certain nombre de problématiques : la situation s’est dégradée sur le territoire avec les différentes crises qu’on a pu traverser, et ces crises ont eu un impact sur le système éducatif à Mayotte. »

Pour lui, les élèves et les enseignants souffrent d’un ensemble de problèmes qui dépassent le simple cadre scolaire.

Bruno Dezile à l’école de Vahibé en janvier 2020

« On a la crise de l’eau, où d’une année sur l’autre on se retrouve dans les mêmes situations, ça perturbe le bon fonctionnement des établissements. Si on rajoute à cela le Covid et les différents protocoles à respecter, tout ça se cumule, on a eu la crise sismique aussi qui a duré plus d’un an et mis à mal certains établissements comme le collège de Dembéni et d’autres qui ont été fragilisés. Plus la crise sociale et d’identité que traverse Mayotte, car ce qui se passe au niveau national a tendance à se répercuter au niveau local, avec des idées de plus en plus réactionnaires, de rejet des autres, tout cela résulte d’un manque de volonté politique de pouvoir régler un certain nombre de problèmes ici, et ça s’aggrave » analyse le syndicaliste.

Pour lui, ce premier trimestre qui s’achève « fait penser à un remake » de la situation de 2017-2018, où la réaction en chaîne était partie de violences près du lycée de Kahani « avec aussi des droits de retrait et des alertes qui ont été données ». Une situation qui était restée précaire les années suivantes, « mais cette année on est passé à un autre niveau en termes de violence et de confrontation, ça a été très dur pour les collègues. On a un sentiment d’impuissance par rapport à tout cela. Le recteur a de bonnes intentions et essaye de trouver des solutions mais on sent que c’est comme s’il avait les pieds et poings liés, il a peu de moyens pour résoudre tous les problèmes » regrette le syndicaliste.

Ce dernier voit toutefois deux différences de taille par rapport à 2017, qui rendent l’évolution de la situation moins prévisible.

« La différence avec 2017, c’est les décasages, à l’époque ils étaient sauvages, anarchiques. Maintenant ils sont institutionnalisés, organisés par la préfecture, mais on a pu voir sur Koungou et Kahani que ces décasages restent quelque part des actes qui peuvent être violents pour certains jeunes, et ça n’apaise pas, ça remet plutôt une dose de tension sur le territoire. On est dans une situation compliquée à gérer qui a des répercutions directes sur le bon fonctionnement des établissements à proximité. C’est un réel problème » estime Bruno Dezile. « Difficile pour autant de répondre sur ce qu’il faudrait faire et comment, mais on se demande, avec ces décasages, ce qu’il faut mettre en place pour accompagner les gens et les jeunes pour régler les problèmes sans les déplacer. Quand on fait les choses, il faut mettre les moyens derrière ».

« Lorsqu’il y a des décasages,  des jeunes disparaissent des radars »

En 2016, année marquée par les décasages dans le sud, La candidate RN avait reçu un accueil des plus chaleureux à Mayotte

D’autant que ces opérations de démolition, comme celles de Koungou ou de Kahani, ont eu des répercutions directes qu’ont pu constater les enseignants. « Lorsqu’il y a des décasages, ça se traduit déjà par des jeunes qui disparaissent des radars, c’est un premier problème car ils ne sont plus scolarisés et se retrouvent dans la nature. Parfois les parents sont expulsés seuls, et ce sont des mineurs encore plus isolés qui restent, c’est dramatique pour eux. Cela montre le gros souci d’accompagnement. Il y a des lois, il faut les respecter, mais tout le monde doit les respecter, que ce soit les communes, ou la population quelle qu’elle soit, sinon il y aura des injustices et des situations compliquées dont on aura du mal à sortir. Là on a l’impression qu’on repart sur une espèce d’anarchie ».

A la veille de l’arrivée de Marine Le Pen du le territoire, le syndicaliste craint un renforcement des tensions communautaires et sociales.

« Avec les échéances qui approchent, on est dans l’inconnu, pour la première fois on ne sait pas du tout ce qui va se passer. Là on va avoir la visite de Marine Le Pen. A l’époque quand il y avait eu des décasages, elle venait de passer et ça avait mis le feu. Le discours de haine est bien capté ici, c’est simple, clair et il n’y a pas besoin de se poser des questions. Mais s’il y a bien un territoire où ces idées là ne devraient pas se propager, c’est bien ici ! Sa visite pendant les vacances risque de faire monter la pression et à la rentrée, on en paiera les pots cassés, c’est inquiétant. »

Le représentant syndicat s’attend bien à des annonces positives à la rentrée, pour répondre aux attentes du corps enseignant et des parents d’élèves, mais il craint déjà « des mesurettes ».

« On ne voit pas le bout du tunnel, il y aura peut être quelques annonces de faites mais on craint qu’il ne s’agisse que de mesurettes et les choses à la rentrée ne seront pas réglées. Il faudrait un plan à long terme pour reconstruire un certain nombre de choses, que la jeunesse retrouve confiance en ses institutions, que la population reprenne confiance en l’Etat et ce qu’il est capable d’apporter, car on retrouve des tensions entre populations, associations et pouvoirs publics où chacun se jette la pierre, et on va droit dans le mur. On n’est pas rassurés sur ce qui nous attend pour les prochains mois ».

A l’approche des élections, une grève générale aurait pu être envisagée comme en 2018, mais le contexte amène les syndicats à y réfléchir à deux fois.

« Je me souviens qu’en 2018, un grand mouvement était né avec la plus grande manifestation connue à Mayotte, ça avait conduit le gouvernement à réagir sur l’ensemble des services publics.

On avait réussi à gagner 500 millions d’euros d’investissement [pour l’enseignement NDLR], et on s’aperçoit qu’on a vite été dépassés en termes d’effectifs et de structures inadaptées.

Mais très vite ça a dérivé sur des discours de rejet, et on a vite choisi l’option répression, en pointant les clandestins comme responsables de la situation. Mais dans ce qu’on vit aujourd’hui, on est tous plus ou moins responsables de ce qui se passe. Repartir sur un grand mouvement, on n’a pas envie que ça redérive sur plus de haine des autres. »

Pour le représentant de la CGT Educ’Action, l’avenir ne peut donc se construire qu’à l’initiative des élus locaux, qui avaient eu tant de peine en 2018 à s’imposer face aux différents collectifs comme des interlocuteurs légitimes  pour négocier avec l’Etat.

« On aimerait avoir des élus qui fassent des propositions concrètes et fassent pression pour qu’enfin Mayotte se développe. A La Réunion un tas de projet voient le jour pour améliorer les conditions de vie de la population, ici on se demande ce qu’ils font. »

Y.D.

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