Devant le tribunal, il y a ceux qui se défendent, et ceux qui s’enfoncent tous seuls. John et Diablo, poursuivis pour violences aggravées, sont de ces derniers.
A l’origine de l’affaire qui les opposait à trois victimes, une rivalité entre familles de Koungou et Trévani, qui remonterait à bien avant la naissance des protagonistes. Toujours est-il que les 23 et 24 mai 2017, cette rivalité, qui a essaimé en métropole et à La Réunion, a donné lieu à une véritable expédition criminelle dans les rues du village de Trévani.
Une des victimes, un jeune militaire qui n’avait pas mis les pieds à Mayotte depuis sa tendre enfance, a été lardé de coups de lame, et a failli perdre un bras. « Ma vie est foutue » a-t-il déploré à la barre, décrivant une brillante carrière militaire stoppée en plein élan.
Face à lui, les deux prévenus nient en bloc leur participation, mettant les agressions et vols de ces deux jours-là sur le compte d’une « bande de jeunes de Koungou », dont l’enquête n’a pas permis de révéler l’existence. La victime est quant à elle formelle sur l’identité de ses agresseurs : « Il m’a dit c’est toi que je cherche, il m’a tiré dessus au harpon, Diablo m’a mis une balayette, m’a bloqué les bras et John a sorti une machette et a commencé à me cisailler, il a dit tu es mort. J’ai failli mourir à cause de lui, je suis traumatisé H24 » tremble encore le jeune homme, qui montre aux juges l’importante cicatrice qui marque encore son bras droit. Quelques minutes avant, le jeune homme, arrivé le jour-même à Mayotte, avait été averti du risque d’une action violente. En croisant le petit groupe qui allait l’agresser, il s’était caché dans un manguier, avant de chercher refuge dans une maison. C’est en en sortant qu’il a été blessé.
Le principal prévenu, kofie blanc sur la tête, se cache maladroitement derrière la religion et élude les questions qui lui sont posées. Il nie les violences, mais pas son animosité envers celui qu’il ne connaissait pourtant pas personnellement. « Quand j’ai su que des jeunes de Koungou l’avaient eu, j’ai dit Hamdoulillah » ose-t-il à la barre. Avant de tenter une autre approche. « Pourquoi faire 5 prières par jour pour aller au paradis si je fais une seule chose qui m’enverra en enfer? » interroge-t-il. Des « notions abstraites » pour le procureur « ce qui n’a rien à voir avec le droit qui nous occupe ici » balaye ce dernier.
Interrogé sur les dégradations et les vols commis en marge des violences, le même John utilise à nouveau la religion… à bien mauvais escient.
« Les flics disent réglez ça entre vous, c’est ce que j’ai fait »
« On est là pour nous accuser d’office, je m’en fous des dégâts qu’ils ont eu chez eux (…) je suis musulman, je ne crois pas au matériel, je sais juste qu’il faut pas lâcher la famille” avant de se tirer une balle dans le pied. « Quand on veut déposer plainte les flics disent réglez ça entre vous, c’est ce que j’ai fait ».
Du côté de la partie civile, les avocats Me Nizari et Me Souhaïli rappellent que ce dossier « aurait pu et aurait du finir devant la cour d’Assises » en raison de l’usage d’armes, en réunion, et des blessures ayant entraîné une infirmité permanente. Le juge d’instruction avait correctionnalisé l’affaire en ne retenant pas l’usage d’arme. Qu’importe, pour Me Nizari, il faut « taper fort pour envoyer un message, et que tout le monde s’arrête, des deux côtés, sans quoi on risque de voir ces faits continuer ». « Les faits de ce jour là sont de nature sauvage » abonde Me Souhaïli dont le client « a fait semblant de convulser et de mourir pour que ses agresseurs arrêtent et s’échappent ». Lui aussi dénonce l’attitude des prévenus qui, outre des regards provocants et intimidants, tiennent pour discours « ce n’est pas moi, mais je suis content qu’on lui ait réglé son compte” avant d’être rejoint en ce point par le procureur. « Le plus grave, dit ce dernier, c’est qu’il nous dit qu’il a remercié le ciel d’avoir envoyé cette bande pour s’occuper de ses ennemis, on ne peut pas décemment se réjouir devant un tribunal que quelqu’un ait subi des violences (…) Il faut se mettre à la place d’une personne pourchassée, menacée de mort, et obligée de se cacher dans un arbre, pour entendre le prévenu se réjouir de l’intervention d’une prétendue bande de Koungou ». Un « positionnement inacceptable et inquiétant » qui vaut au « meneur » des réquisitions à hauteur de 5 ans de prison ferme. Pour son comparse, le procureur demandait 4 ans ferme.
Des demandes revues à la baisse par le tribunal, qui a prononcé 5 ans de prison dont trois avec sursis probatoire pour John et 4 ans dont 18 mois de sursis probatoire pour son comparse Diablo.
Y.D.