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Mamoudzou

Condamné deux fois en deux jours pour une quinzaine de vols, il écope de plus de cinq ans ferme

66 mois de prison au total. C'est la peine infligée à "Alpha", un voleur violent qui a commis une quinzaine de vols violents en à peine un mois en novembre et décembre 2020 dans le sud de l'île. Seul interpellé de la bande de malfrats, il faisait face ce mercredi à des victimes traumatisées

Il y avait comme un air de déjà-vu ce mercredi matin au tribunal judiciaire de Mamoudzou. Devant les juges, Alpha, grand gaillard dégingandé de 21 ans, comparaissait pour la deuxième fois en 24h.

Mardi déjà, il était présenté lors d’une audience dite à « juge unique » pour des vols sans violence commis en décembre 2020. Une dizaine au total, qui lui ont valu 4 ans de prison ferme, avec mandat de dépôt.

Le lendemain, il se voyait reprocher trois autres faits, bien plus graves, puisque les victimes ont failli y laisser la vie. Ce soir-là vers 23h, Alpha se rend à Malamani pour une expédition punitive. Batte de base-ball à la main, il entend se venger d’un jeune du village qui lui aurait porté un coup de couteau lors d’une rixe antérieure. « J’étais en guerre » affirme-t-il. Mais la soif de violence d’Alpha et sa bande allait se déchaîner sur des innocents, que la bande allait dévaliser au passage. « C’était le 4 novembre, je me souviens très bien de ce jour-là » explique une des victimes, le gérant d’un magasin ». Alors qu’il s’apprêtait à fermer boutique, la bande de jeunes qui venait de s’en prendre à un passant dans la rue est entrée dans son magasin, et s’est acharnée sur lui et son ami présent à ses côtés.   » J’ai compris qu’il y avait un problème dehors, j’allais fermer la porte mais beaucoup de jeunes armés sont entrés, ils m’ont directement donné un coup de machette à la cuisse, je suis tombé et ils se sont acharnés sur moi. J’ai vu une machette vers ma tête, j’ai levé la main » témoigne le vendeur en montrant de larges cicatrices sur le bras. « J’ai perdu l’usage de ma main » précise-t-il. Après d’interminables minutes et d’innombrables coups portés, « l’un m’a soulevé, et a dit ‘on arrête de te frapper, dis nous où est l’argent’, j’ai dit servez vous, mais arrêtez de me frapper, il a répondu ‘on n’a rien fait’  » se souvient-il. « Puiis l’un d’eux a crié “prenez les boissons”, ils ont tout cassé et sont partis. Je me suis relevé et j’ai vu mon ami au sol qui criait “je vais mourir”, j’ai pris un drap pour stopper l’hémorragie ». Dans les minutes qui suivent, il tente d’appeler les secours et finit par se rendre en voiture au dispensaire de Mramadoudou avec son ami blessé.

La victime de l’agression à l’extérieur témoigne elle aussi de la barbarie de la bande.  « J’étais devant le magasin, l’un d’eux a commencé à me frapper et les autres ont suivi. Un coup de chombo allait viser ma gorge, heureusement j’ai mis mon avant bras pour bloquer le chombo, j’ai reçu des coups au dos, j’ai fait le mort, puis un jeune avec un couteau a commencé à me couper pour voir si j’étais vraiment mort, puis ils se sont enfuis et j’ai perdu connaissance ».

Le butin emporté est dérisoire, au vu de la gravité des blessures infligées : trois téléphones portables, 180€ en espèces, et des boissons.

Les deux victimes identifient Alpha comme était un des protagonistes de cette épopée ultra-violente qui n’a rien à envier au scénario d’Orange Mécanique.

Des crimes réduits en simples délits

A la fin du procès, le prévenu, seul de la bande à avoir été identifié et poursuivi, a présenté ses  » excuses aux victimes qui n’étaient pour rien dans cette affaire » tout en niant avoir eu une machette, ou être entré dans le magasin. Sans parvenir à convaincre, il a écopé de 18 mois ferme -le parquet en avait requis 24-, qui s’ajoutent au 4 ans prononcés la veille. Une peine plus faible qui s’explique, malgré la gravité des faits, par le fait que ces derniers étant antérieurs à ceux jugés mardi, la récidive ne pouvait être retenue. Il ne devrait en tout cas pas sortir avant plusieurs années.

Cette affaire pointe toutefois la question de l’orientation pénale réservée à de tels faits. Avec une victime qui dit avoir perdu l’usage de sa main, l’affaire aurait dû être présentée à un juge d’instruction pour violences ayant entraîné une infirmité permanente, mais aucune expertise médicale n’a été ordonnée en ce sens, de sorte que la victime n’a juridiquement subi que des « violences sans ITT ». Par ailleurs, le prévenu a été poursuivi pour vol avec violences, alors que l’usage d’armes par tous les agresseurs est unanimement évoqué dans la procédure, en témoignent les blessures, avec des plaies jusqu’à 20cm. Or, le vol avec arme est passible de la cour d’Assises. Le point positif, c’est que cette procédure, quoiqu’incomplète et ayant conduit à une indemnisation dérisoire des victimes (920€ pour l’une, 2000€ pour l’autre) qui n’avaient pas d’avocat, a été judiciarisée en à peine un an, quand une affaire criminelle aurait pris bien plus longtemps. « Je veux juste que ça soit fini » a en effet soufflé le gérant du magasin à la barre, encore visiblement éprouvé par cette agression insupportable.

Quid des victimes ?

L’autre problématique qui ressort de ce procès, c’est la prise en charge des victimes, encore largement défaillante à Mayotte. Dans ce cas précis, l’une n’a demandé à être indemnisée que pour son préjudice matériel (la valeur des téléphones et l’argent de la caisse, plus celle d’un frigo dégradé) et l’autre, pour le préjudice moral. Et leurs blessures n’ont été que partiellement reconnues, faute d’expertise. Or, les indemnisations, avec un avocat -ou même sans- pour des violences d’une telle gravité peuvent atteindre des dizaines de milliers d’euros, voire des centaines avec une infirmité confirmée par un expert. Là, les deux plaignants ignoraient qu’il pouvaient être au moins partiellement indemnisés par des fonds publics prévus à cet effet quand le condamné n’est pas solvable, et du coup, ils étaient venus sans penser à réclamer une indemnisation. Il est fréquent que des victimes de violences, mal informées sur leurs droits, se trouvent peu ou pas indemnisées pour leur préjudice devant le tribunal de Mayotte. C’était notamment le cas de cet enseignant qui, lardé de coups de couteau, n’avait demandé qu’un euro symbolique. Dans d’autres juridictions, une permanence permet d’orienter toutes les victimes vers un avocat, ce qui n’existe pas ici de manière automatique. L’enjeu n’est pourtant pas négligeable, et des mesures en leur faveur pourraient convaincre nombre de victimes de se tourner vers la justice.

Y.D.

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