« Les 15 porteurs de projets sélectionnés et formés par nos soins ne se contenteront plus de proposer une simple visite aux futurs touristes, mais tenteront de leur faire vivre une véritable expérience mahoraise », a expliqué David Martin en amont de la formation de ses « bébés », à savoir les futurs opérateurs de tourisme mahorais sélectionnés par l’AaDTM. Avec sa nouvelle direction quasi entièrement renouvelée depuis août 2021 (à l’exception de Michel Madi qui demeure le directeur indétrônable de la structure), le CDTM, métamorphosé de fraîche date en AaDTM, ne rigole plus et souhaite prendre le problème du tourisme à Mayotte par les cornes. Comment mettre en valeur le 101ème département ? En proposant aux touristes, en particulier les affinitaires qui constituent la très grande majorité des visiteurs de l’île, une expérience non plus seulement extérieure mais intérieure, autrement dit immersive.
Pour ce faire, l’AaDTM a engagé un cabinet d’expertise spécialisé dans le domaine : Ted Conseil. Son directeur, David Martin, présent en ce jeudi 18 novembre pour former les 15 porteurs de projets, est à l’origine un professeur d’économie touristique à l’université de Tour. En parallèle, il dirige Ted Conseil dont les membres travaillent à développer le tourisme un peu partout dans l’hexagone, mais également dans les outre-mer (à l’exception pour l’instant de la Polynésie) et à l’étranger (Belgique, Chine ou Maroc, entre autres). Michel Madi, ayant eu l’occasion de le rencontrer au cours d’un salon professionnel, n’a pas hésité une seconde à le solliciter pour développer l’attractivité de Mayotte. Mais cela ne s’est pas fait sans une « parade amoureuse » chèrement gagnée par notre professionnel du tourisme préféré. En effet, Michel Madi a d’abord fait venir David Martin sur l’île aux parfums pour lui en montrer le potentiel. Un préalable indispensable car le professionnel du tourisme nous a affirmé fonctionner « au flair ». « J’ai senti un vrai potentiel à Mayotte, malgré le gros travail de fond qu’il va falloir fournir pour l’épanouir. C’est pour cette raison que j’ai répondu à l’appel d’offre lancé par Michel Madi. Et je l’ai remporté », nous a expliqué le directeur de Ted Conseil.
La 3CO, championne de Mayotte des projets touristiques immersifs
Une fois installé, David Martin a participé, en collaboration avec Michel Madi, à sélectionner 15 porteurs de projets. Pour cela, ils se sont appuyés sur les Offices du Tourisme des 5 EPCI du Territoire Mahorais (Cadema, Grand Nord, 3C0, Sud et Petite-Terre). Ceux-ci ont été chargés de trier et de sélectionner les meilleures offres en termes de tourisme immersif. Associations, entreprises ou auto-entreprise, le choix de David Martin et Michel Madi ne s’est pas fait en fonction de la nature de la structure, mais bien de la qualité de l’offre. Et, sur les 15 projets sélectionnés, une grande majorité est issue de la 3CO (communauté de communes du Centre-Ouest). Ce qui n’est pas un hasard puisque le tourisme immersif se base beaucoup sur l’expérience agricole, l’une des grandes spécialités du centre de Mayotte.
Ainsi, et pour ne donner qu’un seul exemple, l’association Aromaoré propose une immersion des touristes dans les plantations d’Ylang-Ylang où ils pourront, non seulement participer à la cueillette de cette fleur emblématique de l’île, mais également profiter de tous ses bienfaits : gommage et massage à base d’huile végétale d’ylang-ylang, notamment. En sus, Aromaoré compte faire venir des groupes de danses traditionnelles afin que les touristes apprennent les danses locales. L’association espère aussi pouvoir relancer la construction des bangas traditionnels en terre (remplacés depuis belle lurette par des bangas en tôle, complètement dénués de leur fonction originelle de lieu de passage de l’enfance à l’âge adulte pour les jeunes Mahorais).
Les membres d’Aromaoré sont loin d’être les seuls à valoriser les danses mahoraises. Ces dernières sont en effet l’une des grandes caractéristiques de l’île aux parfums et un véritable pilier de ce que l’on appelle, dans le jargon culturel, « le patrimoine immatériel » (c’est-à-dire tout ce que l’ont ne peut pas « palper » comme la danse, la musique ou encore les contes). Or le patrimoine immatériel constitue l’écrasante majorité du patrimoine culturel de Mayotte. En effet, si le touriste ou l’expatrié de passage critique sans cesse le manque de « culture » à Mayotte, c’est qu’il fait référence la plupart du temps au patrimoine « matériel », directement observable et « palpable ». La personne non informée s’étonnera ainsi du faible nombre de peintres, de sculpteurs, ou encore de l’artisanat très proche de celui de Madagascar sans personnalité typiquement locale. C’est ignorer que cette personnalité est à chercher ailleurs : dans le nombre incroyable de musiques, de danses et de contes que recèle l’île aux parfums !
Une mise en valeurs des traditions
La très célèbre Taambati Moussa (ou Abdou), considérée depuis des années comme « la gardienne des traditions mahoraises », fait évidemment partie de ces 15 porteurs de projets, afin de mettre en valeur sa région : le sud mahorais. Dans le cadre de la formation proposée par David Martin, elle souhaite valoriser l’une des nombreuses cordes de l’arc infini de sa connaissance des traditions mahoraises : la pêche au djarifa (pêche traditionnelle mahoraise typiquement féminine et collaborative réalisée à l’aide de tissus). « J’ai souhaité travailler sur cette tradition particulière car elle est peu connue du grand public. Mais je ne sais pas trop comment faire ni quel modèle économique adopter. D’où ma présence ici », explique la « gardienne des traditions » lors de la présentation des 15 porteurs de projets ce jeudi matin.
Si d’autres opérateurs en herbe étaient présents pour mettre en lumière les traditions mahoraises, comme l’association des « mamas shingo » de Brandrélé ou encore « Baobab Tour » qui souhaite travailler le manzaraka, d’autres, plus jeunes, avaient déjà compris l’utilité de se servir de la double facette de Mayotte. En effet, notre île jouit d’une dichotomie intéressante : elle est à la fois très traditionnelle et très moderne, de par son catapultage extrêmement rapide dans le monde moderne mondialisé. Un jeune informaticien du centre, présent à la formation, l’a bien compris et souhaite se servir de ce double aspect en créant des casques virtuels destinés à visiter l’ancienne usine sucrière de Soulou, entièrement restituée virtuellement.
Evidemment, les traditionnelles sorties bateau sur les îlots de M’tsamboro seront aussi de la partie car, bien que devenues presque « communes » pour les résidents, elles font toujours leur « petit effet » sur les touristes de passage, émerveillés par les eaux turquoises du lagon et la biodiversité qu’elles recèlent. En bref, ces 15 porteurs de projets que David Martin aura la lourde mission de former et de suivre, constituent peut-être le levier tant attendu pour sortir enfin le potentiel touristique mahorais du marécage dans lequel il se vautre depuis des années. Réussiront-ils à donner une nouvelle image de Mayotte au niveau national et international ? L’avenir nous le dira, mais nous l’espérons de tout cœur !
Nora Godeau