« Voilà, c’est ça qu’on essaye de protéger ». Souriant, Christophe Fonfreyde, directeur du parc naturel marin de Mayotte, voit un grand groupe de dauphins longs-becs sauter de toutes parts autour du bateau du Parc. « C’est ce qu’on appelle une approche idéale » sourit le directeur, constatant que les dauphins sont venus d’eux-mêmes près du bateau. Un moment aussi joyeux qu’inattendu, car la mission de vendredi ne consistait pas à promouvoir l’approche respectueuse des mammifères marins (dont nous rappelions les règles ici) mais à installer, au large de la passe Longoni, un dispositif de concentration de poissons, ou DCP.
Si la chambre d’agriculture et de pêche de Mayotte (CAPAM) en avait déjà installé quelques uns il y a une dizaine d’années, avant donc la création du Parc, c’est la première fois que ce dernier prend à sa charge une telle opération. Après plusieurs réunions de concertation avec les professionnels de la pêche, 14 sites hors lagon ont été retenus, tous à proximité des différents villages de pêcheurs, et des passes permettant de s’y rendre. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Chaque DCP est constitué d’un bloc de béton posé au fond de l’eau, à 1000m de profondeur pour celui de Longoni, lequel est relié à la surface par un bout, le long duquel des fanions de plastique reproduisent dans le courant le mouvement des algues. En surface, une bouée équipée d’un réflecteur radar et d’une lumière permettent aux pêcheurs de trouver le site. Sur le fonctionnement, deux phénomènes naturels conduisent les espèces pélagiques à élire domicile autour des DCP en quelques mois à peine. D’abord, progressivement, « toute une chaine alimentaire se développe autour, au début des algues viennent se fixer, attirant des petits poissons qui attirent à leur tour des plus gros comme les thons » à la manière d’un récif artificiel, explique la docteure Cyrielle Jac, chargée de mission pêche au Parc Marin. « L’autre hypothèse c’est que ça fait un abri », complète Christophe Fonfreyde. « Des fois, sous un simple tronc d’arbre on voit des tonnes de thonidés s’abriter, car ils ont gardé l’habitude depuis tout petits de chercher un abri, et ça fait un agrégateur naturel. Sous un seul tronc on peut voir des milliers de poissons. «
C’est donc une idée simple et « inspirée par la nature » sourit le directeur du Parc marin.
Un enjeu économique et environnemental
L’intérêt est lui aussi double pour ces dispositifs installés au large. « L’idée c’est que les poissons vont s’agréger autour et on va venir pêcher dessus. Actuellement la pêche est principalement orientée autour de la pêche lagunaire, c’est 35% de la pêche effectuée à Mayotte, mais ce sont des ressources particulièrement sensibles à la pêche alors que les ressources pélagiques comme les thons sont beaucoup moins sensibles à la surpêche, donc l’idée c’est de pousser la pêche vers le large en ciblant les thons, marlins et autres voiliers, qui sont moins sensibles et qu’on peut pêcher en plus grande quantité » explique encore le directeur, soucieux de promouvoir une « pêche durable ». Une pêche qui sera d’autant plus durable que le seront les DCP. Le Parc rappelle à cet effet qu’il est interdit de s’amarrer à ces bouées qui ne sont pas faîtes pour cela. Cette pratique serait la principale cause de casse de DCP dans le monde.
Cette pêche autour des DCP se veut aussi plus rentable pour les pêcheurs, puisque les dispositifs sont pensés à une distance optimale, pour attirer les poissons du large sans nécessiter trop de carburant pour s’y rendre.
Cet enjeu pourrait rapidement offrir un souffle bienvenu aux espèces du lagon, comme les mérous que l’on pêche de plus en plus jeunes. On peut le voir en supermarché, avec des mérous d’une vingtaine de centimètres, bien loin d’avoir atteint l’âge adulte. En effet confirme le directeur du Parc, « les espèces récifales, telles que mérous, carangues et vivaneaux sont très pêchées alors qu’elles se reproduisent tardivement. Or plus on va les pêcher jeunes moins on a de la chance qu’elles se reproduisent, et qu’on continue à en trouver par la suite ». Les pêcheurs sont pourtant dans leur droit puisque » en termes de règlementation la taille minimale c’est 10cm, à partir de 10cm un pêcheur peut attraper un mérou » indique Cyrielle Jac. Faute d’outil juridique pour protéger ces juvéniles qui sont l’avenir de la ressource dans la lagon, l’idée de pousser la pêche vers le large s’imposait comme une évidence.
Mais au large aussi, les poissons subissent la pression de l’Homme, et la question de la ressource halieutique se pose nécessairement. De fait, en attirant les pélagiques vers les DCP, ces derniers viendront « en concurrence aux thoniers senneurs » qui croisent au large, souligne le directeur du Parc.
Même si évidemment les proportions sont incomparables entre la pêche artisanale pratiquée par les professionnels mahorais et l’écumage à échelle industrielle pratiqué tout à fait légalement par ces navires-usines dans les eaux du Parc (en moyenne 3500 tonnes de thons sont pêchés chaque année dans les eaux du Parc). A termes, une délibération de ce dernier vise à bouter ces immenses bateaux plus au large, hors des eaux protégées du Parc Marin, dès le 1er janvier. En attendant de possibles nouvelles de l’Europe sur ce point en début d’année prochaine, une résolution a été prise à l’échelle de l’océan Indien en juin dernier, constant à réduire de quelque 20% la masse des poissons pêchés dans la zone pour les bateaux européens, les Français et Espagnols étant les principaux pêcheurs de la zone.
Ces évolutions témoignent d’une prise de conscience de la fragilité de la biodiversité des océans, et de la nécessité de lever le pied sur leur exploitation. Reste à mettre aussi des moyens pour informer le grand public de ces enjeux. Le consommateur de thon en boîte et autres produits issus de la pêche industrielle, reste en effet le premier et le plus puissant des acteurs pour impulser un vrai virage qui sauvera la pêche artisanale, et la biodiversité qui fait vivre les habitants de la zone.
Y.D.