Il y avait une certaine émotion vendredi au lycée des Lumières à Kawéni, où était reçu pour la première fois de l’histoire du syndicat patronal, le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux (en 2016, c’est le vice-président du Medef Thibault Lanxade qui s’était déplacé à Mayotte). Entre les selfies demandés par des entrepreneurs et les trémolos dans la voix de la vice-présidence du Département Bibi Chanfi, on ne pouvait que mesurer l’importance accordée par le monde économique à ce visiteur.
Forcément, l’arrivée sur le territoire du « patron des patrons » était l’occasion de réunir le monde économique, et d’échanger sur ce qui va et ce qui ne va pas. Et en premier lieu, c’est un constat positif qui est ressorti. « On avait décidé de mettre l’accent sur les capacités d’adaptation et d’innovation de Mayotte et son agilité » explique le préfet Thierry Suquet. Pari réussi puisque Mayotte est, malgré la pandémie et sans doute grâce au plan de relance, le territoire à la plus forte croissance économique de France « mais aussi des îles de l’océan Indien » salue le préfet. Economiquement donc, les indicateurs sont au vert, et si, en raison notamment de l’insécurité, tout n’est pas rose, « je porte l’ambition qu’en dehors de la crise on soit capable de maintenir cette capacité de réponse et d’innovation » veut croire le préfet.
Pour y parvenir, le représentant de l’Etat fait un autre pari, celui de la jeunesse mahoraise, de plus en plus qualifiée, mais souvent absente. « On a 2000 jeunes qui partent chaque année faire des études, on a besoin qu’ils rentrent, on a besoin de médecins, de comptables… Ce sont eux qui nous permettront demain de franchir les étapes et les différents défis auxquels nous sommes confrontés. Nous sommes un territoire où l’on peut parfois sauter ldes étapes : on était le territoire qui avait le plus faible débit, et on a maintenant la 4G+ » illustre le préfet. Ce dernier se dit toutefois « lucide face aux défis, tels que l’accès à l’éducation, à la santé, on doit s’engager de façon ferme et résolue. Il est impossible de parler de progrès technologique si on n’apporte pas de satisfaction à ces besoins primaires. C’est un vrai défi. Et il y a le défi de l’insécurité, le rapport du sénat est lucide sur la réalité de Mayotte, il n’est pas question de minimiser cette situation. Oui c’est insupportable qu’on ait tenté d’incendier la mairie de Koungou. Mais pourquoi on l’a fait ? Parce que le jour même on a mis un coup de pied dans la fourmilière en détruisant 350 logements illégaux qui étaient un foyer d’insécurité, de délinquance. On est engagés dans une lutte sans merci contre la délinquance et la violence » insiste Thierry Suquet.
« L’outre mer est une richesse pour la France »
Pour le président du Medef, cette première visite est certes « l’occasion de parler des problèmes mais aussi des opportunités ». En effet Mayotte souffre selon lui d’être « chronologiquement le dernier département français d’outre mer, et le moins connu ». Or « on sort de la crise globalement au niveau national beaucoup plus vite que prévu, à part quelques secteurs qui souffrent encore comme le tourisme la croissance est très forte. Il reste quelques inquiétudes à l’horizon. Mayotte est une île, il y a des contraintes très fortes mais il faut voir aussi les opportunités. Ensuite l’outre mer est une richesse pour la France , avec le 2e domaine maritime mondial, mais beaucoup de Français l’ignorent. Pour pouvoir en parler il faut y aller » poursuit-il. Autre écueil constaté depuis Paris par le président du Medef avant sa venue à La Réunion et Mayotte, « on parle des DOM uniquement quand ça va mal ». Pourtant en une journée sur l’île aux parfums, « on a vu 5 entreprises, toutes les 5 en très forte croissance. Mayotte est le département qui croît le plus vite. Pour les jeunes au chômage il faudrait plus de créations d’emploi mais en termes de créations d’entreprises, la croissance est forte. La démographe positive, c’est en termes de croissance économique une chance. Quand vous avez un territoire qui perd de la population, il va à terme s’enfoncer dans la décroissance. Les Antilles sont en décroissance démographique, et à terme, c’est synonyme de décroissance économique. Ici le problème c’est que la croissance démographique est peut être trop rapide par rapport aux moyens. Le problème c’est l’adaptation des moyens. » Des moyens qui, grâce à la commande publique, sont bien présents, mais trop peu ou trop mal dépensés. « J’ai l’impression que le problème ce n’est pas l’argent, les montants d’investissements de l’argent sont là, le problème serait plus l’ingénierie » note Geoffroy Roux de Bézieux, rejoint par Carla Baltus, présidente du Medef de Mayotte, qui en appelle à l’aide de l’Etat et au maintien du CICE.
Sans s’engager sur un dispositif particulier, le préfet les a assurés de son soutien. Et qualifiant les entrepreneurs présents de « gens formidables » qui iront « très loin », il a toutefois rappelé des « contreparties » à l’aide de l’Etat.
« On va vous accompagner pour que ce soit possible et réalisable. Évidemment il y a une contrepartie à cela, qui est le respect de la réglementation. On a parlé des problématiques de l’eau. Au delà de la quantité on a une problème de qualité, notre développement économique doit respecter la qualité de notre environnement, c’est la condition à la préservation de la qualité de vie à Mayotte, si nous ne voulons pas avoir en 2050 une île avec 750 000 habitants, que des routes, et pas d’eau ».
Y.D.