Alors que sonne l’heure de la retraite pour l’ancienne ministre de l’environnement, médecin de formation et depuis tout juste deux ans, directrice de l’ARS de plein exercice de Mayotte, Dominique Voynet compte les cheveux blancs qui lui sont apparus sur la tête depuis son arrivée le 1er septembre 2019. Dans environ deux mois, son successeur prendra ses fonctions. Si son nom reste tenu secret, on sait qu’il s’agit d’un connaisseur de l’île, qui y est déjà venu en mission et « a eu le coup de foudre » pour Mayotte, indique Stéphanie Fréchet, secrétaire générale de l’ARS qui prendra l’intérim jusqu’en novembre.
D’ici là donc, Dominique Voynet aura quitté l’île. Ce jeudi était l’occasion pour elle de tirer un bilan de ses deux années d’exercice sur l’île aux parfums. Et du chemin a été parcouru. « La première priorité, c’était de construire l’ARS de plein exercice. On n’avait alors personne capable de construire un marché public ou de s’assurer de la validité juridique d’une décision, on n’avait pas d’agenda, on n’avait pas de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ni de programme de formation. Mais assez vite le ministère a oublié qu’on n’était vieux que de 3 mois, et a exigé de nous le niveau d’une ARS Plus ancienne » se réjouit la directrice sortante. Être « connue à Paris » a débloqué des dossiers et des financements, et la montée en puissance de l’ARS Mayotte a été salutaire lors de la crise Covid. « Avant, tout était négocié à La Réunion, on entend parfois dire ici qu’ils ne nous aimaient pas, ce n’est pas ça, mais ils étaient moins près de la réalité. Or, c’est difficile de gérer une crise comme ça quand on n’est pas dans la réalité, c’est comme être en Picardie et gérer l’ARS de Corse. Il faut tenir les 2 bouts, être crédible à Paris et sur le terrain ».
Une crédibilité qui a en partie tenu à une forme d’intuition de l’ancienne ministre. « J’ai du avoir une intuition car dans mes discours d’arrivée j’avais mis en point numéro 1 la gestion de crise, alors qu’on ne s’attendait pas au volcan ni à la Covid. Quand l’épidémie est venue on avait déjà mis en place un petit bout d’équipe pour s’en occuper » sourit-elle. Rapidement, la montée en puissance s’est confirmée. Le FIR, fonds d’intervention régional, qui permet d’aider financièrement le CHM mais aussi des associations, a grimpé de 18 millions d’euros en 2019 à plus de 32 millions cette année. « C’est un témoignage de la solidité des équipes qui sont capables de monter des projets avec les associations et les communes, dans le respect des finances publiques et ça montre notre capacité à rendre compte de la façon dont est dépensé l’argent, qui va à l’hôpital mais aussi de plus en plus à des acteurs de terrain, sur la prévention des MST, des violences, du cancer, du diabète… » Le service de communication s’est transformé, passant d’une professionnelle partagée sur plusieurs mission à trois agents à temps plein, qui assurent notamment des traductions en shimaoré et kibushi de tous les documents.
Ensuite rappelle Dominique Voynet, il a fallu « monter une vraie direction de la santé publique. Quatre maladies sur 10 à Mayotte sont liées aux conditions de vie. La prévention est fondamentale. » rappelle-t-elle. Cette direction compte aujourd’hui près de 100 personnels, dont plus de la moitié affectés à la lutte anti-vectorielle.
Tout cela avec un imprévu de taille : la crise sanitaire, qui a été « une gêne considérable et un atout considérable ». Ainsi, « on a dû s’adapter, des choses se sont arrêtées, on s’est réorganisés. Ça aussi accéléré des chantiers en panne depuis des années comme le plan ORSAN, car le plan blanc qui avait 10 ans n’est pas fait pour une crise qui dure. Jeudi prochain on aura la préfecture, les pompiers, la police, la gendarmerie, l’hôpital, l’ARS, et les élus locaux, qui seront réunis pour préparer des exercices grandeur nature avant la fin de l’année ».
Le chantier du 2e hôpital a lui aussi pris du retard. « Il y a eu aussi des mois de flottement en raison des élections départementales. Le travail a repris avec des experts qui nous ont aidé à arrêter le format du nouvel hôpital qui comportera environ 320 lits et places, tout comme l’actuel hôpital de Mamoudzou. Il faut donc construire 45 000m² de bâtiment, c’est le 2e plus grand chantier hospitalier derrière le CHU de Pointe-à-Pitre. Il faudra répartir les services entre les 2 sites et mettre en place le programme de travaux et d’organisation pour attendre le 2e site ». Ce dernier sera situé, a priori, soit à Sada, soit à Combani. « On veut un site à l’abri des risques naturels, on ne peut pas se permettre de vivre le scénario de St Barth ou avec l’ouragan Irma l’hôpital tombe en premier ». Le ministère doit trancher entre les deux sites. « L’un de ces sites est disponible de suite parce qu’il appartient au CD mais il faut améliorer l’accès, l’autre est au bord de la route mais on n’a pas la maîtrise foncière » détaille Dominique Voynet.
Autre grand chantier que maîtrise bien Dominique Voynet pour y avoir œuvré avant de prendre son poste actuel, celui de la coopération régionale. Mise à mal par la crise Covid, et les tensions diplomatiques qui ont accompagné la révélation par la directrice que le virus circulait bien en 2020 aux Comores -lors de la mort du Grand Mufti-, celle-ci semble de nouveau sur les rails. « En 2021 on a pu organiser deux missions, sur les urgences et la traumatologie, et une sur la dialyse. Trois autres sont programmées sur le diabète, les labos et les maladies infectieuses et bactéries résistantes et la santé mentale. J’ai recruté une chargée de mission coopération qui connaît très bien l’Afrique de l’est, elle commence lundi ».
L’attractivité, « pas qu’une question d’argent »
Mais Dominique Voynet ne part pas qu’avec enthousiasme, elle exprime aussi des « regrets ». Par exemple, « je n’ai pas pu ouvrir le chantier de la formation des professionnels de santé et de l’attractivité, on a longtemps cru qu’il suffirait de mettre de l’argent sur la table pour attirer des professionnels, on sait que ce n’est pas vrai, les salariés de l’hôpital sont bien rémunérés, c’est moins vrai en PMI, mais je suis convaincue que ce n’est pas une question d’argent. Pour convaincre un professionnel de venir et de rester il faut des conditions, il faut d’abord un projet, dans certains services on n’a aucun problème de recrutement, dans d’autres si. Ensuite il faut des conditions de vie : logement, sécurité, temps de trajets… il faut travailler sur l’amélioration des conditions de vie en général et sur les projets hospitaliers » liste la presque-retraitée. Quant à la formation, « il ne faut pas se raconter de salades » pointe-t-elle, « on va devoir former beaucoup de monde, et convaincre beaucoup de personnes de venir à Mayotte. On ne peut pas donner le slogan Mayotte aux Mahorais, il faut 10 ans pour former un médecin généraliste, encore plus pour un spécialiste, on n’a pas le temps d’attendre ça. Surtout qu’on a des Mahorais médecins, et ils n’ont pas tous décidé de revenir. Si on est un département comme les autres, on va avoir des équipes mixtes » poursuit-elle. D’ici là, « il faut qu’on développe des efforts pour permettre à un maximum de Mahorais d’accéder aux études médicales, mais on ne développera pas des formations moins exigeantes qu’ailleurs car on veut des professionnels de qualité, c’est un travail qui devra être porté politiquement pendant des années, et ça avec la crise Covid on n’y est pas arrivés, mais on a recruté une jeune cadre chargée de ce dossier ».
Ces dossiers, ce sera donc un autre directeur qui les mènera à leur terme. Dominique Voynet, elle, a « plein de passion que j’entends assouvir au maximum, je me suis privé de beaucoup de choses pendant des années. Il y a une campagne présidentielle, ça m’étonnerait que j’en reste indifférente, je pense aussi m’investir dans le monde associatif, notamment dans l’observatoire des prisons, si j’y suis utile, et je vais voyager, je serai peut être même amenée à revenir à Mayotte avec un autre profil : on manque notamment de médecins inspecteurs de santé publique pour des missions ».
La retraite ne sera donc pas de tout repos.
Y.D.