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Mamoudzou

Affaire du GIR, relaxe pour les gendarmes Gautier et Le Mignant, accusés d’importation de drogue

La justice a voulu "tourner la page" de l'affaire du GIR qui empoisonne le tribunal de Mamoudzou depuis plus de 10 ans. Deux lectures du même dossier se sont opposées durant près de 8 heures, mais celle de la défense, partagée par le parquet, l'a emportée, malgré l'intervention en visio-conférence du juge Karki, cité à comparaître par Mansour Kamardine.

« Ça a été un plaisir de travailler avec vous ». A l’issue d’un procès de 8 heures ce mercredi, il ne manquait que les accolades pour matérialiser la sympathie du parquet, incarné par le vice-procureur Amouret, et la défense des gendarmes Gautier et Le Mignant, assurée respectivement par le ténor du barreau Francis Szpiner et son confrère Benoït Morel. Une sympathie qui s’est ressentie tout au long de l’audience, jusque dans la formulation des questions posées par le parquetier aux prévenus, à grand coup de « on est d’accord que », une formule plusieurs fois utilisée comme pour rassurer les deux hommes poursuivis pour complicité de trafic de stupéfiants des intentions du parquet. Lequel a d’ailleurs presque pris le rôle des avocats de la défense, en requérant la relaxe pure et simple des deux hommes, insistant longuement sur leurs états de service, dans un réquisitoire à décharge ponctué de piques à l’endroit du juge Karki, que le vice-procureur s’est gardé de nommer.

« On va monter, créer de toutes pièces, une nébuleuse faite d’affirmations, de dénonciations, qui ne sont jamais étayées » assure le représentant du ministère public. Toujours sans citer l’ancien juge d’instruction, le vice-procureur s’interroge sur ses motivations. Selon lui après 10 ans de procédure, « le but c’est de leur nuire définitivement avec une condamnation pénale de leur pays ». Mais pour lui, « on n’a jamais le moindre élément qui vienne étayer ces suspicions, aucune écoute téléphonique, aucun mail, aucun SMS. Vous n’avez rien. » Pour lui, aucun « élément matériel » pour « soutenir l’accusation ». Il demande la relaxe des deux hommes, et la condamnation des 6 autres prévenus, absents à la barre. « Je ne sais pas si c’est une question d’égo ou de querelle de service au détriment de ces messieurs dont on voit qu’ils n’ont jamais été à l’origine d’une querelle ou de problèmes ». Le parquetier devait signifier le point culminant de son réquisitoire par un point Godwin en citant le recueil résistant « Au rendez-vous allemand » de Paul Eluard, avec un énigmatique « comprenne qui voudra ».

« Un scandale judiciaire »

Les deux ténors ont pu compter sur un soutien fort du parquet en faveur de leurs clients

De quoi couper l’herbe  sous le pied des avocats de la défense, qui se sont évertués à décrédibiliser les témoignages à charge, ceux de « délinquants », et de deux officiers de gendarmerie mobile « incompétents dans cette matière » selon Me Szpiner. Ce dernier dénonce « un scandale judiciaire » et va plus loin que le vice-procureur. « M. le procureur parle de nébuleuse, moi je parle de campagne orchestrée par le magistrat instructeur ». Son confrère Me Morel soutient lui aussi la vision d’une « enquête dévoyée par un juge d’instruction qui n’a eu de cesse d’instrumentaliser l’appareil judiciaire pour satisfaire un sentiment de vengeance pour des motifs qui n’ont rien à voir avec le procès qui nous occupe ».

Au final il n’y a bien eu que Mansour Kamardine pour apporter une once de contradictoire au procès. Et si Me Szpiner a tenté de le faire taire en arguant qu’il n’avait « aucun pouvoir » faute d’écrit de son client, et en lui coupant la parole ou en le qualifiant de « porte parole de M. Karki », l’avocat mahorais estime quand même que les prévenus absents « ont reçu des instructions (…) ils ont été exploités « . L’ancien bâtonnier du barreau de Mayotte estime n’avoir « pas lu le même dossier que le ministère public” dans le réquisitoire au sein duquel il dit avoir « entendu une mise en cause lourde de Hakim Karki”.

Ce dernier a pu témoigner en visio-conférence malgré l’opposition des avocats de la défense. Ni la présidente Lizelotte Poizat, ni le procureur, ni les avocats de la défense, n’ont souhaité poser de questions à l’ancien magistrat instructeur, là encore signe d’une ligne commune entre le siège, le parquet et la défense.

Interrogé par Mansour Kamardine, il a relaté des « pressions » au plus haut niveau.

« Il fallait faire du chiffre »

« La réalité objective c’est que dans ce dossier là il y a eu clairement des pressions sur les magistrats, les greffiers et les enquêteurs. Certains ont été entendus jusqu’à 17 fois par leurs services (…) Une greffière a subi pressions psychologiques et harcèlement, une autre s’est retrouvée à 63 ans en procédure disciplinaire, le patron de la SR a été viré de la section de recherche et s’est retrouvé aux scellés à Rosny-sous-Bois » égraine le magistrat. Pour lui, le dossier n’est autre qu’un trafic de stupéfiants orchestré par un service d’enquête pour faire du chiffre, dans un contexte politique bien particulier. « A l’époque, la gendarmerie est très active, on est à l’ère Sarkozy, il fallait faire du chiffre, 50% de saisies stup du GIR étaient faites par Mayotte. Deux gendarmes mobiles ont dit que le trafic était tellement visible que c’était grotesque » (…) On s’est rendu compte qu’un système avait été organisé, où l’on utilisait de petites gens à qui l’on faisait croire qu’ils allaient avoir des papiers, pour les meilleurs et les plus loyaux on leur donnait une carte de séjour ». Selon lui les interpellations menées sur les plages sont marquées par « une incapacité officielle d’interpeller ceux qui importent la drogue, on apprendra plus tard que ceux qui conduisent la barque sont des indicateurs. Plus fourbe, cet indic, une source anonyme,  qui s’avèrera être Le Mignant, qui par ses liens avec Anjouan et sa femme anjouanaise organisait ces arrivées de stupéfiants ». Des accusations lourdes au cœur de l’instruction que le juge avait mené avant de quitter Mayotte « précipitamment » et que l’intéressé a balayées à l’audience.  Le gendarme jure n’avoir « absolument pas » été un informateur.

Pour les deux prévenus, l’affaire reposerait plutôt sur une volonté du juge Karki « d’atomiser le GIR ».

« Sans l’affaire Roukia je serais pas devant ce tribunal aujourd’hui »

Le puissant avocat parisien dénonçait un ‘scandale judiciaire’

« Le juge Karki s’est livré à des invectives envers la gendarmerie, a promis d’atomiser mon service, 3 de mes personnels ont été mis en examen pour homicide involontaire. Sans l’affaire Roukia je serais pas devant ce tribunal aujourd’hui » estime l’ancien gendarme Gautier. « Ici à Mayotte les gens ont besoin d’avoir la vérité, les personnels mis en cause ont été relaxés par la cour d’appel, nos services ne sont pas responsables de cette mort ». A renfort de sanglots et voix tremblantes, les deux prévenus présents ont exprimé l’émotion de « 10 années de vie entre parenthèses ». L’ancien chef Gautier développe les conséquences personnelles : «  j’ai 6 pages à mon nom sur Google que voulez vous que je fasse, il y a eu plus de 500 articles de presse, j’ai eu droit à tout, comment voulez vous que je vive avec ça ? C’est pas rien d’être jeté en pâture. Bien sur que j’en veux au juge Karki. C’est mon dernier juge d’instruction, il nous a fait vivre une misère. Il ne se rend pas compte du mal qu’il a fait, il y a plein de drames derrière. Il n’avait qu’une obsession, qu’on soit atomisés, qu’on soit incarcérés”.

A l’issue d’une procédure tellement longue que les prévenus pourraient demander une indemnisation à l’Etat, les deux gendarmes ont donc été relaxés, et les 6 autres prévenus, condamnés à des peines allant de 2 à 6 mois de prison avec sursis, et 18 mois ferme pour la tête du réseau d’immigration clandestine.

De quoi mettre un terme à un temps de justice anormalement long. Sauf si Mansour Kamardine, dont le client n’a pas été relaxé comme il l’espérait, fait appel…

Au final, le délibéré est presque apparu secondaire dans ce dossier, où parce que des avocats se sont coupé la parole, des magistrats se sont attaqués entre eux, des  témoins ont été dénigrés, et où une enquête hautement médiatique est tombée dans l’oubli pendant près de trois ans avant d’être déterrée par l’ancien procureur Camille Miansoni… pour être jugée 11 ans après les faits avec au cœur de l’audience une référence directe aux heures les plus sombres d’une page de notre histoire où les dénonciations étaient synonyme de mort certaine, c’est bien la justice dans son ensemble, cette institution parfois passionnée, parfois feutrée, mais presque toujours digne, qui restera la grande perdante de l’histoire.

Y.D.

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