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Marcel Rinaldy : le monde économique est « parti pour une crise longue »

C’est avec inquiétude que le président du Collectif du monde économique de Mayotte (CMEM) a accueilli la nouvelle d’un confinement général sur le territoire. S’il est selon lui, la conséquence d’une mauvaise gestion de la crise sanitaire, l’heure serait à sauver les meubles en soutenant économiquement les entreprises. Et en les protégeant, comme la population, d’une éventuelle flambée de la délinquance.

Le Journal de Mayotte : Comment avez-vous accueilli la décision d’un confinement général ?

Marcel Rinaldy : C’est forcément une source d’inquiétude sachant que nous sommes le seul département français actuellement confiné. On ne comprend pas très bien comment on a pu en arriver là, ce qui, forcément, nous amène à nous interroger sur la gestion de la crise par les différentes institutions à la manœuvre. Je pense qu’il y a un souci de coordination qui nous a conduit dans cette situation de confinement qui est totalement inacceptable pour un territoire qui est déjà en souffrance absolue.

S’agissant du secteur économique, tous les commerçants sont à l’arrêt. En ce qui me concerne, mes 17 boutiques sont fermées. C’est donc évidement une nouvelle perte de chiffre d’affaires très importante alors que nous avions déjà perdu beaucoup d’argent l’année passée du fait du premier confinement. L’inquiétude d’aujourd’hui est liée à l’incertitude qui pèse sur les entreprises : comment vont-elles pouvoir se relever de cette situation ? Alors même que nous subissons déjà la double peine : les entreprises sont à l’arrêt et ce confinement crée une image tellement délétère du territoire que même à sa sortie, nous allons avoir beaucoup de mal à retrouver une clientèle extérieure. On est parti pour une crise longue.

Le J.D.M : L’État se dit dans le soutien aux acteurs économiques, comment cela se traduit dans les faits et est-ce en mesure de soulager vos inquiétudes ?

M. R. : Oui en effet, l’État fait preuve de bonne volonté, nous avons pu rencontrer les techniciens de ses différents services mais nous ne sommes pour l’heure pas rassurés. Car nous sommes encore calqués sur les mesures nationales, lesquelles sont prises sur la base d’un couvre-feu et non d’un confinement. Rien, à ce stade, n’a été décidé pour Mayotte si ce n’est un fonds de solidarité qui pourrait revenir à 3000 euros. Mais quand on perd des dizaines de milliers voire des millions d’euros, cela ne semble pas très sérieux comme réponse… On a également évoqué le prêt garanti par l’État (PGE), mais ça reste un endettement, donc nécessairement très limité en fonction des capacités des entreprises.

Nous allons continuer à interpeller ces services et restons dans l’attente de propositions de leur part.

Le J.D.M : Concrètement, quelles mesures attendez-vous de la part de l’État ?

M. R. : A minima, l’idée serait de bénéficier des mêmes mesures que celles qui ont eu cours pendant le premier confinement pour la métropole. C’est à dire des indemnités de compensation de perte de chiffre d’affaires qui pouvaient aller jusqu’à 20% de ce chiffre d’affaires. Nous demandons également à ce que les travailleurs indépendants et les gérants de société – qui sont en grande précarité puisqu’ils ne touchent pas d’activité partielle mais ont tout de même beaucoup de traites à payer – puissent bénéficier d’une aide dans la mesure où le fonds de solidarité est exclusivement dédié au fonctionnement de l’entreprise.

Surtout, nous demandons solennellement une égalité de traitement entre la métropole et Mayotte. Car, encore une fois, ce qui est proposé sur notre territoire est en deçà de ce qui peut l’être en métropole.

Le J.D.M : Comment expliquer cette différence de traitement ?

M. R. : Pour ce cas de figure, rappelons qu’il y a un décalage dans le confinement entre ce qu’il s’est passé en métropole et ce que nous vivons ici. De manière générale, et c’est le cas pour tous les sujets concernant Mayotte, l’État est en sous-investissement chronique tant sur le plan des moyens que sur le plan humain et lorsqu’on arrive en situation de crise comme aujourd’hui, le territoire paye le prix fort de cette absence d’implication. Ce n’est pas nouveau, et l’on en subit d’autant plus les conséquences que ce sous-investissement dure depuis des années et des années. Tous les jours on voit des situations complètement ubuesques qui naissent de ce manque de moyens, alors en période de crise…

De manière générale, je crois que sur le territoire nous avons des personnes qui font, ou du moins essayent, de faire preuve de bonne volonté mais le problème vient d’un gouvernement qui fait la sourde oreille face aux problèmes de Mayotte. Envoyer beaucoup d’argent pour répondre à une crise ne suffit pas, notre département souffre d’un manque de vision, de stratégie, accablant. Cela vaut sur tous les points et notamment au sujet de l’insécurité. Il faut, sérieusement, mettre en place ici l’égalité des territoires de manière à respecter la dignité des Mahoraises et des Mahorais. On est en France bon sang de bonsoir ! Les moyens sont là pour peu qu’on s’attache à les mettre en œuvre. Mais rester de cette

« Les forces de l’ordre n’étant déjà pas suffisamment nombreuses pour régler le problème de l’insécurité, les voilà dorénavant affectées à des missions de contrôle pour faire respecter le confinement. Vous imaginez bien que dans ce contexte ça va être un désordre pas possible », estime Marcel Rinaldy

manière dans l’attentisme est inadmissible.

Localement, entendre que l’on évite le confinement pour ne pas mettre l’économie informelle en péril est dur à avaler pour des chefs d’entreprises qui tentent tant bien que mal de faire les choses dans les règles. Et c’est un aveu d’échec pour l’État qui n’a pas su prendre en charge correctement ces populations. L’État doit prendre ses responsabilités.

Le J.D.M : Le chômage endémique dont souffre Mayotte pourrait-il, lui aussi, s’aggraver du fait de la crise sanitaire et du confinement ?

M. R. : Bien sûr. Le premier réflexe que nous avons dans de telles situations est de ne pas renouveler des périodes d’essai qui seraient en cours, c’est de ne pas convertir des CDD en CDI alors que c’était prévu et c’est de manière générale mettre un terme aux investissements et donc à l’emploi qui pourrait en découler. Personnellement, le plan d’investissement que j’avais aurait permis de créer 30 emplois sur le territoire. Ça ne paraît grand chose mais des cas comme cela il y en a des centaines.

Le J.D.M : Vous avez évoqué le sujet de la délinquance, sur lequel le CMEM s’était déjà fortement mobilisé. Craignez-vous que le confinement donne lieu à de nouvelles scènes de pillage par exemple ?

M. R. : On voit déjà que ces dernières semaines ont donné lieu à nombres d’actes très graves. De nôtre côté, les entreprises sont livrées à des bandes de voyous qui vont pénétrer dans les magasins. Les forces de l’ordre n’étant déjà pas suffisamment nombreuses pour régler le problème de l’insécurité, les voilà dorénavant affectées à des missions de contrôle pour faire respecter le confinement. Vous imaginez bien que dans ce contexte ça va être un désordre pas possible.

L’oisiveté et les difficultés sociales comme la faim que va créer le confinement vont nécessairement conduire à une hausse de la délinquance dont les magasins seront évidement victimes.

Nous n’avons pas à faire des propositions, c’est le travail de l’État. On sera là à travailler avec lui main dans la main s’il nous le demande mais le devoir de sécurisation du territoire à travers une vraie stratégie incombe pleinement à l’État. On peut s’investir pleinement dans l’insertion sociale mais nous refusons de travailler sous la pression de l’insécurité. On doit pouvoir, en France, travailler sereinement et c’est cela qui permettra de développer le territoire. Et plus on développera le territoire, plus la délinquance baissera. Mais pour ça il faut que l’État fasse son boulot et nous protège. Encore une fois c’est une question d’égalité et de dignité.

Propos recueillis par Grégoire Mérot

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