L’incapacité du conseil départemental à faire respecter le contrat de Délégation de Service Public (DSP) au port de Longoni s’étale sur les six pages du courrier daté du 24 juillet et de son annexe. Pour avoir suivi ce dossier, et dédouaner quelque peu le Département, on peut dire que les élus dédiés à la présidence de la commission portuaire n’étaient pas en 2014 à la hauteur des « manœuvres » organisées par Ida Nel. Qui se révèlent maintenant au grand jour sous une double plume, fortement trempée dans l’encre de l’autorité portuaire qu’est l’Etat.
C’est une lettre de mise en demeure que Jean-François Colombet et Soibahadine Ibrahim Ramadani adressent à Ida Nel, présidente de Mayotte Channel Gateway (MCG) puisque le précédent n’était qu’une mise au point dont nous nous étions fait l’écho, « La recherche exclusive du profit n’est pas compatible avec les valeurs du service public », et restée sans réponse. Cette fois, on parle de « dérive qui affecte la gestion du port de Longoni », et la longue liste des manquements est annoncée comme « non exhaustive ».
Les méthodes d’Ida Nel tiennent en un exemple : alors qu’elle décide au 1er juin 2020 d’expulser de l’enceinte portuaire l’ex-SMART, CMA-T, pour « s’approprier l’intégralité de la manutention », comme l’en accusait déjà le précédent courrier, elle est déboutée par la justice qui lui intime l’ordre de délivrer sous 5 jours à CMA-T une Autorisation d’occupation Temporaire (AOT) au port pour pouvoir exercer. Sans succès. « Non seulement vous ne vous êtes pas exécutée dans le délai fixé, mais vous avez contesté cette ordonnance et avez tenté d’introduire des clauses abusives dans le projet d’AOT que vous avez proposé à CMA-T. Cette manœuvre a également été censurée par le juge ». Des méthodes qui n’ont pas toujours été sanctionnées par la justice auparavant, ce qui avait notamment refroidi le conseil départemental dans son rôle d’autorité de gestion.
Certains élus préparent leur avenir
Etat et Département « exigent » une application immédiate des décisions de justice, notamment sur le tarif d’utilisation des grues « qui ne respecte pas le principe d’équivalence entre le service rendu et le tarif fixé. »
Une évolution dans le discours qui tient, comme nous l’avions révélé, à l’intégration de l’Etat au sein du conseil portuaire à la suite d’un décret du premier ministre Edouard Philippe, notamment par le biais d’une commission financière. Une évolution qui n’était pas du goût d’Ida Nel, qui a déposé un recours devant le conseil d’Etat. Pour ce faire, le courrier pointe qu’elle s’est « associée à certains élus du Conseil Départemental ». On ne parle pas de corruption, mais de « soutien public en vue des élections de 2021 ». Il est permis de lire entre les lignes. D’autant qu’elle est allée jusqu’à chouchouter les élus en les recrutant, ce qui avait bien failli couter l’inéligibilité à deux d’entre eux. Et ce qui sème le doute quant aux conditions d’octroi de la DSP sous le précédent exécutif de l’ère Zaïdani.
7.000 euros par jour dès la fin du mois
La « mise en demeure » porte sur plusieurs points et est assortie de pénalités financières en cas de non exécution d’ici le 31 août 2020, c’est à dire dans 4 jours. Chaque thématique a fait l’objet de relance par courrier sans aucune réponse.
Il s’agit notamment de l’obligation de fournir les comptes de 2018, 2019 et le budget prévisionnel de 2020 : « Vous êtes la seule DSP de France où le délégant (le conseil départemental, ndlr) ne peut approuver les comptes 2018 (…), pour 2019 la situation est identique ». N’apparait pas non plus officiellement la cession des parts de MCG à la société Archipel Investissements Co, détenue lors de la transaction par son fils Johannes Nel. Un « mélange entre les entreprises dont vous êtes actionnaire », qu’il va falloir qu’Ida Nel clarifie, notamment sur la répartition de ses salariés.
Il avait fait sa gloire lors de son arrivée au port : le contexte d’achat de l’outillage public, dont une partie des grues et des RTG en défiscalisation, n’a jamais été transmis au conseil départemental.
Chaque point fait l’objet d’un chiffrage de pénalités, qui, additionnées, se montent à 7.000 euros par jour. Avec une menace, « tout refus constitue une faute contractuelle ». La suspension de la DSP n’est pas évoquée, mais le ton monte contre la délégataire du port, qui a reçu une convocation par le conseil départemental il y a deux semaines, qu’elle n’aurait pas honoré.
La technique d’évitement et de jouer la montre qu’elle affectionne, en raison des rotations en préfecture, marchera-t-elle cette fois ? En tout cas, le Département aurait tort de ne pas surfer sur cet alignement des planètes entre la volonté de l’Etat et les décisions de justice.
Lire le Courrier Préfet et PCD à MCG 24 juillet 2020
Anne Perzo-Lafond