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« Les collectivités bien portantes ne doivent pas mettre la charrue avant les bœufs », avertit le président de la Chambre des Comptes

C’est un président de la Chambre Régionale des Comptes Réunion-Mayotte positif que nous avons rencontré. Un signe qui ne trompe pas, Gilles Bizeul préfère évoquer les collectivités mahoraises qui marchent plutôt que les autres ! Ce qui ne l’empêche pas de souligner un rôle de plus en plus contraignant de son institution. Ça va peut-être de pair…

JDM : « Vous avez une obligation de contrôle quadriennal, tenez-vous le rythme ?

Gilles Bizeul : « Nous devons contrôler tous les 4 ans les masses financières les plus importantes, comme le conseil départemental, sur différents services, ou le CHM. Mais nous essayons de contrôler toutes les collectivités tous les 4 à 5 ans, car même celles qui peuvent sembler en bonne santé financière peuvent être mal gérées. Par exemple, être excédentaire et peu investir pour sa population. »

Les collectivités de Mayotte se portent-elles mieux après avoir bénéficié de recettes supplémentaires de l’octroi de mer ? Un rapport de l’Association des Maires de France fait état de recettes d’impôts locaux de 9% contre 42% dans le reste du pays… C’est peu !

Gilles Bizeul : « Elles ne sont pas endettées, c’est déjà bien. Les communes bénéficient en effet des recettes de l’octroi de mer, de la dotation Etat et des impôts locaux. C’est vrai que ces derniers sont encore faibles, c’est un travail qu’elles doivent mener avec la Direction des finances publiques. Certaines, comme le Département, sont largement excédentaires, ils doivent investir. D’autres, comme Tsingoni, Acoua ou Pamandzi sont dans des situations plus délicates. Nous les avons suivies dans le cadre d’un contrôle budgétaire. C’est notre 3ème mission, après celle de contrôle des comptes des comptables publics, et celle des examens de gestion des collectivités. Le contrôle budgétaire est déclenché par le préfet qui nous saisit lorsqu’un compte est dans le rouge, nous avons un mois pour émettre une proposition financière. Pour cela, nous avons 28 agents, dont 3 à Mayotte, 5 magistrats et 10 vérificateurs. »

Le conseil départemental de Mayotte est prié de dépenser ses sous… du rarement entendu !

Mais vous n’avez aucun moyen pour contraindre un mauvais gestionnaire à revenir dans le rang…

Gilles Bizeul : « Il y a des actes qui n’apparaissent pas au grand jour dans les rapports que nous livrons, comme le signalement auprès du procureur de la République. Au moment de délibérer d’un rapport, si nous estimons qu’il y a une infraction pénale, nous faisons ce qui s’apparente à un article 40 par notre procureur financier qui alerte le procureur de la République, qui peut poursuivre ou pas. Nous l’avons déjà fait à Mayotte. Ou s’il s’agit d’une erreur de gestion grossière, nous interpellons la CDBF, la Cour de Discipline Budgétaire et Financière. »
Il faut quand même souligner l’évolution de notre juridiction. Le législateur a souhaité que les rapports d’observation soient rendus publics, ce qui n’était pas le cas dans les années 80. Puis, il a exigé qu’ils fassent l’objet de débat devant chaque assemblée délibérante, comme les conseils municipaux. Et depuis 2010, nous faisons des recommandations sous la forme d’une liste en début de rapport, ainsi qu’une évaluation de la performance de la qualité de la gestion. Depuis 2015 et la loi NOTRe, le maire ou le président d’une collectivité a obligation de nous tenir informés des évolutions et des mesures mises en place dans un délai d’un an. Beaucoup le font. Nous pouvons difficilement aller au delà en vertu de la libre administration des collectivités territoriales. »

Qui n’existe plus dès que le préfet vous saisit…

Le procureur de la République a été saisi dans certains dossiers

Gilles Bizeul : « C’est vrai, mais nous misons sur des corrections internes à ces collectivités, quand il n’y a pas besoin de judiciariser. »

Vous n’êtes à la tête de la CRC que depuis quelques mois, mais quels sont les rapports qui vous ont marqué ?

Gilles Bizeul : « Je suis en effet arrivé en mars de l’Ile-de-France où j’étais vice-président de la Chambre. Le rapport qui me vient en tête immédiatement, c’est celui de l’Aide Sociale à l’Enfance, l’ASE. C’était un bon rapport et il y avait de la substance. Nous avons montré les problématiques de l’enfance à Mayotte et ce qu’ils sont arrivés à mettre en place dans ce service du Département pour répondre aux nécessités. L’accroissement des familles d’accueil, les maisons dédiées à la prise en charge des enfants, etc. La tonalité était positive, et d’ailleurs, ce rapport est passé sur les « Matins de France Culture » et a même fait l’objet d’un article sur le Figaro.
Le rapport du Comité de Tourisme aussi, qui montrait que, même s’ils n’en font pas assez, ils ne sont pas aidés pas le déficit en hôtels et en liaisons aériennes.
Pour des raisons différentes par contre, je garde en tête celui du Sieam, que nous n’avons pas ménagé, le syndicat des eaux n’ayant pas mis en œuvre les recommandations précédentes, et dont la situation s’est même dégradée. Nous avons dû effectuer en plus un contrôle budgétaire à la suite d’un budget insincère. »

Quels sont les gros enjeux pour les collectivités de Mayotte dans les années à venir ?

Le président Macron avec Harouna Colo, le maire de Mtsamboro

Gilles Bizeul : « Tout d’abord, nous devons veiller à ce que le Contrat de convergence de 1,6 milliard d’euros soit bien utilisé. Il va y avoir beaucoup d’argent d’un coup sur le territoire, il doit être dépensé sur les prévisions d’investissement, et non en masse salariale ou en voitures.
Ensuite, nous avons rencontré des maires à la tête de collectivités bien portantes, qui veulent se lancer dans tout un tas d’investissements, au motif que ‘il faut rattraper ce qui n’a pas été fait’ ».

Et avec des motifs électoraux également à moins de 4 mois des municipales ?…

Gilles Bizeul : « Aussi oui ! Mais s’il faut effectivement investir dans des équipements à Mayotte, et les maires évoquent des gymnases, des piscines, ils doivent prévoir un budget de fonctionnement, sinon ils vont se laisser déborder. Par exemple, pour une piscine, il faut budgétiser environ 150.000 euros par an, et encore en faisant payer l’entrée. Ils ont raison quand ils disent qu’il faut un rattrapage, mais il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. »

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

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