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Forum économique : la formation professionnelle réveillée par le gaz euphorisant du Mozambique

« Affligeant ! », se serait écrié un ancien directeur d’un institut financier de la place… Le spectacle offert par le monde de la formation professionnelle ressemblait à un corps chloroformé réveillé par un gaz, celui du gisement mozambicain. En tout cas, félicitation aux organisateurs du Forum économique, ils avaient fait hémicycle comble !

Au parfum des futurs milliards du gaz du Mozambique, les têtes commencent à tourner. Le premier jour du Forum économique qui lui était consacré mardi a positionné quelques acteurs sur une Task force, et déjà on met un voile sur la déontologie. De soit disant investisseurs d’hier aux méthodes controversées (et c’est une litote), retrouvent grâce aux yeux de représentants de l’Etat ponctuellement présents sur le territoire, qui ne veulent pas être accusés d’avoir loupé le train en marche… Il faut espérer que ledit train ne prenne pas de retard en raison d’un Etat mozambicain estimé comme « fragile » par l’ambassadeur de France. En tout cas, le président Soibahadine avait bien vu, il faut se positionner.

Pour ça, on a besoin de compétences. Et d’un coup, un vent de tempête mozambicain souffle sur le secteur de la formation professionnelle. Qu’elle ait été assumée cahin-caha par le Département-Région, aux compensations il faut dire aléatoires, qui n’a rien engagé en 2017, n’avait semble-t-il pas ému grand monde. Il aura fallu la mobilisation sociale de 2018, le préfet Sorain et la ministre Pénicaud, pour commencer à faire entrer Mayotte dans le Grand bain national.

La ministre Muriel Pénicaud entre le président Soibahadine et l’élue en charge de la formation professionnelle Mariame Saïd, en novembre 2017

Nous aurions la technicité, « avec les 80 organismes de formation certifiés de l’île », nous aurions les finances, « 23 millions d’euros qu’il faut ajouter aux 47 millions du Pacte ultramarin d’investissement dans les compétences, le PUIC »,  il faut désormais « un engagement politique du Département », résumait Alain Gueydan, directeur de la Dieccte (Direction du Travail). Poursuivant sur un sujet rebattu, et qui attisait plus d’un commentaire acerbes dans la salle qui ne comprenaient pas qu’on en soit encore là, « nous avons identifié les secteurs clé pour mettre en œuvre le plan régional de formation, mais nous ne connaissons pas les besoins en main d’œuvre des entreprises. Or, dans quelques années, nous devons être prêts pour le projet gazier. »

Des organismes de formation… formés

Mayotte encore loin d’avoir relevé les défis de son développement, avec les enjeux de préqualification encore prioritaires, relevait Alain Gueydan

Enfanne Haffidhou, DGA Développement économique attractivité du territoire, et Formation au conseil départemental, lui répondait CREFOP, le Comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, mis en place par la ministre Muriel Pénicaud l’année dernière à Mayotte. Cette instance de coordination des actions entre Etat, département, vice-rectorat, et syndicats patronaux et de salariés a identifié 12 filières stratégiques. Un outil qui va pouvoir booster la volonté politique départementale, et qui permettra de répondre aux métiers en tension.

Certains ont déjà été recensés par Pôle emploi à travers ses 700 réponses de l’Enquête emploi, « 422 formations ont été effectuées », disait son représentant. Les difficultés de recrutement touchent à prés de 80% le secteur privé, et pourtant, c’est lui qui doit tirer une croissance qui n’est mue que par la valeur ajoutée dégagée par l’administration, comme le rappelait Daniel Martial Henry.

La volonté politique et surtout la vision stratégique, viendra finalement du vice-rectorat. Le très applaudi Philippe Lefèvre, Délégué académique à la formation professionnelle initiale et continue, appelait à l’efficacité, grâce à plusieurs leviers. Le 1er, basique, appelle les 80 organismes formateurs, « à se doter d’une ingénierie pour répondre aux besoins exprimés ». C’est dit. C’est l’objet d’ailleurs de la fusion du GRETA, formation continue des adultes à l’éducation nationale, et du CFA, le Centre de Formation des Apprentis. Justement, le 2ème volet concerne l’apprentissage, sous dimensionné à Mayotte, « il y en a 308 sur le territoire, il faut le développer. L’entreprise a 2 ou 3 ans pour faire monter en compétence ses salariés. » Il va falloir pour cela solutionner la déficience des maitres de stage.

Le 3ème levier, c’est la capacité à se projeter et à « inventer le futur ». En appui, des documents stratégiques existent, « n’attendons pas que de nouveaux lycées techniques sortent de terre, nous perdrons 6 à 7 ans sinon. » Le prérequis, c’est la préqualification. « Nous ne pouvons pas passer de Bac-2 à Bac+2 en quelques semaines », avait mis en garde Alain Gueydan.

« Vous sortez de vos bureaux climatisés ? »

En bon pédagogue, Philippe Lefèvre déclinait les leviers à actionner

Justement, posséder les bases, c’est déjà une difficulté en soi. Comme le faisait remarquer Daniel Martial Henry, la giga taille des établissements n’incite pas à la réussite, « il suffit d’observer la performance du lycée polyvalent de Kawéni, bien formés, en petits groupes, nos jeunes sont rapidement recrutés ensuite. » Philippe Lefèvre répondait à son tour avoir des contraintes incontournables, « celles d’accueillir tous les jeunes à scolariser, 100.000 élèves actuellement, et d’autres ne sont pas encore inscrits. »

Autre difficulté, plus liée à la précédente qu’il n’y paraît, celui de cerner tous les jeunes, comme le faisait remarquer Ibrahim Bacar, jadis initiateur de la Mission locale à Mayotte, qui, après avoir déploré le manque de données statistiques de formation « qui nous prive d’éléments de comparaison », évoquait l’évolution du contexte touchant la jeunesse : « Il y a 20 ans, nous arrivions à cerner tous les jeunes qui erraient. Là, je me demande si vous, les décideurs, vous sortez de vos bureaux climatisés pour aller les chercher. »

Il faut dire que l’augmentation de la proportion de population en situation irrégulière marginalise de fait les jeunes qui en font partie, puisque le stagiaire doit être administrativement en règle, avec au moins une carte de séjour, pour bénéficier d’une formation financée par des fonds publics.

On retombe sur notre thème de schizophrénie à la française, qui oblige à la scolarisation jusqu’à 16 ans, pour laisser un grand vide derrière. On voit mal comment se passer d’une réflexion honnête sur ce sujet, au niveau national.

Anne Perzo-Lafond

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