50 milliards de dollars de recettes sur 2 à 3 décennies. Le gaz du Mozambique, en termes de rentrée de devises, c’est autre chose que le plan pour l’avenir de Mayotte d’1,6 milliards, dépenses du Département comprises. Autre chose mais complémentaire quand même. En effet, l’un n’ira pas sans l’autre. C’est ce qui ressort de l’ouverture du deuxième forum économique de Mayotte, ce mardi matin.
Pour que Mayotte devienne une base arrière des pétroliers, Exxon et Total en tête, « il faudra formuler une offre qui parlera aux pétroliers, il va falloir savoir leur parler » estime Christophe Remoué, représentant de l’association pétrolière Evolen et cadre chez Total. En effet, dans un contexte de « concurrence internationale » sur le sujet, Mayotte sera « en compétition » prévient ce spécialiste.
La compétition est d’ores et déjà engagée, et de l’avis de tous, Mayotte a des cartes en main. En tant que « plate-forme européenne la plus courte entre Pemba et l’Europe » selon Marie-Joseph Malé, PDG d’Air Austral, « Mayotte a une carte à jouer » estime ce dernier. Notamment en matière d’assistance sanitaire. Le Dr Pierre Galzot, consultant et fondateur de SOS International, un cabinet au service des multinationales, reconnaît volontiers que l’île dispose d’une expertise chirurgicale « introuvable à proximité » du Mozambique. Mais avec seulement 12 lits en réanimation, le service est un peu juste. Le cabinet estime en effet qu’une demi-douzaine de salariés devraient avoir besoin chaque jour de soins d’urgence sur les 16 000 employés des champs gaziers. Pour y faire face « il faudra travailler en équipe. Vous pourriez être tentés d’être concurrent avec la Réunion, mais dans une compétition internationale, il faudra vous allier » prévient Christophe Remoué.
L’heure est donc venue de se retrousser les manches. La manne gazière est « une chance historique pour Mayotte à condition de travailler ensemble, Mayotte ne retrouvera peut-être pas cette opportunité d’aller vers un avenir apaisé et serein » estime le préfet Jean-François Colombet. Pour lui, le plan pour l’avenir de Mayotte est une des étapes pour ouvrir l’île au gaz du Mozambique. Le projet de technopole de Dembéni porté par la Cadema par exemple, devrait être un argument de poids dans la région. « Est ce qu’une base arrière n’a pas besoin de stocker des données sensibles ? » s’interroge le préfet. Ce dernier rassure aussi sur un autre enjeu : la piste longue, réclamée par les pétroliers autant que par les Mahorais. Le préfet rassure sur ce point. « le Président de la République m’a donné des consignes, et je lui ai donné des promesses, la piste longue, on la fera dans un délai compatible avec le projet gazier ».
Autre enjeu structurel, le port de Longoni, appelé à concurrencer ou à être complémentaire des énormes ports d’Afrique de l’est. Ida Nel était elle aussi présente. « On nous a confirmé que nos tarifs sont bien. D’autres éléments sont vachement importants, comme comment positionner le port. On est un peu en retard mais beaucoup de choses sont faites. Le port de Mayotte est aujourd’hui d’environ 40ha opérationnels. Le projet est de monter à 65ha. On pourrait ajouter un volume de 40 hectares. A Maurice, ils sont à 230 hectares. Il s’agit de créer suffisamment de zones de stockage, chaque acteur aura besoin de 5 à 10 hectares pour la logistique. Ca aura un énorme poids pour Mayotte (…) surtout si on peut développer une partie en zone franche. »
A l’instar de M.J. Malé, elle invite à la création d’une « task force » pour travailler ensemble et éviter de « rater le TGV ». Sans cela, « on est trop petits pour discuter avec ces multinationales » prévient le PDG d’Air Austral.
Pour le président Soibahadine, qui ouvrait l’année 2019 sur l’espoir d’un positionnement de Mayotte dans ce vaste chantier, la partie a bel et bien commencé. « Quand il y a un an je parlais du gaz du Mozambique, on disait ‘il est fou ce garçon !’, voici le jour où la folie prend forme » sourit-il. Une « folie » qui ne doit pas faire perdre de vue les autres enjeux du territoire, tous liés, rappelle Mohamed Ali Hamid, président de la CCI.
« Nous devons accentuer nos efforts en nous inscrivant en priorité dans ce projet gazier. En même temps nous avons le devoir de garantir le développement de notre île, et notamment d’investir dans l’éducation et la formation » estime-t-il.
L’enthousiasme n’aura été tempéré que par l’intervention téléphonique de l’ambassadeur de France à Maputo qui rappelle que la situation du Mozambique reste « difficile ».
« On a tendance à ne parler que du gaz mais la situation est plus difficile que ça » insiste-t-il. Les élections contestées, les affrontements sporadiques dans le nord du pays avec les islamistes et les insurgés et la fragilité du pays face aux aléas climatiques comme les deux cyclones qui l’ont frappé cette année sont autant de facteurs à prendre en considération, avant de s’emballer.
Y.D.