L’entreprise et son directeur se retrouvent en correctionnelle, et non au tribunal du travail, en raison d’une poursuite du parquet. C’est un accident de travail qui met en évidence la situation de Kader*, un accident qui se produit un jour férié, et pas des moindres, puisqu’il s’agit du 1er mai 2015, jour de la fête du Travail ! Il se blesse lors d’un nettoyage des locaux, à Ouangani.
L’inspection du travail met le nez dans les bulletins de salaire, sort sa calculette, en déduis un différentiel entre les heures de travail effectuées et leur rémunération, qu’elle chiffre à 107.262 euros.
« La gendarmerie a eu du mal à travailler avec le directeur de l’entreprise qui ne répondait pas aux sollicitations », rapporte le président du tribunal, Laurent Sabatier. Qui évoque des pressions effectuées sur Kader : « La victime évoque le passage de son patron à son domicile pour qu’il modifie son témoignage sur le nombre d’heures effectuées, notamment en fournissant une attestation sur l’honneur à recopier. »
Plus de 20h par jour… à cause des nuits
Arrivé dans l’entreprise le 1er janvier 2015, le responsable administratif et financier de la SCEA est à la barre. Il ne reconnaît qu’à moitié les horaires effectués par son salarié. « Je l’ai mis plusieurs fois en garde sur ses dépassements horaires. Il n’avait pas d’ordre précis pour travailler le 1er mai, les bâtiments sont fermés », mais tout en indiquant plus tard, « je lui ai dit ‘tu fais un travail de dingue’ ».
Une contradiction que relèvera le juge Banizette, un des assesseurs du président Sabatier : « Beaucoup de salariés n’ont pas conscience de leurs droits, qu’ils découvrent auprès de la Dieccte. Un accident du travail le 1er mai peut être le signe d’une entreprise qui fait travailler ses salariés en dehors du cadre légal. En tant que juge du travail, j’ai eu d’autres affaires sur MAJWAYI à traiter, la gestion n’était pas très carrée. Et selon les relevés de présence de ce salarié, il faisait 136 heures par semaine ! ». C’est à dire prés de 20h par jour.
On comprendra plus tard pourquoi : il assure les fonctions de responsable de bâtiment d’élevage le jour, avec ramassage des œufs et nettoyage des bancs, et de gardien de nuit ensuite. Pour lequel il ne serait pas payé. Il est donc logique que le directeur financier assure ne pas avoir embauché de gardien de nuit.
« Du néocolonialisme ! »
« Pourquoi gardez-vous un salarié qui déclare plus d’heures de travail qu’il ne fait ?! », interpelle le juge Banizette, qui fait remarquer qu’aucune procédure n’a été intentée au tribunal du travail et que rien n’a été fait pour régler les problèmes, « qui sont actuellement toujours les mêmes. » Il n’y a pas de pointeuse dans l’entreprise. La direction avance que les heures avancées par le salarié sont payées, mais les bulletins de salaire fournis font état de 169h par mois.
A la barre, Kader répète ce qu’il a expliqué pendant l’enquête, traduit par un interprète : « Je fais du gardiennage de nuit, mais pas payé. Mes heures supplémentaires non plus. Après l’accident du 1er mai, j’ai déposé plainte auprès de la gendarmerie, mais le patron est venu me menacer, puis s’est rendu chez moi. Ils m’ont fait monter dans une voiture, en me tendant un stylo pour que je recopie une attestation. Je l’ai apportée à la gendarmerie. »
Pour son avocate, c’est de l’exploitation, « parce qu’au départ, il n’avait pas ses papiers. Il est donc corvéable à merci, c’est du néocolonialisme ! Il dort sur un matelas la nuit posé dans un container, sans que ces heures de gardiennage soient comptabilisées. C’est pour cela que la somme due de 107.262€ est élevée. » Elle demande 6.000 euros de préjudice moral.
La défense met en cause l’enquête
Le procureur Miansoni mettra en évidence les propos liminaires du salarié : « Il ne réclame rien quand il évoque sa situation à la Dieccte, il ne fait que décrire son quotidien : un travail sans repos, mettant en évidence des heures travaillées qui ne correspondent ni au bulletin, ni à la législation. Il n’est pas en position de partir, ayant des charges à payer. Puisqu’elle assure que les horaires ne correspondent pas, pourquoi la direction de l’entreprise n’a pas agi ?! »
Il requiert une peine de 15.000 euros d’amendes pour la société, et 3.000 euros pour son directeur, ainsi que la publication de la décision de la condamnation. Le parquet demande également pour chaque infraction, 400 euros d’amendes pour préjudice moral, et 200 euros pour préjudice physique.
S’exprimant en dernier pour la défense, Me Yanis Souhaïli avait choisi d’attaquer dans une courte plaidoirie, le manque de sérieux de l’enquête menée par la gendarmerie : « Tout est basé sur les analyses de la Dieccte, elles-mêmes basées sur les informations fournies par Kader, sans certitude de véracité. » Il rappelait que l’entreprise était suivie en procédure collective, selon un plan de redressement judiciaire.
Le délibéré sera rendu le 12 juillet.
A.P-L.