Comprendre ce que signifie paysage et environnement à Mayotte, c’est l’alpha de notre oméga « Développement durable ». Entre autre terme, avant de se lamenter sur une absence de prise de conscience territoriale, il faut commencer par s’interroger sur la signification de ces termes ici, et sur le rapport de l’Homme à la nature.
« Justement, il n’y a pas de mots en shimaore ou en kibushi pour traduire ‘paysage’ », relate Juliette Bidon, Etudiante en Master 2 de géographie appliquée à l’environnement. Son exposé s’intitule « Les sensibilités paysagères à Mayotte : réflexions sur l’application d’un concept occidental ». Elle a enregistré 300 témoignages d’étudiants Mahorais qui devaient parler de leurs paysages préférés, qu’elle va comparer au même nombre de questionnés métropolitains, pour comparer les réponses et en dégager des tendances.
Le mot paysage apparaît au XVème siècle en Europe, et qualifiait une toile, une peinture, « nous avions donc une représentation en perspective d’un paysage, nous le regardons avec ses premiers et arrière plans. » De leur côté, cela faisait déjà 10 siècles que les chinois et les japonais taillaient, organisaient leurs jardins paysagers…
Le lagon, une ressource plus qu’un paysage
A Mayotte, difficile de savoir quand le concept est apparu, et à quoi il correspond. « Pour beaucoup de personnes, c’est avant tout l’ouïe et l’odorat qui définissent un paysage. Et quand les occidentaux s’extasient devant un îlot de sable blanc, les habitants nous expliquent ne pas s’arrêter pour regarder le paysage. » Il faut dire qu’on s’extasie moins quand on est sur son territoire de naissance qu’on connaît par cœur, « mais quand même, certains cultivateurs nous expliquent que tous les matins ils s’arrêtent pour admirer leur champ », souligne l’étudiante. On peut en déduire que dans certaines contemplations, il y a une dimension affective.
Comme l’explique Cris Kordjee, Responsable de l’antenne du Conservatrice du Littoral à Mayotte, c’est aussi et surtout une question de contexte : « La société mahoraise s’est focalisée une survie alimentaire et, à côté, le beau, le paysage, semble superflu. Cela ne veut pas dire qu’ils ne s’y intéressent pas. »
La nature utile
On retrouve le même décalage au cours de l’autre exposé, de Cyrielle de Souza, également étudiante en Master 2 de géographie. Sa mission prend place dans le cadre du programme qui l’amène à « conduire une campagne semi-directive auprès des acteurs du territoire », c’est à dire des gestionnaires d’espaces naturels, des Associations environnementales et des acteurs touristiques.
Dans le cadre de la réalisation par la mairie de Chirongui d’un musée itinérant sur la mangrove, 15 étudiants en géographie du Centre universitaire ont mené une enquête, portant sur 58 questions auprès de 84 personnes, un échantillon trop maigre pour être représentatif, « nous en dégagerons donc uniquement des tendances. »
On apprendra que la moitié de la population, surtout les hommes, fréquentent la mangrove même plusieurs fois par semaine, et qu’elle est assimilée à de la détente ou des loisirs. « En 3ème position, nous trouvons l’exploitation de la ressource, comme l’utilisation du bois de palétuvier pour les constructions, la cuisine ou ses vertus médicinales. » La mangrove est elle aussi considérée pour son utilité.
L’emblème de Chirongui
Les autres vertus de la mangrove sont connues des habitants, « comme la protection contre la houle, à 60%, ou le rempart à la saleté. » La saleté justement, ils en sont conscients et sont pratiquement unanimes à être conscients qu’il faut la préserver. Ils sont même 90% à souhaiter qu’elle devienne l’emblème de Chirongui, et 77% à la pose de panneaux explicatifs dans le cadre du sentier de randonnée.
Mais la mangrove reste aussi un lieu de mystère, et, un peu comme les bois du petit chaperon rouge ou de Blanche neige en métropole, est source de fantasmes et nourrit les contes : « Sur 12 contes et légendes que les habitants nous ont narrés, 6 ont une connotation négative, avec des djinns menaçants. »
C’est une première ébauche, qui méritera d’être approfondie. Une enquête à plus grande échelle sur ce sujet est en cours et fera l’objet d’une conférence au CUFR.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte