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Hani Ramadan: «Il faut revenir aux sources de l’islam à Mayotte»

Hani Ramadan avec le groupe qui l'a invité, dont le penseur Allaoui Askandari
Hani Ramadan avec le groupe qui l’a invité, dont l’écrivain Allaoui Askandari

Nous arrivons vers la grande mosquée du vendredi avec la tête pleine des griefs qui sont faits à Hani Ramadan, frère de Tariq Ramadan. Comme lui, Hani Ramadan est un intellectuel, prédicateur, et il est docteur ès lettre à l’université de Genève, en Suisse, sa nationalité. C’est un homme grand qui arrive, et nous salue respectueusement, sans nous serrer la main, comme peuvent le faire devant une femme une très faible minorité de musulmans ici à Mayotte.

Nous en profitons pour enchaîner sur les titres inquiétants qui ont fleuri, d’abord sur la Tribune de Genève, puis repris par certains médias, où il est rapporté sa comparaison de la femme avec une perle qu’il ne faut pas montrer sous peine de susciter des jalousies, et surtout, d’une femme sans voile avec une pièce de deux euros qui passe d’une main à l’autre. Propos tenus en milieu scolaire.

« J’ai effectivement utilisé cette métaphore de la pierre précieuse parce que c’est notre manière d’honorer la femme. Mais j’ai rajouté, ‘au contraire d’une pièce de monnaie qui court de main en main’. Aussitôt rentré à Genève, je vais m’attacher à répondre à cette attaque. Surtout que ce n’est pas parce qu’une femme est voilée qu’elle est un parangon de vertu, de même que les femmes non voilées ne sont pas synonyme de dévergondage. Je mise sur l’intelligence des élèves quand je leur explique ça. »

Le rôle des femmes prépondérant à Mayotte

Le minaret de la grande mosquée du vendredi de Kawéni
Le minaret de la grande mosquée du vendredi de Kawéni

Quant à la critique d’une ancienne tribune libre publiée en 2002 dans Le Monde où il est accusé de plaider en faveur de la lapidation pour adultère, il s’en défend tout autant : « La lapidation existe dans la charia, mais elle est considérée comme une peine quasiment impossible à appliquer. Il est même donné un exemple d’un homme qui la demandait, et que lui a refusé le prophète Muhammad. »

Il est venu à Mayotte à la demande d’un petit groupe de musulmans qui avaient besoin d’être éclairés sur les apports de la République à combiner avec les valeurs de l’islam. Nous lui avons appris l’existence d’un Diplôme universitaire au CUFR de Dembéni sur ce sujet depuis un an.

C’est que Hani Ramadan découvre un territoire atypique, qui l’est décidément à la fois pour la métropole, mais aussi pour un musulman pur jus comme lui : « La société est matriarcale, beaucoup de choses reposent sur les épaules des femmes ici. »

Un peu d’éducation civique

Ce qui n’est pas sans poser des problèmes : « les mères se retrouvent seules avec leurs enfants, tout en travaillant pour subvenir à leurs besoins. Lors de ma conférence sur l’éducation ici à Kawéni, j’ai demandé aux pères d’assumer leur rôle d’éducation. Ce n’est pas à l’école publique de le faire, elle est là pour instruire. On retrouve ce problème d’ailleurs en métropole. »

Il a donc lu, devant une salle de prière pleine, la sourate dédiée à l’éducation : « Elle enjoint le fils de respecter les règles qui touchent tous les aspects de la vie : la bienfaisance envers son père et sa mère, l’importance de la culture, du civisme, d’un comportement citoyen, d’accomplir sa prière, d’ordonner le bien et d’interdire le mal, et, très important, d’être patient, d’avoir un comportement moral adéquat. » Sa conférence est tenue la plupart du temps en français.

La laïcité, un moyen ou une fin ?

Hani Ramadan
Hani Ramadan explique être à Mayotte pour étudier la compatibilité entre les valeurs de la République et celles de l’islam

Il aborde ensuite les choses plus sérieuse de la laïcité : « il faut se demander quel homme on veut former, selon que l’on veut un cheval de labour ou de course, on ne va pas s’en occuper de la même manière. » En clair, à travers ce concept de laïcité, Hani Ramadan se demande si la finalité est d’obtenir des croyants ou des athées. Et sans le préciser, il penche pour cette dernière crainte.

Autre spécificité de Mayotte, l’apprentissage du Coran. Un bacoco vient vers nous alors que le prédicateur s’adresse aux fidèles, « il a raison. On ne connaît pas notre religion, on ne fait que l’apprendre par cœur, sans la comprendre. Je ne peux rien transmettre à mon fils du coup. Nous manquons notre éducation, surtout que chez moi, il y a une télé dans chaque pièce, même les chambres, et qu’elles restent allumées toute la journée. On passe à côté de l’éducation de nos enfants. » On comprend que Hani Ramadan soit déstabilisé…

Des cadis non soumis

« Il va falloir se baser sur un petit groupe qui maitrise, qui savent éduquer, qui en formeront d’autres pour arriver à une bonne compréhension du Coran. Mais c’est un grand chantier, immense ! » Un homme descend en djellaba les marches de la mosquée et lâche, « nous avons besoin de leadership ici. »

Un contact a été noué avec les cadis
Les cadis de Mayotte (Hani Ramadan le prononce en arabe qadhis)

Les cadis pourraient-ils être utiles à cette entreprise ? « Je ne les ai pas encore rencontrés. Mais nous pouvons bien sûr solliciter les qadhis, pour autant qu’ils soient indépendants et non soumis à l’autorité de l’Etat en place. »

Pour Mayotte, où religion et animisme forment parfois un mélange complexe, il appelle « à un retour sur les sources de l’islam. C’est une religion qui enseigne d’aimer Dieu de tout notre cœur et lance un message d’amour et de fraternité avec tous les croyants. »

Mais nous ne nous serons pas quittés sans qu’il nous glisse un petit livre sur le Jeûne, et qu’il se pose en donneur de leçons sur la religion catholique, « fondée sur une Trinité non révélée dans la Bible », qui engagera une discussion sans issue.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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