Il a ce regard extérieur nécessaire, celui qui pointe les réalités que nous ne voyons plus au quotidien. André Canvel, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, a passé une semaine à Mayotte. Alors que la crise sécuritaire du département ne connaît pas de répit, les établissements scolaires sont régulièrement concernés, comme l’ont montré les cas de Chiconi et Kawéni pour ne citer qu’eux.
Pourtant, pour André Canvel, il ne faut pas se tromper d’analyse: «On a souvent tendance à comparer la situation à Mayotte avec celle des quartiers difficiles de métropole. Mais ici, il se passe un phénomène strictement inverse: le climat d’insécurité, il est en dehors de l’école. Il n’y a pas de violence en milieu scolaire à Mayotte comme on peut s’y attendre quand on regarde le département depuis la métropole. Pas à l’intérieur, mais j’ai presque envie de dire partout ailleurs, sur le trajet, dans les rues autour…»
Pour autant, cette situation a des conséquences sur les individus et donc à l’intérieur des établissements. «Le problème qui se pose, c’est que ce climat ne permet pas aux garçons, aux filles, aux adolescents et aux collègues de récupérer de leur journée de travail.
Je travaille dans des établissements difficiles en métropole mais quand on sort, on peut avoir un sas extérieur, marcher, prendre sa voiture, voir des amis… Se ressourcer. Ici, les journées sont très longues et ensuite il faut vite retourner chez soi pour ne pas se faire racketter, pour ne pas être en insécurité. Les lieux de convivialité, pour faire du lien social, ne sont pas toujours évidents à trouver».
Déposer les armes
Pour André Canvel, notre département offre donc cette particularité probablement unique: «les endroits où les enfants se sentent le mieux sont à l’école.»
«Les gamins veulent tous venir à l’école à Mayotte. D’abord parce qu’ils peuvent y trouver leur ration alimentaire, mais aussi parce qu’ils se sentent protégés à l’école. Ils peuvent redevenir enfants ou adolescents et déposer les armes, parfois au sens propre comme au figuré».
Ce n’est donc pas un hasard si les phénomènes urbains, et en particuliers les bandes, se focalisent sur les établissements scolaires. Certes, on y trouve un grand rassemblement de jeunes mais l’explication serait plus profonde.
«Dans les années 1990, lors de l’explosion des banlieues françaises, les jeunes attaquaient systématiquement 3 lieux: les MJC, les salles de sport et l’école, 3 endroits où ils n’étaient pas accueillis à bras ouverts. Ici, les Cadis disent la même chose. Les bandes ciblent l’école parce que cette jeunesse ne peut pas y entrer».
L’individualisme balaye la tradition
A Mayotte, comme partout où ils ont cours, André Canvel explique ces phénomènes de bandes qui permettent à une partie de la jeunesse de recomposer une sociabilité alors qu’ils ne sont pas intégrés dans la société autour d’eux où qu’ils en refusent les modes de fonctionnements : mieux vaut être dans un collectif, une bande, qui va défendre son village, qu’être élève, dans une compétition basée sur les seuls individus.
«La ‘modernité’ a fait exploser toute tradition et beaucoup des liens collectifs», constate André Canvel qui s’apprête à faire des recommandations pour l’école à Mayotte. «Il ne faut pas s’attendre à des changements radicaux. Le pire serait encore une fois d’aller trop vite», explique-t-il. Pour autant, pas de doute: «Il faut qu’on repense notre école».
Faire ensemble
La question de la durée des cours, de la durée des journées pourra être posée. «Il faut faire évoluer cette organisation pour s’adapter aux nouveaux besoins et accepter de faire quelques entorses à notre système éducatif homogénéisé, basé sur la réussite individuelle et sur rien de collectif. Autant je déteste l’expression ‘vivre ensemble’, autant il faut réapprendre à ‘faire des choses ensemble’. Faire ensemble pour apprendre de l’autre et apprendre de soi-même.»
Mais pour lui, les choses pourraient aller très vite dans notre département , probablement beaucoup plus vite qu’ailleurs car Mayotte dispose d’atouts et d’au moins 3 points forts: d’abord, un projet académique qui est une véritable «feuille de route» où «tout est écrit» ; ensuite, des enseignants souvent impliqués et prêts aux évolutions pour la réussite des enfants. Et finalement, nos jeunes, ces jeunes qui aiment l’école au point d’être capables de se lever à 4 heures du matin et de revenir chez eux 13 ou 14 heures plus tard… Encore une fois, la solution est peut-être à l’endroit où l’on voit un problème.
RR
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