CARNET DE JUSTICE. L’audience correctionnelle est souvent l’occasion pour les avocats de faire des effets de manche. Colère feintes, mauvaise foi assumée, la défense d’un client leur permet de déployer toute une gamme que les meilleurs actor’s studio ne renierait pas.
Cette fois-ci, pourtant, l’indignation de Maître Andjilani est sincère. Pour lui, pas de doute, son client est «un héros» qu’il est «honteux» de poursuivre pour non-assistance à personne en danger et homicide involontaire.
Il y a quatre ans, presque jour pour jour, un concert est organisé à Dzoumogné. Mais la fête tourne mal. Au cours de la soirée, quatre jeunes mineurs veulent monter sur la scène pour faire leur show. Les organisateurs ne sont évidemment pas d’accord. Le ton monte, l’ambiance se crispe, on s’approche de la bagarre. Pour les organisateurs, la soirée est gâchée. Ils décident de plier bagages et de ranger le matériel. Mais les jeunes ne veulent pas en rester là. Les cailloux commencent à voler.
Panique sous les jets de pierres
C’est dans ce climat tendu que Nadhufu arrive avec une camionnette plateau. Il donne un coup de main à son cousin pour ramener le matériel sono dans un lieu sûr. Aidés d’autres hommes présents sur place, ils montent les quatre enceintes volumineuses à l’arrière de la camionnette mais n’ont pas de sangles pour les fixer. Peu importe, il faut aller vite, les cailloux qui volent sont de plus en plus gros. Nadhufu se met au volant. A l’arrière, les hommes s’organisent pour monter dans la benne et empêcher les enceintes de tomber. Il fait nuit, Nadhufu ne sait pas combien de personnes sont montées, le camion démarre doucement puis accélère pour fuir le caillassage : ce sont maintenant de très grosses pierres que les gamins envoient dans leur direction.
Mais le chemin est loin d’être en bon état. Les nids de poule font tanguer la camionnette. Le conducteur ne voit pas, alors, que derrière, un drame se joue. Un des hommes perd l’équilibre, bascule et tombe.
Sauver le blessé
Le trajet à faire n’est pas très long, à peine 600 mètres. Mais lorsqu’il se gare, pour décharger le matériel, c’est le choc. Il ne sait pas qu’il manque un passager. Ce qu’il constate, c’est qu’à l’arrière de la benne, un passager chargé de maintenir les enceintes est allongé, en sang, après avoir reçu plusieurs pierres. Il faut aller très vite pour vider la camionnette et se rendre à l’hôpital de Dzoumogné pour que le blessé reçoive les premiers soins.
Nadhufu reprend le volant et repasse à proximité du lieu du concert où un vaste attroupement s’est formé. Il pense que ce sont à nouveau les gamins qui vont le caillasser. Malgré les gestes de la foule, il ne s’arrête pas et fonce vers l’hôpital.
Sur le lieu du concert, l’attroupement s’est formé autour de l’homme qui est tombé, un homme qui vient de mourir. Victime de sa chute, d’une pierre reçue en pleine tête ou des coups de pieds des jeunes qui se sont jetés sur lui, on ne le saura jamais.
Pas de coupables pour l’homicide
Quatre ans après, c’est donc Nadhufu qui est poursuivi en justice pour rendre des comptes. «C’est honteux de le poursuivre alors que sa seule préoccupation était de sauver les gens qui étaient dans son camion», plaide Me Andjilani. «Dans cette affaire, on a de vrais voyous qui ont été condamnés.»
Entretemps en effet, les gamins ont été interpellés, jugés et condamnés mais pas pour l’homicide, simplement pour le jet de pierres.
Nadhufu est relaxé des charges qui pèsent contre lui. La justice n’a pas voulu accabler celui qui a pris l’initiative et qui, dans un moment de tension, a cru faire ce qui était bien.
Dans cette affaire, il semble bien que l’enquête et les poursuites soient passées à côté des vrais responsables. A Dzoumogné, un homme est mort sans que des coupables aient été clairement identifiés.
RR
Le Journal de Mayotte