Outre l’obligation d’humanité, porter secours à l’enfant en détresse, notamment abusé sexuellement, et défendre ses droits, c’est éviter que l’adulte qui germe en lui ne soit complètement détruit et ne se marginalise.
Ses 33 ans, la CIDE les a fêtés au lycée des Lumières en compagnie de l’ensemble des acteurs mobilisés autour de la protection de l’enfance à Mayotte, 28 associations fédérées autour de l’association organisatrice Haki Za Wanatsa. Avec en préambule deux témoignages forts, l’un de Rasmina, qui témoignait des viols subis pendant 3 ans dès l’âge de 13 ans, et d’un adulte, Nicolas, qui a vécu ce traumatisme de 5 à 7 ans. Des partages « plus efficaces que tous les discours de sensibilisation », soulignait la directrice de Haki Za Wanatsa Lydia Barneoud.
Qui revenait sur les deux ans de mobilisation #wamitoo (moi aussi), qui a permis de commencer à cerner de manière professionnelle les violences sexuelles sur les enfants, notamment intrafamiliales, sur une période où le confinement lié au Covid n’a pas du améliorer la situation. L’objectif du Collectif CIDE est d’inverser la tendance.
Une première extrapolation avait été faite. Le taux de 10% de la population française touchée par l’inceste, se traduirait ici à Mayotte par 30.000 victimes. Et si l’on considère que statistiquement, l’inceste représente 44% des violences sexuelles, cela porte à 68.180, le nombre de victimes potentielles de violences sexuelles sur l’île.
Et cela en prenant en compte une sous-évaluation de la réalité, car les repérages et les remontées sont insuffisants à Mayotte. La Cellule de Remontée des Informations Préoccupantes (CRIP) du Département a longtemps été défaillante, et c’est essentiellement par le rectorat que les jeunes en souffrance étaient identifiés pour ensuite les lui faire remonter.
360 procédures depuis janvier
Le parquet a lancé 360 procédures depuis janvier 2022, 70 % des personnes victimes se confient au moins une fois dans leur vie, elles mettent en moyenne 12 ans à le faire et 40% souffrent d’amnésie traumatique, durant plus de 20 ans pour un tiers d’entre elles, Mayotte est le 2ème département de France le plus touché par les grossesses précoces et IVG sur mineures.
Pour y arriver, la trentaine d’associations partenaires ont mené 65 actions de terrain en 4 mois touchant 17.000 enfants et parents sensibilisés.
Résultat, on enregistre 30% de signalements en plus dans l’éducation nationale et près du double d’enquêtes et d’ordonnances de placement prioritaires recensées par le parquet cette année, « qui a augmenté les moyens humains alloués », des dizaines de témoignages reçus chaque semaine. Pour Lydia Barneoud, « on peut affirmer que la mobilisation wamitoo contre les violences sexuelles sur mineurs à Mayotte a porté ses fruits ».
Du chemin reste à parcourir, alerte le Collectif, qui pointe, outre les lourdeurs administratives, l’absence du Département de Mayotte qui détient pourtant la compétence de la protection de l’enfance. Etonnant de la part du volontarisme affiché de son VP Madi Moussa Velou, qui a annoncé vouloir restructurer le secteur. Sont également pointés, « l’insuccès du document préparatoire rectorat/ARS de mars 2021, évoquant notamment la nécessité de chiffrer les heures d’éducation à la vie affective et sexuelle effectuées par an et par classe, de l’école au collège, pour se rapprocher progressivement des 21 heures obligatoires, selon la loi de 2001″, la nécessaire création d’indicateurs communs pour compiler plus efficacement les chiffres, le financement de l’étude proposée en 2021 par l’Observatoire Régional de la Santé Mayotte toujours en suspend, la difficile mise en place des audiences trimestrielles proposées l’an dernier par le Procureur entre la CRIP du conseil départemental, le parquet et l’éducation nationale, la nécessaire création d’une unité d’accueil pédiatrique enfance en danger, obligatoire dans chaque département de France, l’absence de soins spécialisés en psychotrauma pour les enfants victimes, le renforcement de la lutte contre la cyber-pédocriminalité, « 1 enquêteur pour 2.2 millions de français versus 1 million d’élèves cyberharcellés par an ! », etc.
Mais la journée se terminait par un message d’espoir, « La route est encore longue, mais nous ne lâcherons rien ».
A.P-L.