Né à Mayotte, la création Mangrove est avant tout une rencontre. Celle du comédien El Madjid Saindou et du metteur en scène Julien Favart. Le premier originaire de l’île aux parfums, a fondé la compagnie Ariart Théâtre, tandis ce que le second est à la direction artistique de la compagnie Graine de Soleil, fondée en 1998 dans le quartier de la Goutte d’or à Paris.
La compagnie Ariart-Théâtre basée à Mayotte s’attache à confronter la parole des ancêtres au réel actuel. Elle veut rester un espace privilégié pour respirer. Ariart se traduirait comme ces « on-dit » qui virevoltent dans la société mahoraise. Ces «Ari-Ari » sont autant de matériaux pour dynamiter les laideurs du monde, cachées derrière les masques. Depuis 2020, la compagnie Graines de Soleil et la compagnie Ariart-Théâtre s’associent pour de nouvelles créations dont Mangrove est la première.
À partir d’un texte commandé au dramaturge réunionnais, Vincent Fontano, le metteur en scène de l’hexagone et le comédien mahorais ont fait le choix d’associer leurs forces pour mettre en lumière une histoire de Mayotte. Le récit d’une heure se compose comme un ‘seul en scène’, où participe aussi le multi-instrumentiste malgache, Tao Ravaody.
Derrière cette proposition, se dessine une volonté artistique, avec un lancement au Lavoir Moderne Parisien, principalement pour toucher le public hexagonal et être au plus près des théâtres susceptibles de diffuser le spectacle.
La naissance du conte
C‘est l’histoire d’une pluie devenue un cours d’eau, d’un cours d’eau devenu rivière, et d’une rivière que l’on a oubliée de nommer. Au moment de disparaître dans l’immensité, la rivière refuse. Pas tant qu’on ne lui dira pas son nom. Ainsi naît la mangrove, ainsi naît le Djinn qui hurle. Ainsi naît la maladie qui va dévorer le pays.
C’est une conversation entre l’auteur et l’initiateur du projet qui est à l’origine de Mangrove : « Quand El Madjid m’a demandé un texte, sa demande était claire : s’il-te-plaît ne sois pas dans le discours entendu sur l’île, trouve une façon de parler du feu qui vient sans être dans la caricature qui nous colle à la peau. Tu es venu ici. Parle-nous, comme si tu étais des nôtres. Comment dis-tu que la maison s’effondre si tu y habites ? »
Il est d’une importance cruciale aujourd’hui, de parler de Mayotte avec tact et pudeur. Il est primordial d’être dans la justesse du choix des mots. Une œuvre théâtrale est une porte ouverte sur un ressenti et une volonté créatrice. Les sujets sont parfois sensibles, il faut savoir les raconter avec fragilité et bienveillance. Ces choix semblent être cruciaux dans la démarche de cette proposition à la destinée ambitieuse.
Mais ce sont les mots d’El Madjid et son metteur en scène, qui donnent une résonance à cette étoile filante. Comme un cri d’alerte, une démarche sociale et politique, derrière la proposition artistique. Le théâtre à ciel ouvert devient celui de toutes et tous qui arrivent sur le seuil de la porte.
« Je lève les yeux et regarde la métropole depuis chez moi, la violence prolifère partout. Dès lors, cette question s’impose en moi pour interroger ce nouveau monde que les hommes sont en train de fabriquer. Quel monde de demain pour nos enfants ? », raconte dans sa note personnelle, El Madjid.
En miroir, l’expression personnelle de Julien Favart donne du répondant aux mots choisi par l’initiateur du projet : « Le texte de Vincent Fontano emprunte au conte et à la tragédie. Le djinn de la Mangrove, poumon de l’île de Mayotte, nous raconte son histoire dont il est à la fois le témoin et la mémoire. Ce Djinn cherche à se libérer d’un poids. Tout au long de la pièce, il est accusé d’être le malheur incarné, mais lui cherche au travers de ses rencontres à savoir qui il est. Est-il la vie ? Ou est-il la mort ? »
Et l’on pourrait conclure par ce qui ressemble à la volonté d’un changement, d’un futur incertain. Là où l’art en général peut intervenir, pour raconter avec des mots et des corps, l’histoire : « Je vois le pays changer, je vois la lumière changer, elle-même, j’entends des cris, des hurlements de part en part, ils ne dorment plus. Vous ne dormez plus. La nuit n’est plus la nuit, elle s’éclaire parce que la peur guette, la mer, la mer même change de goût, et je ne comprends pas, la musique s’est mise à accélérer alors qu’aucun corps ne la danse, ils n’attendent plus que le soleil se calme pour courir, non le pays n’a plus le temps. Les prières leur semblent trop longues, le pays mangrove. »
Des informations
Soutenu par la Direction des affaires culturelles de Mayotte (DAC), le Ministère des Outre-mer et le Ministère de la Culture, le spectacle se joue depuis le 9 novembre au Lavoir Moderne Parisien. Du mercredi au samedi à 19h et le dimanche à 16h. Il terminera ses représentations le 20 novembre.
L’œuvre est tout public, novice ou initié, mais plutôt destiné à un auditoire à partir de 14 ans.
La rédaction du JDM