Les élus départementaux seraient-ils maudits, ou leur méthode pour mener les grands projets serait-elle à revoir ? A cette deuxième option, Salime Mdere, 1er vice-président du Département, qui a la lourde tâche de trois secteurs stratégique, l’Aménagement du territoire, les infrastructures et le foncier, a bien voulu nous répondre.
Le stade de Cavani est une illustration de ce qui peut se faire de pire. Février 2016, pose de la 1ère pierre par le préfet Morsy et le président Soibahadine. Mai 2017, à l’occasion de l’inauguration de la pelouse synthétique, on apprend de la bouche de Mustoihi Mari, Directeur des services techniques au conseil départemental, que la facture a grimpé de 8 à 10 millions d’euros, cofinancés par l’Etat et le conseil départemental, en raison de la découverte d’une zone instable sur une partie du terrain de foot. Qui devait être inauguré deux mois plus tard… Novembre 2019, un procès pour contestation d’avenant est ouvert contre la Colas et le terrain synthétique n’est finalement pas aux normes, nécessitant d’importer du sable d’Egypte. Boostée par ces importations exotiques, la facture continue de monter, jusqu’à 12,8 millions d’euros, intégrant quand même des améliorations par rapport au projet initial. La piste et le mur d’escalade sont alors annoncés.
Voilà pour le retour sur investissements, et la visibilité à ce jour n’est guère meilleure, à en croire Salime Mdere : « Le responsable de la commande publique a trouvé des incohérences sur l’analyse des offres, donc, nous sommes obligés de recommencer. Certaines entreprises ont répondu à nos marchés mais n’ont pas les moyens de faire. » La conséquence directe des retards de paiement des collectivités, qui rendent frileuses les entreprises compétentes à l’idée de soumissionner à leurs marchés. Il va falloir redonner confiance.
Une clôture à épines
Deux volets sont à distinguer : le premier porte sur les vestiaires et les gradins, et le second, sur les courts de tennis et la piste d’athlétisme. « Nous avons fait de nouveaux avenants, mais ça ne solutionne pas tout. Par exemple, les ouvriers ne voulaient plus se rendre sur le chantier pour boucler les travaux, car ils étaient attaqués par des chiens et des voyous qui étaient là pour voler. Nous avons placé des agents de sécurité, ça va pouvoir redémarrer. » C’est le 2ème volet qui pose des problèmes, sur la piste et les courts de tennis, il y a 15 lots, dont une partie est attribuée. Mais par exemple, une entreprise devait intervenir pour réhabiliter la clôture qui en réalité, ne tenait pas. J’ai demandé à tout revoir. » Mais « tout revoir », c’est relancer un marché, alors que l’entreprise l’avait déjà décroché, « elle a menacé de déposer plainte ». Et dans le cas de la signature d’un avenant pour obtenir une nouvelle clôture, même punition, « les concurrents peuvent déposer plainte pour favoritisme envers cette entreprise ». Et l’exemple de la clôture est déclinable à l’envi.
Autre sujet, celui du collège que le rectorat souhaite implanter à proximité, et qui propose de déplacer les courts de tennis. L’élu explique n’avoir pas vu d’un bon œil le projet au départ, « mais maintenant je suis séduit face à un établissement de 600 élèves axé notamment sur l’excellence sportive, qui propose restauration et internat. » Il a reçu l’avis favorable de la Commission patrimoine et foncier. Rappelons qu’il va permettre de scolariser des élèves qui doivent actuellement prendre le bus pour être pris en charge par d’autres établissements.
Autres dysfonctionnements, ceux du cinéma Alpa Joe. Des bruits de couloir se sont amplifiés jusqu’à atteindre l’artère publique : après avoir mené de lourds travaux pour proposer à la population un cinéma digne de ce nom, et tel que nous l’avons connu il y a 5 ans, le conseil départemental s’apprêterait à le transformer en bureaux… « Pour l’instant, ce n’est pas le cas », nous répond l’élu qui ne reste pas évasif : « Il y a deux cités administratives en gestation. La première à Mamoudzou qui va englober le bâtiment actuel du CD jusqu’à celui de la communication, et intègre donc le cinéma. Qui est conservé tel quel car nous avons besoin d’un cinéma, et qui pourrait être déplacé sur un autre site dans 5 à 6 ans. » Les travaux de la cité administrative devrait commencer en 2023.
Ambiance glaciale au cinéma
Le cinéma affiche malgré tout un écran désespéramment noir, toujours en raison d’un problème de respect du marché, indique l’élu : « Agacés par la lenteur de livraison de la machine censée climatiser la salle, nous avons fini par résilier le marché attribué à l’entreprise… qui a fini par nous la livrer ! Nous allons donc rédiger un protocole d’accord pour que le nouveau prestataire rachète cette machine. C’est en permanence comme ça ! » En dehors de ce rabibochage, « tout est à peu prés prêt pour permettre l’ouverture prochaine de la salle », assure-t-il. Mais ce n’est pas la première fois qu’on nous fait ce film…
Une autre cité administrative est prévue à Coconi, « l’équipe de maitrise d’œuvre a été choisie pour une livraison en 2026 ». Un projet de 34 millions d’euros. Elle intègrera 1.500 agents, des DGA Aménagement et Solidarité, dans une logique de déconcentration des services pour désengorger Mamoudzou », qu’avait d’ailleurs initié le président Soibahadine. Ce qui implique de réfléchir au dimensionnement du réseau routier. « La loi 3DS introduit le transfert des 4 routes nationales, mais nous ne voulons récupérer cette compétence qu’avec un réseau en bon état et même élargi. »
Les agents transféré à Coconi pourront bénéficier des dessertes maritimes, rappelle Salime Mdere, qui a coprésidé un comité de pilotage ce jeudi à ce sujet, qui met en place une seule maitrise d’ouvrage pour l’ensemble des transports, maritimes et terrestres. Les premières études sont menées, notamment avec l’appui d’un cabinet conseil, et le choix semble se porter sur des petits navires de 40 à 50 passagers, de 20 à 25 nœuds. Ce qui semble donc écarter les aéroglisseurs auquel nous avions consacré un sujet. Un projet qui nécessite des infrastructures, « du côté de Longoni pas de problème pour le ponton, ce n’est pas le cas à Iloni où il faut aussi de la place pour créer un grand parking. »
En conclusion, l’analyse des déboires est rapidement faite par l’élu : « Il nous manque des ingénieurs, non seulement dans notre DGA Aménagement, mais aussi sur le territoire. La DEAL m’a expliqué que rien que sur les chantiers du syndicat des eaux, ils ont du recruter 5 ingénieurs en métropole. Et nous devons éclater notre direction technique en une direction ports et routes et une direction des bâtiment ». Et nous pourrions rajouter, envoyer les techniciens sur le terrain pour contrôler l’efficience des travaux et encadrer ou donner des pénalités au besoin.
Anne Perzo-Lafond