« La place de la coutume à Mayotte », premier colloque de l’année 2022, le dixième organisé en une décennie par le Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte, prouve sans nul doute que la recherche menée par l’établissement est ancrée dans les spécificités du territoire. Un département où sa mutation progressive pour l’insérer dans les institutions nationales et européennes côtoie une société où la tradition revêt toujours une prégnance notable.
Un programme de recherches ambitieux
« Ce colloque a été organisé afin de restituer les travaux de recherches collectifs menés entre octobre 2018 et décembre 2021, portant sur la place de la coutume à Mayotte. Ce travail a été financé par l’Institut des Etudes et de la Recherche sur le Droit et la Justice, anciennement le GIP Mission de recherche Droit et Justice », détaille Aurélien Siri, maître de conférence au CUFR de Dembéni. Un programme de recherche qui a mobilisé plus d’une vingtaine de chercheurs et doctorants, dont les travaux ont été menés sous formes d’entretien auprès de cadis, de greffiers ainsi que des acteurs directs et indirects en lien avec la coutume à Mayotte.
Initié par Hugues Fulchiron, professeur agrégé des Facultés de droit à l’université Jean Moulin Lyon 3, lors de son passage à Mayotte, la question de la coutume a été abordée au regard « de l’article 75 de la Constitution », informe Elise Ralser professeure à l’université de La Réunion. Cet article précise ainsi que « les citoyens de la République qui n’ont pas le statut de droit civil commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».
L’exemple de la mutation de la place des cadis dans la société mahoraise
Si le processus de départementalisation n’a pas remis en cause le principe de droit
personnel, la volonté « d’accompagner » l’évolution statutaire de Mayotte a toutefois conduit le législateur à des adaptations qui ont peu à peu vidé le domaine de la justice locale de son contenu afin de le transférer vers le droit dit commun. Ainsi, depuis 2010, « les cadis se sont vu retirer leurs fonctions juridictionnelles et notariales qui ont été transférées aux juges qui sont devenus les dépositaires du droit commun », indique Élise Ralser.
Est-ce pour autant que leur rôle s’est amoindri ? « Il revêt un rôle de médiateur social et familial mais aussi un rôle de médiateur au niveau de l’administration pour œuvrer dans les zones grises et noires liées à la clandestinité », explique à la tribune Thierry Malbert, maître de conférences à l’université de La Réunion. Il ajoute « l’acception entre droit commun et droit coutumier est parfois difficile, les cadis servent d’intermédiaire légitime aux yeux d’une partie de la population au regard du caractère sacré qu’ils revêtent ».
Le droit coutumier régit encore certains domaines
« Quels sont les domaines où s’appliquent encore le droit coutumier ? », interroge dans un style rhétorique Élise Ralser. « Depuis 2006, la formation des unions ainsi que leur dissolution ne relèvent plus officiellement du droit coutumier. Le mariage ainsi que le divorce dépendent du droit commun. Si tel n’est pas le cas, ils ne sont pas reconnus comme étant effectifs », éclaire la professeure. « En revanche, poursuit-elle, la filiation, la parenté et les effets de parentalité ainsi que les successions n’ont pas subi les assauts du législateur, et relèvent toujours du droit coutumier ». Concernant le rapport foncier, « il ne relève plus du droit personnel », souligne-t-elle.
Vers une baisse inéluctable du recours au droit coutumier ?
Néanmoins, pour être destinataire de cette coutume, des critères biens spécifiques doivent être remplis tels que « nationalité française, la confession musulmane et l’origine mahoraise », énumère Valérie Parisot, professeure à l’Université de Rouen Normandie. « Par ailleurs, poursuit-elle, pour que l’enfant relève du droit de la coutume, il faut que les deux parents relèvent du statut de droit personnel ». L’avenir du droit coutumier semble toutefois se réduire au regard de facteurs structurels liés à l’immigration, couplée à la forte émigration des natifs de l’île âgés de 15 à 24 ans, ainsi que concède Elise Ralser, « la volonté des jeunes générations d’a priori s’émanciper du droit coutumier pour embrasser le droit commun ».
Pierre Mouysset