Aux alentours de 8h sur les hauteurs de M’tsapéré, dans le quartier de Bonovo, des hommes en tenue de chantier s’activent à côté d’une pelleteuse pour débuter la seconde phase de résorption de l’habitat insalubre (RHI) du chemin Baco Bacar, jeudi 13 février. A côté, les habitants du quartier viennent aux renseignements auprès des services de la Ville de Mamoudzou qui ont ramené le café, les croissants et les listes d’émargements. Le projet est de construire une route sur près de 360 mètres pour désengorger le quartier avec également la mise en place des réseaux d’eau potable, des eaux usées, d’électricité et de télécom. Près de 80 familles situées dans le périmètre vont être impactées par les travaux qui vont durer entre 8 et 12 mois.
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Un chantier « symbole » de la reconstruction post-Chido
« C’est bien d’avoir une route, mais mes parents risquent d’avoir une partie de la maison endommagée », signale Kamarane Mhamadi, la main sur le front pour mieux observer l’arrivée du maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, sur les lieux, « maintenant on attend les consignes ». Une cinquantaine de personnes se sont installées à l’ombre, à côté des plans du projet, affichés sur la tôle, pour écouter le maire. « Le territoire a été confronté à des difficultés historiques mais la reconstruction commence ici et maintenant. C’est le premier nouveau chantier que lance la Ville après Chido, c’est un symbole important. Ce que nous faisons ici c’est pour vous », a déclaré Ambdilwahedou Soumaïla.
Après le discours, le maire et les habitants ont parcouru à pied le tracé de la future route. D’un côté des cases en tôle, de l’autre des bâtiments en dur. « Je suis contente du projet mais je ne veux pas être expulsée sans être relogée quelque part. C’est tout ce que je demande », insiste une habitante du quartier d’un certain âge, qui vit ici dans une case en tôle depuis de nombreuses années. En descendant un petit chemin perpendiculaire à la route, elle insiste pour montrer son logement complètement reconstruit après Chido, à l’intérieur sont assis ses deux parents dans un espace exigu. Très vite un petit attroupement apparaît autour de la case, des personnes sont inquiètes, d’autres sont énervées, comme Riziki, qui vit ici depuis 1997. « Je vais aller où avec mes enfants ? Le maire arrive et agît comme si on était tous d’accord », insiste-t-il. Un autre habitant signale que c’est à cause de ce genre d’expulsion que les gens d’ici deviennent violents.
« Où est-ce qu’on va avec nos familles ? »
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Quelques minutes plus tard, Riziki interpelle le maire au milieu de plusieurs habitants, « où est-ce qu’on va avec nos familles qui sont là ? ». » – Je n’ai pas la réponse à vous donner sous la main, mais il y aura des enquêtes qui vont être réalisées au cas par cas pour apporter les solutions en fonction des situations des personnes », lui indique Ambdilwahedou Soumaïla avant d’être à nouveau interpellé. « J’ai vu les gens qui ont été expulsés à Doujani, jusqu’à maintenant ils n’ont pas d’endroits où s’installer avec leurs familles », lance au maire une habitante qui n’aura pas de réponses.
« J’ai pris la voiture avec des contractions jusqu’à l’hôpital »
De son côté, Moana attend avec impatience la venue de la route jusque devant chez elle. Depuis son arrivée à Mayotte en 2001 elle a endurée une vie sans une chaussée accessible pour elle mais aussi pour les secours. Elle se rappelle avoir dû se déplacer elle-même à la maternité pour accoucher, les pompiers n’étant pas venus en raison d’une piste impraticable. « J’ai pris la voiture avec des contractions jusqu’à l’hôpital », raconte Moana, fatiguée par la situation. L’absence de voirie empêche également son foyer d’avoir de l’eau potable et de l’électricité. « A 18h on est tous dans nos maisons, on a peur de l’extérieur », continue-t-elle. « Si la route ne se fait pas là maintenant, elle ne se ferra jamais ! On aura plus d’espoir. Ma famille attend depuis 40-50 ans, que la route soit construite« . La maison de Moana à même déjà un garage mais celui-là est encore vide, sa voiture étant garée à des centaines de mètres plus bas.
« Ici c’est une RHI qui a commencé il y a 3-4 mandatures, les gens ont une appréhension mais la dynamique est engagée, les entreprises sont là, on n’est pas venu pour faire des études mais pour lancer les chantiers. Normalement il ne devrait pas avoir de difficultés particulières pour lancer les travaux. Les gens ont besoin d’espoir et de confiance à travers ce chantier et on va en lancer d’autres dans les mois à venir”, annonce Ambdilwahedou Soumaïla à la fin de sa visite. Le maire prévoit de débloquer 9 millions d’euros pour désenclaver le quartier, créer des logements et des espaces de vie à M’tsapéré.
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A la fin de la visite les habitants regagnent leur maison et la rue retrouve un certain silence, mais jusqu’à quand ? Les tensions existent de part et d’autre de ce long couloir jonché de câbles, et les travaux risquent d’exacerber une partie de la population dos au mur dans les mois à venir.
Victor Diwisch