A force de ressasser les mêmes chiffres, essentiellement fournis par les Journées Défense et Citoyenneté (JDC), de ne pas procéder aux bilans des actions, la démotivation pointait chez les acteurs de la lutte contre l’illettrisme et les médias qui attendaient des avancées surtout de la part de la Plateforme de lutte contre l’illettrisme. Et on se disait que finalement, le meilleur plan de lutte contre ce fléau était l’annonce ministérielle de l’enveloppe de 500 millions d’euros pour les constructions scolaires, qui permettra si elles se concrétisent, d’intégrer dans le système scolaire les 6.000 à 10.000 enfants du territoire qui n’y sont pas inscrits faute de place.
Heureusement, les choses ont changé. Sous l’impulsion de Kristel Bianchi, Coordinatrice régionale de l’Agence nationale de lutte contre l’Illettrisme (ANLCI), c’est un Schéma sur 9 ans qui vient d’émerger : « La lutte contre l’illettrisme a traversé une période de creux, nous n’avions pas d’évaluation des Plans menés, essentiellement en raison du turnover. Aujourd’hui nous signons un Schéma de prévention et de lutte contre l’illettrisme 2025-2033, donc sur 9 ans, comprenant 3 plans de 3 ans, qui va permettre d’adapter à chaque fois le plan suivant au nouveau contexte. »
Le budget prévisionnel du premier Plan 2025-2027 de 9,3 millions d’euros, cofinancé majoritairement par l’Etat et le conseil départemental, va permettre 5 grandes avancées.
D’abord d’avoir une gouvernance partagée entre l’Etat, le conseil départemental, le rectorat, AKTO, la Plateforme de lutte contre l’Illettrisme et l’Analphabétisme, pour ne citer que les plus important, et Dieu sait si, à Mayotte, la gouvernance est primordiale.
« Comprendre ce qu’apprend mon enfant »
Ensuite, de sensibiliser et professionnaliser les acteurs, « notamment les travailleurs sociaux pour mieux orienter ensuite les usagers ». Troisièmement, de sécuriser les parcours et donc l’employabilité. A ce sujet, l’Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier (ANFH) a mené un programme d’actions d’un million d’euros au CHM pour accroitre les compétences et faire évoluer les agents, notamment de catégorie C, ils sont 313 à en avoir bénéficié.
Le Plan va aussi permettre de travailler sur ce grand mot qu’est la cohésion sociale, « une partie est pilotée par le rectorat de Mayotte en développement des écoles des parents, en signalement des décrocheurs scolaires, et en captation de ceux qui ont été repérés lors des JDC ». A ce sujet, le recteur Jacques Mikulovic présent lors de la signature ce mercredi, invitait les collectivités à travailler en partenariat pour le développement des écoles des parents. Un reportage dans l’une d’entre elle mettait en évidence le témoignage d’un papa qui disait être là pour « comprendre ce qu’apprend mon enfant ». Toujours dans le cadre de la cohésion sociale, la Plateforme de Lutte contre l’Illettrisme et l’Analphabétisme (PLIA) doit proposer un parcours de 12 heures aux jeunes n’ayant jamais été scolarisé.
Enfin, dernier axe, transversal celui-ci, c’est-à-dire qu’il va bénéficier aux 4 autres, une personne sera recrutée au sein de la PLIA pour orienter au mieux les usagers en fonction de leur degré de difficultés et sera le ou la secrétaire du Plan.
Doter l’Université d’un département des langues régionales
« Les actions inscrites pour 2025 sont sécurisées », rassure Kristel Bianchi, pour qui la vraie révolution c’est le travail qui a mené à cette signature du jour : « C’est l’aboutissement d’un an de travail avec tous les acteurs en charge de l’illettrisme aujourd’hui présents. Beaucoup de réunions pour s’assurer que ce Plan soit celui du territoire et soit bien l’expression des besoins remontés par chacun. »
Revenant sur le contexte du taux de jeunes à 70% en difficulté de lecture, le préfet François-Xavier Bieuville rappelait les difficultés de ceux qui en sont victimes, « pris dans une contradiction entre progrès et tradition » et invitait à préserver la tradition tout en préparant les jeunes à la modernité, « et c’est l’objectif de ce Schéma. On voit ce qu’il permet, cet homme à l’école des parents qui veut se réapproprier sa parentalité ».
Il est un autre acteur qui évolue entre tradition et modernité, c’est le recteur Jacques Mikulovic, qui disait travailler sur les langues maternelles pour évoluer vers une meilleure maitrise du français : « Nous travaillons avec l’association Shime sur l’élaboration de fiches comparative de mots en shimaore et en français. » Comme nous le réclamons de longue date, avant d’arriver à l’enseignement du shimaore, l’élaboration d’un contenu pédagogique fixant les règles de la langue doit être finalisé, mais il faut aussi se doter d’enseignants à même de le transmettre. « A ce sujet, il faudrait que le conseil départemental accompagne la mise en place d’un département des langues régionales à l’Université de Mayotte, il faut se doter d’enseignants spécialisés ».
Sur un département français, la maitrise de la langue est indispensable soulignait le préfet, « pour assurer ses devoirs de citoyens en allant voter, mais aussi comprendre ce qui se passe autour de nous, et parvenir à ce que les jeunes respectent la loi ».
Laissons au recteur le mot de la fin, « avec ce que nous mettons en place, peut-être qu’un jour les jeunes préfèreront le stylo pour s’exprimer que tout autre chose qui perturbe la paix publique ».
Anne Perzo-Lafond