L’idée de départ, Noël Sanchez, le proviseur de la Cité du Nord, fort de ses douze ans de présence à Mayotte, nous la raconte. « Depuis quelques semaines, la gendarmerie nous rapportait l’existence d’une petite délinquance dans la zone. Je reçois alors un appel de la conseillère départementale de M’tsamboro, Zouhourya Mouayad Ben, qui m’explique qu’elle veut aller parler aux jeunes. Mais pas seule, avec moi ! Nous sommes donc partis dans les rues à la recherche de ces jeunes, épaulés par un agent de la mairie. On nous parle d’un endroit, ‘le couloir de la mort’, où le voisinage craint de se rendre. Elle a aussitôt décidé d’y aller. Nous tombons sur une vingtaine de jeunes qui nous montrent qu’ils n’ont pas envie de nous parler. Certains me connaissaient pour avoir été scolarisés au lycée, avec des sanctions disciplinaires à la clé. »
L’élue ne lâche pas le morceau, et tente de nouer le dialogue, « Zouhourya les interroge sur leur avenir, ils restent vagues, et elle finit par leur parler passion, notamment le vélo, ce qui a ouvert le dialogue. Elle fait alors un deal : ‘ Je vous fais faire du vélo, et en contrepartie, vous me promettez de vous déplacer si je vous organise un forum pour vous insérer’ ». Parole est donnée, c’était début août. « En quinze jours, elle a organisé l’évènement en faisant venir des partenaires, des vélos, et les jeunes sont là aujourd’hui, tous beaux ! »
Le premier défi, celui de ne pas perdre le contact est donc déjà relevé. Nous avons rencontré ces jeunes du village d’Acoua, la plupart sont scolarisés, mais entre provocation et le manque d’envie de plaquer des mots sur ce qu’ils vivent et font vivre, la communication sur leur motivation d’avenir est différemment au rendez-vous, la situation administrative en limitant aussi la perspective. Loupitse est le premier qui parle volontiers, comme s’il chantait du rap. Il devait passer en Terminale ici, à la Cité du Nord, mais a été sanctionné, « ils n’ont pas voulu de moi », il devra donc la faire ailleurs. Sa motivation professionnelle, il l’a, « je vais là où y’a de l’argent », mais pour y arriver, il va en falloir du dialogue avec lui. La plupart assènent ne pas aimer l’école comme s’ils étaient seuls au monde à faire ce constat, ils apprendront sur les divers stands comment se choisir une motivation pour se réaliser dans certaines matières. Tout comme Beta, qui passe en Terminale, et qui s’intéresse à la radiologie médicale, « parce que mon père y travaille », ou comme Yohann, qui entre en 1ère, et qui avec ses 15/20 de moyenne en maths, vise un métier en comptabilité.
« C’est l’oisiveté qui domine »
Dans le groupe il y a aussi Francine, 15 ans, qui passe en Seconde à Kahani, « je veux pas venir à la Cité du Nord, parce que y’a pas de cantine ! », lance-t-elle haut et fort pour déclencher l’hilarité autour, et pour sous-entendre qu’elle a faim, qui joue aussi la provoc et lâche que bien qu’arrivée dès son plus jeune âge à Mayotte depuis Grande Comore, elle ne se sent pas mahoraise, « tout le monde me traite de ‘comorienne ‘ à Mtsangamouji ». Le tout est de savoir ce que ces jeunes vont faire de leur contexte, sans doute marqué par des carences affectives, et même à ça, certains acteurs présents sur les stands ont des réponses, notamment le CIO doté d’un psychologue.
Pour une trentaine d’entre eux, ces jeunes ont comme promis enfourché un vélo ce jeudi matin, pour partir du plateau polyvalent d’Acoua, et se rendre à la Cité du Nord. Et ça grimpe sec ! « Plus jamais ! », lancera une fille à l’arrivée, quand d’autres se disent « contents d’y être arrivés. »
Tant qu’à organiser un forum sur l’insertion, autant en faire bénéficier l’ensemble des villages du canton, a décidé l’élue, et plusieurs bus étaient en rotation pour emmener des jeunes, certains scolarisés, certains à la Mission locale ou aux CCAS, des autres villages, Mtsahara, Mtsamboro, Mtsangadoua…
Zouhourya Mouayad Ben nous explique sa démarche : « On nous reproche à nous les élus de ne pas assez écouter les jeunes. Je suis donc allée les voir avec le proviseur Noël Sanchez. Ils nous ont dit qu’ils avaient faim et qu’ils ne savaient pas quoi faire, c’est l’oisiveté qui domine. On est tombés d’accord sur l’activité vélo, et ensuite, sur la nécessité de trouver une solution, car certains sont encore scolarisés, mais d’autres en voie de ne plus l’être, ou ne sont déjà plus dans le circuit. De plus, j’y vois l’opportunité de développer l’activité sportive cycliste ici, insuffisamment présente ». Elle était évidemment partante, guidon en main ce jeudi, au côté du recteur sportif, Jacques Mikulovic, qui a terminé bon premier devant le peloton !
Des offres adaptées au public en difficulté d’insertion
Sous le préau, 18 institutions, associations, collectivités, attendaient les jeunes, propositions en main. Preuves à l’appui, puisque nous avons fait le tour des stands et que de nombreuses propositions attendaient preneurs. On peut citer les partenaires des mairies du Nord présentes, comme Mayotte Ingénierie Formation Audit et Conseil (MIFAC) ou l’Espace numérique d’Acoua, qui évoque la collaboration avec la Cité des Métiers, « nous proposons une formation de développeur Web et Intelligence Artificielle, qui s’adresse aux bacheliers, ou aux niveaux Bac, ou aux décrocheurs en BTS, qui pourront obtenir un niveau Bac+2 dans ce domaine. Il nous reste une dizaine de places. »
Ou le CLSPD de la mairie de Mtsamboro, qui propose 7 places pour devenir volontaire en Service civique, « cela s’adresse aux décrocheurs ou aux étudiants de 16 à 25 ans », mais aussi le BAFA, le BAFA 3 et le BAFA D (direction), en vue notamment de se doter d’animateurs professionnels, « un centre de loisirs doit voir le jour dans la commune, ou encore 44 PEC pour les activités périscolaires.
Mlézi Maore propose également des contrats d’engagement jeunes pour l’insertion des 15-20 ans, qui comprend une remise à niveau au travers de divers ateliers.
Parmi les stands, trois jeunes filles souriantes, en quête de solutions pour leur avenir. Nées à Grande-Comore, elles sont arrivées à Mayotte en 2021 avec des niveaux scolaires différents, la 5e pour Touhoufa qui a maintenant 18 ans, la 3e pour Mariama, 17 ans, et le niveau 6e pour Wassila, 16 ans. Elles ont toutes les trois bénéficié d’une formation DELF (Diplôme d’études en langue française) au Point accueil écoute Jeunes de Mlézi.
70% des décrocheurs maintenus dans le système
La déscolarisation, un fléau qui s’amplifie à Mayotte, compliqué par essence à quantifier, mais qui avait été évaluée l’année dernière par deux enseignants de Paris-Nanterre de 5 % à 8,8 % des enfants en âge d’être scolarisés de 3 à 15 ans révolus, soit 5.300 à 9.500 enfants touchés. Il faut rappeler que la décision de scolarisation obligatoire dès 3 ans de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, J-M Blanquer, avait gonflé d’un coup ce chiffre à Mayotte chez les 3-6 ans. Il faut donc se concentrer sur un effectif plus réduit de jeunes plus âgés, comme ces trois jeunes filles, qui voient leur avenir bouché.
Sur le plan national, les académies proposent à travers leur DRAIO (Direction régionale académique de l’Information et de l’Orientation), une Mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS). A Mayotte, elle a été réactivée l’année dernière par l’arrivée de la coordinatrice académique Cathy Champion, « nous proposons des solutions pour les jeunes hors système scolaire », nous explique-t-elle.
Sylvie Malo, à la tête DRAIO dresse l’état des lieux : « Nous avons désormais 19 coordinateurs contre le décrochage scolaire, et 60 enseignants référents, qui envoient les signaux d’alerte. Et le bilan est positif pour 2023, puisque sur l’ensemble des jeunes pris en charge par cette Mission, 70% d’entre eux poursuivent sous statut scolaire. Les autres partent en formation. On peut considérer que c’est une réussite puisque ce sont des élèves qui sortent de 3e avec un niveau très faible et qui désormais maitrisent la langue et sont à mi-temps en entreprise pour réintégrer le système de formation initiale. Nous accueillons 420 jeunes. » Par ailleurs, le rectorat a relancé la Plateforme de suivi du décrochage piloté par le Centre d’Information et d’Orientation et la Mission Locale. « Il se réunit une fois par mois avec une réflexion posée sur les jeunes qui sont nulle part. Un challenge permis grâce aux partenariats avec le RSMA, Apprentis d’Auteuil, Mlezi maore, le Conseil départemental, la PJJ ».
Elle conclut : « Ce qu’il faut, c’est arriver à maintenir socialement les jeunes ».
Anne Perzo-Lafond