C’est la commune de Pamandzi en Petite-Terre qu’Elena Bertuzzi a choisi pour accueillir la 2ème date de la performance artistique « Mapping debaa » dont elle est à l’origine. Cette dernière consiste en une projection murale en plein air de debaas réalisés par des Mahoraises résidant sur l’île de La Réunion. Chant traditionnel mahorais chorégraphié, le debaa a été créé dans les années 1960′ par les femmes de Mayotte à partir d’un répertoire de chants soufis qu’elles ont enrichi d’une danse ne mobilisant que le haut du corps. Si le debaa avait au départ une vocation de préservation des valeurs culturelles féminines typiquement mahoraises, il est toutefois ouvert à la créativité de ses praticiennes, ce qui explique qu’il soit toujours aussi en vogue chez les Mahoraises de la plus ancienne à la plus jeune génération. Elena Bertuzzi, ethnologue et chorégraphe, l’étudie depuis de nombreuses années. En 2021, elle a soutenu une thèse de doctorat intitulée « S’imposer en danser : créativité et prestige des femmes mahoraises », qui a été couronné du prix Rémy Leveau en 2023.
L’artiste-éthnologue a par ailleurs réalisé 2 films autour du debaa, également couronnés par des prix internationaux, et réalisé plusieurs performances artistiques autour de cette pratique dont la première a été « la boîte à debaa » sur la place de la République de Mamoudzou en 2015. Elle revient cette année sur l’île qui l’a tant inspirée pour mettre en œuvre le projet « Mapping debaa », qui s’inscrit dans le cadre des Olympiades des Outre-mer et est donc financé par le ministère de la Culture. « Au début, Mapping debaa ne devait être projeté que dans 7 communes, mais vu l’engouement des collectivités pour le projet, nous avons ajouté 3 dates », révèle l’ethnographe-chorégraphe. La première à Mtsangamouji le 11 juillet dernier a été un vrai succès, puisque les spectateurs se sont mis à chanter et danser leurs propres debaas après la projection.
Sauvegarder et faire connaître la culture mahoraise
Le choix de projeter des debaas chantés par des Mahoraises vivant à La Réunion, et non à Mayotte, répond à une volonté de montrer comment font les Mahoraises qui ne vivent pas sur leur île pour sauvegarder et faire connaître leur culture. « Il y a de la part des Mahoraises de La Réunion davantage de volonté de préservation et moins de créativité, ce qui fait que les chants représentés dans Mapping debaa sont plus anciens, certains datant sans doute des années 60 », explique Elena Bertuzzi. « En outre, la dimension collaborative est plus importante qu’à Mayotte, car les femmes qui chantent ensemble viennent souvent de villages différents tandis qu’à Mayotte les groupes de debaa se constituent la plupart du temps sur des bases familiales », ajoute la chorégraphe.
« Mapping debaa » répond par ailleurs à un autre objectif : mettre en valeur l’architecture mahoraise et « la beauté des petites places des villages ». La projection se fait en effet sur des bâtiments choisis au préalable en collaboration avec des agents de la mairie. « Il y a 4 focales différentes donc 4 tailles de films. Ils sont projetés de manière à créer un effet 3D », révèle Elena Bertuzzi, qui avoue que cette projection est également « un challenge » pour elle dans la mesure où il lui faut étudier les lieux d’après photos et imaginer ce que pourra donner la projection sans possibilité de « répétition » au préalable.
Après la projection de ce jeudi 18 juillet à Pamandzi à 19h15, d’autres suivront dont les dates et lieux précis seront annoncés au fur et à mesure. Si « la boîte à debaa » en 2015 avait permis de faire connaître le travail d’Elena Bertuzzi autour de cette pratique à Mamoudzou, c’est à présent autour des autres villages de Mayotte d’en profiter sous une autre forme grâce à ce projet itinérant !
Nora Godeau