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Sergio Albarello : « Pour moi la priorité sera la question des ressources humaines de l’hôpital de Mayotte »

Une semaine après son arrivée, nous avons interrogé le nouveau directeur de l'ARS Mayotte, Sergio Albarello, sur ses ambitions pour le territoire, fragilisé par de nombreuses crises.

En pleine épidémie de choléra et face à une crise de l’eau devenue chronique, l’arrivée d’un nouveau directeur d’ARS est forcément un moment stratégique pour un territoire, en ce qu’elle permet de poursuivre des travaux engagés en matière de santé mais aussi peut-être de déployer d’autres moyens de réponse à des crises successives et imbriquées.

À Mayotte, c’est sur la gestion du choléra et l’accès à l’eau que Sergio Albarello est avant tout attendu, ainsi que sur la question des professionnels de santé du territoire. Nous avons eu l’opportunité de l’interroger une semaine après son arrivée dans l’île au lagon. Médecin-chef de l’Élysée pendant sept ans, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été ses patients. Depuis décembre 2023, cet urgentiste militaire était par ailleurs médecin sapeur-pompier volontaire auprès du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de l’Oise. Il succède ainsi à Olivier Brahic, qui occupait ce poste depuis la fin de l’année 2021.

Monsieur le directeur, pourquoi avoir quitté l’Élysée pour choisir cette affectation à l’ARS de Mayotte ?

Sergio Albarello : Effectivement, l’Elysée est un passage dans ma carrière mais j’ai mené diverses missions sur d’autres territoires, comme la construction du SAMU de Mauritanie dans le cadre d’un grand projet « santé-paix » mais aussi des formations pour la médecine d’urgence et la médecine de catastrophe au Maroc et en Tunisie. J’étais d’abord venu à Mayotte en juin 2023 dans le cadre de l’appel national au renforcement de la structure des urgences-SAMU-SMUR, puis je suis revenu à la demande de Olivier Brahic fin janvier 2024 pour mettre en place les ripostes du plan de choléra. J’ai aussi été directeur de crise en qualité de médecin régulateur au SAMU pendant la crise des barrages à Mayotte. Tout cela a contribué au fait que je me suis dit que je pouvais peut-être apporté quelque chose par mon expérience. En toute franchise, au moment où l’Elysée m’a fait cette proposition, j’ai seulement pris cinq minutes pour donner ma réponse. 

« Créer un maillage de la santé sur le territoire pour répondre au mieux aux attentes de la population »

Que vous inspire la politique des ARS depuis leur origine ? 

Ce sont des établissements publics qui permettent de construire des politiques de santé à échelle régionale. Plus particulièrement, dans l’Océan Indien, lorsque Mayotte était rattachée à l’ARS OI – Océan Indien, l’île était un peu oubliée dans certains plans de développement de santé. Le fait d’avoir une ARS à Mayotte permet de répondre à des particularismes du territoire mais aussi aux besoins des mahoraises et mahorais, en ce qui concerne la prévention, l’offre de soins, la santé sexuelle, la nutrition, mais aussi au sujet de la médicalisation de Mayotte (…) Le but est de créer un maillage de la santé sur le territoire pour répondre au mieux aux attentes de la population. 

Quels sont les points forts de Mayotte en matière de santé ? 

Je dirais la résilience des personnels de santé. En juin 2023 et pendant la période des barrages de 2024, le personnel de santé a fait preuve d’une grande résilience. Des médecins, des infirmiers, des aide-soignants, des ambulanciers, des agents administratifs et de la régulation médicale ont passé des nuits au sein de l’établissement pour soigner la population. Je les ai vus donner beaucoup de temps pour assurer cette chaîne de santé et de secours. Leur résilience est vraiment un point fort de la santé à Mayotte. 

« Vacciner 1.000 personnes par jour »

Le 10 mai dernier, le ministre délégué en charge de la Santé et de la Prévention, Frédéric Velletoux, affirmait que la circulation du choléra à Mayotte était « circonscrite » et « sous contrôle », quatre mois après l’apparition du premier cas de choléra à Mayotte, les cas s’amoindrissent mais les autorités de santé en détectent toujours, comment mettre fin à cette épidémie ? 

Fièvre typhoïde, Santé Publique France, Mayotte
Santé publique France avait rapporté que la grande majorité des cas de choléra détectés utilisaient l’eau de la rivière pour leurs besoins alimentaires et en matière d’hygiène

Le Ministre, Frédéric Velletoux, a dit quelque chose de vrai, nous sommes dans une épidémie circonscrite. Sur les sept derniers jours, on a détecté cinq cas de choléra. Aujourd’hui, la situation est « maîtrisée » mais il faut être humble face au risque épidémique, quel qu’il soit, je le dis par expérience et les experts du Haut Conseil de la santé publique nous le rappellent. À l’avenir, ce risque peut avoir des pics d’accélération. Aujourd’hui on est dans une phase de creux, et c’est parce qu’on est dans cette phase, que nous avons fait le choix d’accélérer la vaccination pour circonscrire encore plus les différents foyers. Sur recommandation des experts nationaux, l’objectif pour l’ARS Mayotte est de vacciner 1.000 personnes par jour. Plus on contient le premier cercle de risque, plus on évite l’élargissement et la contamination de la population. 

Le choléra n’est pas une maladie des pauvres mais une maladie liée à l’environnement, et en particulier à l’eau

Selon vous, le choléra peut-il être qualifié de « maladie des pauvres », comme rapporté par certains représentants politiques ? 

La maladie des pauvres n’est pas une définition (…) mais effectivement les conditions de vie peuvent favoriser le développement d’une maladie. Ce n’est pas une maladie des pauvres mais une maladie liée à l’environnement, et en particulier à l’eau. Si ces quartiers avaient accès à l’eau, on limiterait plus facilement la transmission. Le fait de ne pas avoir d’accès à l’eau potable, d’avoir des excréments dans les rivières, de se laver dans une rivière et de boire l’eau de la rivière, augmente le risque épidémique et la transmission du choléra.

La vaccination est une réponse immédiate en réaction à des cas détectés et en prévention d’autres cas et l’accès à l’eau et à l’assainissement sont des leviers essentiels de lutte contre cette maladie hydrique. En votre qualité de directeur d’ARS, qu’allez-vous mettre en oeuvre pour l’accès à l’eau sur le territoire ? 

À Mayotte, les bornes fontaine et les rampes d’eau représenteraient moins de 1% de la consommation d’eau potable de l’île

Je ferai ce qui s’est déjà construit sous mon prédécesseur. En accord avec les élus du Conseil départemental, je mettrai en place des rampes d’eau accessibles à la population. D’ores-et-déjà, nous avons ciblé soixante-dix zones du territoire. Dix-neuf rampes d’eau supplémentaires vont être installées, peut-être cinquante voire soixante, pour renforcer la stratégie de lutte contre le choléra. 

À propos de l’hôpital, que vous évoque la crise qui secoue l’établissement et notamment le service des urgences ? Comment comptez-vous répondre à l’attractivité du territoire chaque année plus difficile à défendre ? 

CHM, Mayotte, 15
En juin 2023, nous avions révélé que le service des urgences du CHM était dans la tourmente, plombé par des guerres de chapelles

Je profite de cette interview pour remercier l’engagement des personnels de santé qui sont au quotidien au Centre hospitalier de Mayotte pour répondre aux besoins de la population de Mayotte malgré une forte tension au niveau des ressources humaines. Il faut préciser que cette tension est aussi visible sur le territoire national. Avant d’arriver à Mayotte, j’étais de garde au sein d’une structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), il faut savoir que certains départements ferment des lignes de SMUR en métropole. Mayotte aussi est concernée par ces difficultés RH. Se rajoute à cette tension RH nationale, les crises successives de Mayotte qui ont conduit certains praticiens habitués au territoire à ne plus vouloir venir ou que sur des courtes périodes.

Que dire du dispositif « place nette » aussi appelé « opération Wuambushu », qui vise à détruire des bidonvilles dans le cadre de la loi Élan? D’un point de vue strictement sanitaire, si on s’en tient au rôle des ARS, ce dispositif a-t-il permis d’améliorer les conditions de vie des habitants de l’île ?

Malgré le maintien des renforts venus dans le cadre de la réserve sanitaire, il manque à Mayotte 100 sages-femmes pour répondre aux besoins du territoire
Malgré le maintien des renforts venus dans le cadre de la réserve sanitaire, il manque à Mayotte plus de 100 sages-femmes pour répondre aux besoins du territoire, où près de 30 bébés naissent chaque jour au CHM

Notre rôle est de rendre un avis sanitaire au sujet d’un habitat, pour le Préfet, qui prend une décision sur l’orientation de ces habitations. Notre rôle est de savoir si le logement présente un risque sanitaire pour les occupants ou pas.

Dans le cadre de votre prise de poste, quels seront vos dossiers prioritaires et quelles thématiques aurez-vous à coeur de porter ? 

Je vais regarder l’ensemble des dossiers. Bien entendu il y aura des priorités. Si je dois en donner une, en dehors des dossiers de crise, pour moi la priorité sera la question des ressources humaines de l’hôpital de Mayotte (…) Le CHM est un pilier central de l’offre de soins du territoire donc il faut agir au maximum pour le personnel, pas seulement pour les médecins mais pour l’ensemble des professionnels, par exemple, pour les sages-femmes. J’aurais un regard particulier pour cette profession dans les difficultés qu’elle rencontre. Cet axe sera ma priorité. 

Propos recueillis par Mathilde Hangard 

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