Mardi 2 juillet, lors d’une audience correctionnelle, les magistrats ont eu à statuer sur le caractère diffamatoire d’un tract syndicaliste envers la directrice adjointe du centre pénitentiaire de Majikavo.
Le 7 décembre 2023, le syndicat CGT du centre pénitentiaire de Majikavo avait diffusé un tract pour dénoncer une « nouvelle preuve de racisme de la Direction du Centre Pénitentiaire de Majikavo ». Quelques jours avant la publication de ce tract, deux drames étaient survenus. L’un concernant l’agression d’un agent du centre pénitentiaire « devant son banga au retour du travail », tel que mentionné dans le tract, et un accident routier qui blessa très grièvement un autre agent du centre pénitentiaire. Suite à cet accident routier qui failli coûter la vie d’un agent du centre pénitentiaire, la direction de la prison de Majikavo aurait alors adressé « une note d’information à l’ensemble des agents du centre pénitentiaire suite à un accident de la circulation grave survenu à un autre collègue ».
Plus facile à écrire qu’à dire ?
Reprochant à la direction de ne pas avoir considéré à égalité l’agression du collègue à son domicile, des représentants du syndicat CGT pénitentiaire rédigèrent un tract accusant la « maîtresse d’école » de la prison, de racisme envers « son personnel black », que le secrétaire général du syndicat envoya de sa boîte mail.
Mais à la barre du tribunal, le représentant du syndicat nia avoir voulu dire que la directrice adjointe du centre pénitentiaire était raciste : « Je ne l’ai pas traitée de raciste mais c’est son comportement de Madame la directrice adjointe qui est raciste. » Le prévenu précisera aussi qu’il n’était pas l’auteur du tract : « Ce sont les adhérents qui ont fait le tract et qui sont venus me le montrer. On n’a jamais dit que Mme la directrice adjointe était raciste mais que la direction a encore fait preuve de racisme. »
Le prévenu refusa également d’admettre que la directrice adjointe était visée dans ce tract, en déclarant avoir voulu atteindre uniquement « la direction », précisant que celle-ci était « vaste » alors que trois personnes la composaient. Aussi, ni le directeur général, ni le secrétaire général, du centre pénitentiaire ne pouvaient avoir été visés dans ledit tract sous l’expression, jugée « méprisante » par l’avocat de la partie civile, de « maîtresse d’école ». Un des assesseurs demanda ainsi au prévenu qui était désigné par l’expression « les uns » et « les autres » dans le tract. Alors qu’il bégayait en voulant faire simple mais de façon compliquée pour se justifier, le syndicaliste avoua finalement : « Y’a des gens mahorais qui n’ont pas de poste à responsabilité (…) Certains agents qui arrivent de la métropole prennent les postes (…) Les uns ce sont les favorisés et les autres les non favorisés. »
Pour le parquet, pas de quoi en faire un fromage
Mais pour le substitut du procureur, Tarik Belamiri, « poursuivre quelqu’un parce qu’il aurait relevé d’une faute morale cela ne favorise pas une discussion sereine avec les syndicats (…) le racisme existe, cela n’est pas invraisemblable de le rencontrer sur le lieu de travail. » D’après le Ministère public, si « pour que la diffamation soit prouvée, cela suppose l’intention de rapporter quelque chose d’inexact », dans ce dossier, « ce qui est rapporté ne relevait pas, pour les auteurs d’une information inexacte ou fausse. »
Une inégalité de considération entre les agents par la direction ?
De même, pour l’avocat de la défense, si les faits avaient été réellement constitutifs, « la direction générale aurait pu faire le choix d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’agent (…) Il s’agit d’un mail adressé à plusieurs personnes qui sont des collègues de travail. Ce qui est pointé du doigt c’est le comportement de la hiérarchie qui ferme les yeux sur des faits réels (…) Cela vise les trois personnes de la direction et non spécifiquement la directrice adjointe », a-t-il estimé.
« Parce qu’on est blanche, on est raciste ? C’est une accusation très grave. »
Lors de sa plaidoirie, l’avocat de la partie civile mettra les deux pieds dans le plat. De son point de vue, le qualificatif de « maîtresse d’école » faisant référence à la directrice adjointe de l’établissement pénitentiaire, qui mépriserait « son personnel black » serait bien la révélation de l’imputation d’un fait précis de racisme, passible d’une sanction pénale. À ce sujet, les réquisitions du parquet ne furent pas au goût de l’avocat : « Selon vous, tout le monde serait plus ou moins raciste, ce que je conteste », s’étonnant que le procureur n’ait « pas plus de solidarité » avec une collègue fonctionnaire. Aussi, l’avocat insista sur le fait que la victime de l’accident routier avait failli succomber à ses blessures, ce qui conduisit la direction de l’établissement à adresser une note d’information en soutien à la victime.
« C’est pas parce qu’on est syndicaliste qu’on peut tout se permettre »
L’avocat de la partie civile mentionna également que sa cliente était victime d’un harcèlement depuis sa prise de fonction en 2022 de la part du syndicat CGT pénitentiaire « qui l’atteint gravement moralement ». Ainsi, après avoir considéré que le tract avait été diffusé publiquement, sous la forme d’un communiqué, que la directrice adjointe était bien la personne visée dans ce tract en sa qualité de cheffe d’établissement, l’avocat a demanda au tribunal de retenir la diffamation publique à raison d’exercice de ses fonctions.
Après avoir délibéré, faute de preuve sur le racisme dont aurait fait preuve la directrice adjointe du centre pénitentiaire et considérant que le représentant du syndicat CGT pénitentiaire avait « outre passé sa liberté syndicale », le prévenu a été déclaré coupable des faits de diffamation qui lui étaient reprochés, condamné au versement de 1.500 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subit par la victime et à 2.000 euros au titre de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi qu’à la publication de la décision du jugement sur le site de la CGT pénitentiaire dans un délai de 15 jours à compter du prononcé de la décision.
Mathilde Hangard