C’est un procès d’une grande barbarie qui s’est ouvert vendredi, dont avait la charge la présidente de la cour d’assises, Nathalie Brun-Zahi, accompagnée de deux assesseurs, et du procureur général, Albert Cantinol.
Des procès, il y en a tous les jours. Lorsque les audiences sont longues comme lors d’une cour d’assises, le public ne peut se souvenir de tout. Mais vendredi matin, un épisode restera certainement gravé dans les mémoires de tous, professionnels de la justice, comme public présent pendant l’audience, celui de la présentation des photos du dossier. Après la lecture des faits et le témoignage du médecin légiste, les clichés de la scène de crime et du corps de la victime ont été présentés sur grand écran par la présidente de la cour. L’atrocité des images était telle que dans le public, des proches de la victime, des témoins, certains journalistes et avocats ont quitté la salle.
Un assassinat en bande organisée
Un dimanche matin, le 24 janvier 2021, un adolescent de 14 ans, d’origine malgache, sortait du domicile de sa soeur, dans une rue du quartier CTAM de Labattoir, lorsqu’il tomba nez à nez avec un groupe d’une vingtaine d’hommes cagoulés, armés de machettes, de couteaux, de haches et de bâtons. Poursuivi par la bande armée, le jeune homme tenta de rebrousser chemin et se réfugia dans un banga mitoyen de celui de sa soeur. Acculé dans une chambre, l’adolescent reçu de nombreux coups, portés avec des armes tranchantes et piquantes. Vers 10h du matin, la brigade de Pamandzi fut informée de l’homicide. À leur arrivée sur les lieux du crime, la victime était déjà décédée.
Le corps de la victime « n’avait plus une goutte de sang »
Avant l’arrivée des secours, c’est la mère du garçon scolarisé en classe de 4ème, qui découvrit le corps mutilé de son fils, assis à genoux, le ventre contre un lit, sa main droite quasiment coupée, certains doigts coupés, le dos ouvert jusqu’aux chaires, la moelle épinière sectionnée, son crâne sévèrement traumatisé, le corps en hémorragie massive.
Entendu en fin de matinée pour la première journée de ce procès, le Dr. Lahalle, qui a effectué l’autopsie du corps pour déterminer la cause du décès, a déclaré que toutes les plaies avaient été faites à coups de machettes, de couteaux, voire de haches. Le médecin légiste a fait état d’un « nombre de plaies très important », en l’absence de « lésion de défense », dénotant « d’un acharnement, d’une grande violence des coups portés et répétés au même endroit, au niveau du crâne et de la face », au regard du nombre de plaies et de leur profondeur, « quand on donne quatre coups de couteau successifs au niveau de la même zone, c’est un acharnement, c’est fait avec de la rage, de la violence, pour enlever la vie. » L’horreur du crime est telle que l’équipe du CHM n’a pas pu réaliser les premiers prélèvements sanguins requis, puisque le corps de la victime « n’avait plus une goutte de sang », au regard de l’hémorragie massive dont a été victime l’adolescent.
Comment expliquer l’explicable ?
Choqué, après le témoignage de l’expert légiste et la présentation des photos du meurtre, une partie du public était en larmes et quitta la salle en état de sidération. Progressivement, plusieurs questions pouvaient émerger dans les esprits de chacun. Comment un être humain peut-il commettre un meurtre d’une telle violence ? Pire, comment plusieurs individus pouvaient vouloir donner la mort à un jeune garçon, en s’acharnant sur une victime, qui agonisait ou qui était déjà morte ? Qui sont ces jeunes qui peuvent tuer de sang-froid, sans pitié, d’où viennent-ils, où vivent-ils, quel est leur parcours ? Avant d’assassiner l’adolescent, la bande armée avait également forcé des habitations, incendié des bangas et agressé des habitants.
L’adolescent ne faisait pas partie d’une bande
Fut-il mort par erreur ou pour un autre motif ? À ce stade du procès, il a été mentionné que la victime, d’origine malgache et scolarisée en classe de 4ème au collège de Dzaoudzi, était décrite par sa famille, des amis et des connaissances, comme un jeune homme qui ne faisait partie d’aucune bande et n’avait jamais commis de violence. Présente durant le procès, serrant le bras d’une de ses filles, la mère de l’adolescent éclata en sanglots, anéantie par le chagrin : « Ils ont osé m’enlever mon enfant (…) J’ai très mal (…) J’ai perdu celui qui était tous les jours avec moi (…) J’ai perdu mon bras droit (…) Même les docteurs ne me guériront pas. »
« Un cycle de violences réciproques » entre deux groupes de Petite-Terre ?
Cet assassinat aurait été commis par la bande de La Vigie, dite 45 BLOCK, en réponse à un meurtre commis, trois jours plus tôt, le 21 janvier 2021. L’objectif des jeunes du 45 BLOCK, aurait été de punir ceux qu’ils estimaient responsables de la mort d’un jeune, de terroriser le quartier dans lequel ils résidaient et de s’en prendre à tous ceux qui se mettraient en travers de leur chemin. Durant la phase d’instruction, un des membres de la bande, surnommé Bob, avait reconnu spontanément, que le jour des faits, le 24 janvier 2021, avec la bande de La Vigie, composée d’une vingtaine de personnes, dont les plus jeunes avaient 10 ans, il était descendu dans le quartier CTAM pour venger la mort d’un jeune, en recherchant spécifiquement des dénommés Crochet, Niengwe et Mexicain.
7 membres de la bande de La Vigie accusés
Au cours de ce mois de janvier 2021, trois hommes seront assassinés, dont le jeune adolescent de 14 ans et de violents affrontements éclateront entre bandes rivales. Treize personnes, âgées de 12 à 32 ans au moment des faits, ont été mises en examen pour l’assassinat du jeune homme de 14 ans. Jusqu’au 28 juin 2024, sept individus seront jugés par la Cour d’assises. Il s’agit des dénommés Bob, LV (prononcé Elvé), Mafoua, Bilco, Bitman, Papi et Conor. Six autres individus seront prochainement jugés par le tribunal pour enfants. Les accusés sont poursuivis pour meurtre en bande organisée. Ils risquent la réclusion criminelle à perpétuité.
Les cinq prochains jours de ce procès permettront on l’espère d’avoir des éléments de réponse sur la réelle cause de ce crime, le profil des agresseurs, tout élément qui aurait pu conduire à un tel niveau de barbarie. Sans comprendre la cause, à l’avenir, lutter contre ces actes pourrait n’être qu’un songe.
Mathilde Hangard